1.4. La cohérence selon la loi SRU : un dépassement du fonctionnalisme

1.4.1. La Loi SRU : nouvel « âge d’or » de la cohérence urbanisme – déplacements ?

La loi Gayssot est marquée par différents apports, issus de la recherche en urbanisme, en environnement ou en économie des transports, qui mettent en avant les notions de cohérence (tant physique, institutionnelle que méthodologique) et de développement durable, reflètent les débats sur la densité et la mixité urbaines, et reconnaissent l’influence négative de l’automobile individuelle et des voies rapides urbaines et périurbaines sur l’étalement urbain, sur les densités, sur la ségrégation sociale et sur la spécialisation territoriale des fonctions urbaines. On reconnaît notamment la transposition de constats et propositions réalisés par le courant des « nouveaux urbanistes », tels que nous les avons décrits dans la première sous-section de ce chapitre.

L’article premier du texte prévoit ainsi que les différents documents de planification urbaine pourront désormais assurer « l’équilibre entre le renouvellement urbain [et] un développement urbain maitrisé (…), la diversité des fonctions urbaines et la mixité sociale dans l’habitat urbain (…), une utilisation économe et équilibrée des espaces (…), la maitrise des besoins de déplacement et de la circulation automobile55 ».

En conséquence, la loi désigne la lutte contre l’automobile, la ségrégation sociale, le zonage des fonctions, l’étalement périurbain et les faibles densités comme les leviers d’action privilégiés dans les agglomérations françaises, devant permettre d’aboutir à une ville cohérente et harmonieuse. Cette recherche de vertu n’est pas sans rappeler les objectifs poursuivis par les grandes utopies urbaines fondatrices de la discipline, même si les méthodes et les outils diffèrent.

A l’objectif de cohérence territoriale entre une agglomération, ses réseaux, ses activités et son peuplement, répond une injonction de cohérence entre les différents documents de planification urbaine, sectoriels ou non, selon un emboîtement scalaire qui demeure hérité de la LOF. L’ensemble des exercices de planification est réformé, proposant un système arborescent DTA > SCOT > PDU, PLH, SDEC > PLU 56 , sans que ces documents doivent pour autant être étudiés dans cet ordre. On remarque, dans cette hiérarchie, que l’échelon de la planification programmatique d’agglomération demeure marqué par le découpage sectoriel : les politiques de déplacements, d’habitat et de développement économiques doivent être cohérentes entre elles tout en n’étant pas élaborées en même temps ni par les mêmes groupes d’acteurs.

Aboutissement des réformes législatives de la seconde moitié des années 1990, la loi SRU constitue un changement de perspective idéologique encadrant l’action publique en urbanisme et en politique des transports. A l’approche fonctionnaliste de la Loi d’Orientation Foncière, le nouveau texte propose une démarche globalisante, basée sur des mots d’ordre transversaux (la cohérence, la durabilité, la mixité…), avec à la clé une obligation de résultat.

On peut donc considérer, comme l’a écrit Jean-Charles Castel57, que la loi SRU a constitué, lors de sa promulgation, une étape importante dans la critique de l’urbanisme fonctionnel, qui s’est en fait élevée progressivement dès la fin des années 1960, ainsi que nous l’avons vu précédemment. En appelant la mise en œuvre de politiques globales dans les agglomérations françaises, en recherchant les mixités fonctionnelle et sociale, en promouvant une approche multimodale et systémique des déplacements quotidiens, le texte de loi a cherché à dépasser les cadres théoriques d’action de la loi de 1967, eux-mêmes hérités des théories urbaines de la première moitié du XXe siècle.

En termes de déplacements urbains, la loi SRU ne correspond pas tant à une refonte de la politique de transport pour la faire concorder aux objectifs du développement durable, qu’à une relance de la recherche de cohérence avec les autres politiques touchant à l’urbain, telles que l’habitat, l’aménagement du territoire, le développement économique, etc.

L’enjeu pour l’Etat et les collectivités locales devient, dans ce cadre législatif, d’élaborer aux différents échelons territoriaux des projets de développement globaux, qui incluent l’ensemble de ces champs, tout en continuant à les décomposer en autant de politiques sectorielles. Cette recherche de cohérence de l’action publique, notamment entre urbanisme et déplacements, devient ainsi un mot d’ordre politique clé, une injonction nationale qui s’impose localement, sans pour autant qu’un « mode d’emploi » vienne appuyer la recherche de réponses adaptées dans les agglomérations françaises.

Appelant en effet une cohérence de résultat et non plus de procédure (ce ne sont plus seulement les documents de planification qui doivent être cohérents entre eux, mais le résultat concret de leurs préconisations), la loi a instauré une injonction forte à l’adresse des acteurs locaux. L’absence de « mode d’emploi » explicite permettant de répondre à l’injonction nationale laisse ainsi les milieux locaux y répondre selon leur vision du territoire, leur capacité d’action et leur définition des attendus de la loi. L’Etat a ainsi rendu incontournable la création de scènes locales de négociation et d’élaboration de projets de développement suffisamment partagés entre acteurs pour qu’ils répondent à l’obligation de cohérence.

Si la loi SRU ne fournit pas de « boite à outils » pré-formatée, elle consolide, via une réforme des PDU, l’apport de la LOTI et de la LAURE, en renforçant leur rôle dans l’architecture des documents de planification urbaine, et en y intégrant les questions d’intermodalité, de tarification des déplacements, du stationnement, d’aménagement ou réaménagement des voiries et de possibilité de coopération entre les différentes autorités organisatrices de transport (ferroviaire, interurbaine, urbaine).

Notes
55.

Loi n° 2000-1208 du 13 décembre 2000, titre 1, section 1, article premier

56.

c’est-à-dire, respectivement, Directive Territoriale d’Aménagement, Schéma de COhérence Territoriale, Plan de Déplacements Urbains, Programme Local de l’Habitat, Schéma Directeur d’Equipement Commercial, Plan Local de l’Urbanisme.

57.

Castel, 2001 (séminaire planification urbaine organisé par le METL et l’ENPC)