1.3. Les PDU « LAURE », une approche environnementaliste des deplacements urbains

La loi sur l’air et l’utilisation rationnelle de l’énergie a été promulguée le 30 décembre 1996. L’un de ses apports principaux est la relance d’une planification des déplacements urbains, à travers une refonte des PDU. Ceux-ci ont été placés sous le sceau des nouveaux paradigmes de l’action publique de cette fin des années 1990 : les préoccupations environnementales et le concept de développement durable, qui impliquent tous deux une transversalisation du traitement politique de la question des déplacements urbains.

La LAURE correspond ainsi à la transcription législative des apports du rapport Brundtland, publié par les Nations Unies en 1987, dont la médiatisation a été très importante, et qui jette les bases d’un développement durable de nos civilisations, c’est-à-dire qui permette « de satisfaire les besoins des générations présentes sans compromettre la possibilité pour les générations à venir de satisfaire leurs propres besoins ».

La LAURE se base sur ces apports pour réglementer la qualité de l’air et fixer des objectifs de limitation des pollutions qui l’affectent. Des plans pour la protection de l’atmosphère sont créés dans chaque région et dans les agglomérations de plus de 250 000 habitants. La maîtrise des besoins de déplacements est désormais inscrite dans la loi et dans le Code l’urbanisme44, et les Plans de Déplacements Urbains sont relancés, à travers une modification de la LOTI.

Illustration 21 : Vision schématique de la définition du développement durable, tel qu’il apparaît dans le rapport Brundtland de 1987 : une approche du développement censée réconcilier le social, l’économique et l’environnemental, sans obérer l’avenir.
Illustration 21 : Vision schématique de la définition du développement durable, tel qu’il apparaît dans le rapport Brundtland de 1987 : une approche du développement censée réconcilier le social, l’économique et l’environnemental, sans obérer l’avenir.

Désormais, les PDU définissent « les principes de l’organisation des transports de personnes et de marchandises, de la circulation et du stationnement, dans le périmètre des transports urbains ». Ces plans ont pour objectif « un usage coordonné de tous les modes de déplacements, notamment par une affectation appropriée de la voirie, ainsi que la promotion des modes les moins polluants et les moins consommateurs d’énergie 45  ».

Dépassant ainsi l’approche antérieure qui privilégiait, dans les années 1970, l’écoulement des flux de circulation routière et l’augmentation des vitesses automobiles, la loi entérine le basculement dans une approche multimodale, première innovation, et incitant à une sorte de « discrimination positive » en faveur des modes alternatifs à la voiture individuelle, au nom de mots d’ordres environnementaux. L’article 14 de la LAURE, modifiant l’article 28 de la LOTI, vise en effet explicitement « la diminution du trafic automobile », par le partage de la voirie entre modes, le développement de l’offre en transport collectif, la réorganisation du stationnement et des livraisons, et le lancement d’incitations au report modal pour la mobilité quotidienne des salariés des entreprises et administrations (qui deviendront les Plans de Déplacements d’Entreprises – PDE – et d’Administrations – PDA).

La Loi laisse deux ans aux autorités organisatrices de transport urbain pour élaborer leur PDU, lorsque les agglomérations dépassent le seuil des 100 000 habitants, ce qui sous-entend qu’une soixantaine d’AOTU devait achever son exercice de planification avant fin décembre 1998. Ce délai a été plusieurs fois allongé jusqu’à ce que la loi SRU ne vienne entrainer, fin 2000, une première série de révisions. On a ainsi assisté, à partir de 1997, à un renouveau sans précédent de démarches locales de planification depuis l’ère des plans de circulation lancés en France dans les années 1970.

Cette hâte, alimentée par l’injonction législative, s’explique également par le niveau assez élevé de subventionnement (une trentaine de millions de francs de l’époque au niveau national). Ainsi en juin 2000, un rapport GART / Certu recensait 10 PDU approuvés, 28 arrêtés, et une trentaine « en cours d’étude », dont une dizaine seulement apparaissaient déjà comme retardataires46.

On peut donc retenir de ce renouveau de la planification sectorielle des déplacements urbains, qu’il est marqué, au niveau national, par la mise en perspective de la question de la mobilité quotidienne par rapport à des objectifs transversaux de protection de l’environnement. Si l’approche demeure sectorielle, elle entérine donc la modification de l’appréhension politique des questions de transport dans les grandes agglomérations françaises. La fluidité des réseaux routiers, l’équilibre financier de l’exploitation des réseaux de transport collectif cèdent le pas à des objectifs de qualité de l’air, de préservation de la santé publique et de maîtrise de l’étalement urbain et des besoins de déplacement.

Dans le rapport publié en juin 2000, le GART et le Certu concluent, avec optimisme, que « la première génération de PDU loi sur l’air crée une nouvelle culture des déplacements qui permet de dépasser les schémas sectoriels de développement du réseau routier d’un côté, du réseau de transports en commun de l’autre. La concertation, au cœur de la démarche PDU, a déjà porté ses fruits, et doit être poursuivie pour une mise en œuvre cohérente des actions programmées47 ».

L’essor rapide des démarches de PDU a également relancé une série de travaux menés par des chercheurs en urbanisme, en économie des transports ou en sociologie des organisations, sur lesquels nous reviendrons plus longuement dans le deuxième chapitre. Il faut pourtant mentionner ici les grandes lignes de ces travaux, nettement moins optimistes, pour les replacer dans la perspective d’évolution du portage de la notion de cohérence urbanisme / déplacements, abordée dans ce présent chapitre.

Dès le début des années 2000, des recherches ont en effet été menées, afin d’analyser les méthodes, le contenu et la portée des démarches engagées localement, ainsi que les possibilités de suivi et d’évaluation des projets validés dans le cadre de ces scènes de négociation.

C’est ainsi que Jean-Marc Offner a parlé d’un « bilan mitigé 48  », en relevant que les déplacements urbains avaient certes été réinscrits à l’agenda politique, mais que l’essentiel des projets validés dans le cadre des PDU relevaient d’un « discours convenu, faiblement problématisé, puisant dans un stock de solutions peu différenciées, sans réflexion stratégique49 ». Pour le Directeur du LATTS, les PDU n’ont pas été suffisamment le lieu d’un renforcement des liens entre organisations, ni de l’élaboration de référentiels adaptés à l’ensemble de la problématique contemporaine des déplacements urbains.

En revanche, nombre de PDU ont été élaborés, voire instrumentalisés, dans l’optique d’une justification de « grands projets – solutions », correspondant généralement à des transports collectifs en site propre, voire à des infrastructures routières nouvelles50.

Il ressort donc des premières analyses des PDU LAURE, que les intentions de transversalité souhaitées par le législateur ont difficilement franchi le cap des phases de diagnostic et de mise en perspective des enjeux locaux liés aux déplacements urbains. A partir d’une démarche ouverte aux interrelations avec l’urbanisme et l’environnement, s’est développée une génération de documents de planification demeurant sectoriels, c’est-à-dire ne traitant que des questions liées à l’offre de transport, ne s’intéressant pas aux déterminants urbanistiques de la mobilité quotidienne, et n’utilisant l’approche environnementaliste que comme faire-valoir général d’une action publique débouchant sur des plates-formes de projets réalisables dans le cadre d’un ou deux plans de mandats municipaux (et intercommunaux par extension).

Les limites des PDU LAURE, et le besoin de globalisation de politiques aussi sectorisées que les déplacements, l’urbanisme ou l’habitat ont trouvé un écho auprès des ministères. Annonçant la loi SRU, le Ministre de l’Equipement, des Transports et du Logement déclarait ainsi, deux ans après la LAURE, que « la question d’avoir une réflexion globale sur les problèmes de transport et d’urbanisme, et sur la cohérence des démarches et des outils de planification dont nous disposons s’impose à tous. (…) Ce dont il est question, c’est bien sûr de l’organisation des déplacements et de la place respective de la voiture et des transports collectifs dans la ville. Mais c’est aussi un problème de l’étalement urbain, des fractures urbaines et des ségrégations spatiales et sociales51 (…) »

La seconde moitié des années 1990 a été marquée par l’enchaînement, en peu de temps, de la promulgation de quatre lois complémentaires : LAURE en 1996, LOADDT52 et loi RSCI53 en 1999, loi SRU54 en 2000. Cet arsenal législatif a relancé la planification des déplacements, puis donné le coup d’envoi de l’intercommunalité de projet, avant de réformer la planification urbaine et d’ériger la cohérence urbanisme / déplacements et le développement urbain durable comme nouveaux paradigmes d’une action publique renouvelée dans ses méthodes, décentralisée et contractualisée dans son portage, ainsi que nous allons le détailler à présent.

Notes
44.

articles 16 et 17 de la LAURE.

45.

extraits de l’article 14 de la LAURE.

46.

GART, Certu, 2000

47.

GART, Certu, 2000, p. 92

48.

PREDIT / LATTS, 2003

49.

PREDIT / LATTS, 2003, p. 5

50.

Offner, 2001, in Annales des Ponts et Chaussées.

51.

Allocution de Jean-Claude Gayssot le 8 avril 1999 au colloque du GART « PDU : des villes à vivre ».

52.

Loi d’Orientation pour l’Aménagement et le Développement Durables du Territoire, dite loi Voynet, juin 1999

53.

loi relative au Renforcement et à la Simplification de la Coopération Intercommunale, dite loi Chevènement, juillet 1999

54.

loi Solidarité et Renouvellement Urbains, dite loi Gayssot, décembre 2000