2.3. Conclusion : une grille de lecture contemporaine de la cohérence entre urbanisme et déplacements

Arrivés au terme de ce second chapitre, nous avons décrit en quoi la notion de cohérence entre urbanisme et déplacements est problématique, au sens scientifique du terme. Jamais stabilisée par les théories urbaines fondatrices de la discipline, elle a ensuite acquis après la seconde guerre mondiale une approche fonctionnaliste, rapidement entrée en crise, tant auprès des chercheurs que des praticiens.

Aujourd’hui remise sur le devant de la scène par la loi SRU, cette notion appelle une modification des pratiques de planification urbaine, ainsi que des évolutions dans la manière dont les acteurs locaux organisent leur action au sein de « gouvernements urbains ». Par opposition à la « cohérence fonctionnaliste » de la période précédente, on peut dénommer « cohérence territoriale » cette nouvelle approche de la notion, ouverte avec les lois des années 1990 et qui trouve son aboutissement législatif avec le texte Solidarité et Renouvellement Urbains.

Le schéma ci-dessous présente les deux entrées auxquelles fait référence la cohérence territoriale. En premier lieu, cette nouvelle approche implique le développement d’une planification urbaine stratégique, soit un renouvellement des procédures et méthodes héritées de la planification spatiale créée par la loi d’orientation foncière de 1967, qui se basaient sur une acception fonctionnaliste de la cohérence.

En second lieu, la cohérence territoriale appelle une réorganisation et une structuration des réseaux locaux d’acteurs et des dispositifs de gouvernement des agglomérations françaises. Chacune de ces deux entrées nécessite la mobilisation collective de ces acteurs : la coordination des procédures appelle leur coopération.

Les lois récentes sur la qualité de l’air, l’aménagement durable du territoire, le renforcement de la coopération intercommunale, la solidarité et le renouvellement urbains mobilisent la cohérence territoriale. Chacune de ces lois appelle à la mobilisation de tous et au renouvellement des procédures, des méthodes et des gouvernements locaux.

Illustration 24 : Les deux entrées proposées par l’approche territoriale de la cohérence, sous l’influence des lois des années 1990
Illustration 24 : Les deux entrées proposées par l’approche territoriale de la cohérence, sous l’influence des lois des années 1990

Si la boite à outils de la planification a été remaniée, le mode d’emploi est à inventer localement, en fonction des configurations spécifiques. C’est donc le besoin d’innovation et la saisissement d’opportunités d’action qui peuvent permettre de répondre aux objectifs globaux correspondant à un horizon stratégique lointain,  partagé entre les membres de la scène de négociation.

Pour résumer ces évolutions, on peut conclure à une triple mutation de la planification urbaine, synthétisées dans le schéma ci-dessous.

Premièrement, les démarches passent d’une logique spatiale (le plan qui norme la fonction des sols et envisage une cohérence ultime « fin de l’histoire » à travers la programmation d’équipements et d’infrastructures) à une approche stratégique (les acteurs font des choix de développement au sein de la démarche, sur un territoire large (agglomération, aire métropolitaine). Cette logique de projet privilégie l’action à la réglementation.

Illustration 25 : Synthèse de l’évolution du positionnement des différentes démarches prévues dans la législation française.
Illustration 25 : Synthèse de l’évolution du positionnement des différentes démarches prévues dans la législation française.

Cette schématisation permet de montrer le passage d’une approche spatiale de la planification urbaine à une démarche territoriale, en parallèle à un glissement des exercices purement programmatiques (tels qu’ils étaient définis dans la LOF) en direction de documents davantage « stratégiques » (sur la base de Paulhiac, 2005).

Deuxièmement, la planification stratégique implique l’abandon d’une logique linéaire normative (enchaînement de décisions et de réglementations), au profit d’une logique de processus (négociation, coopération, mise en cohérence des acteurs et des projets, sans référence à la théorie classique de la décision publique, qui définit celle-ci comme linéaire et rationnelle).

Enfin, si l’objectif poursuivi par les démarches de planification territoriale est toujours de parvenir à une cohérence processuelle (emboîtement top – down de documents cohérents entre eux, au risque d’être coupés du réel), dans la droite ligne des pratiques issues de la LOF de 1967, il s’agit également de répondre au défi d’une cohérence organisationnelle, où les enjeux sont la coopération des acteurs et la coordination des procédures.

Ces enjeux cernent la lecture contemporaine que l’on peut faire de la notion de cohérence entre urbanisme et déplacements. En 2003, une équipe de chercheurs menée par Vincent Kaufmann a précisément élaboré une grille de lecture de la cohérence territoriale132. Celle-ci intègre les questionnements sur les conditions d’existence d’une recherche de cohérence dans l’action publique abordés dans ce second chapitre, en clarifiant les définitions d’un triptyque coopération – coordination – cohérence.

Suivant en cela les apports des travaux de G. Dupuy, la recherche menée par V. Kaufmann propose d’abandonner la vision aréolaire de l’espace, qui a tant marqué la représentation de la notion depuis sa création, car « la double thématique de la mise en cohérence et de la coordination entre planification urbaine et offre de transport (…) suppose dans sa définition même de raisonner en termes d’accessibilités plutôt qu’en termes de surfaces133 ».

Dans l’approche réticulaire développée par Vincent Kaufmann, il ne suffit pas que les acteurs se coordonnent entre eux pour qu’il y ait intégration de l’urbanisme et des déplacements. Aussi, s’intéresser à la mise en cohérence, ce n’est pas se limiter à analyser les arrangements de gouvernance, mais également aborder les dimensions contextuelle et structurelle qui permettent le fonctionnement de scènes de négociation.

Comme le montre le schéma ci-dessous, l’analyse des dispositifs de cohérence s’intéresse au rôle des acteurs, au fonctionnement des structures et aux conditions contextuelles géomorphologiques, dans laquelle s’insère la scène de négociation. Celle-ci est analysée en dégageant trois dimensions emboîtées : la cohérence (qui renvoie aux objectifs) ne peut exister que s’il y a coordination des acteurs (ce qui renvoie aux procédures) ; il ne peut bien évidemment y avoir coordination des acteurs que s’il y a coopération entre eux (ce qui renvoie à leur attitude dans les procédures).

Nous retrouvons ainsi dans cette grille de lecture les trois entrées que nous avons abordées dans ce second chapitre : les objectifs globaux soulevés par l’injonction de cohérence, l’efficience des procédures de planification, et la coopération entre acteurs de gouvernements urbains marqués par d’importantes mutations institutionnelles.

Illustration 26
Illustration 26

(d’après Kaufmann et al., 2003)

La cohérence entre urbanisme et déplacements, notion jamais stabilisée, demeure problématique, au sens scientifique du terme, et révèle les débats qui traversent à l’heure actuelle la discipline, tant chez les chercheurs que chez les praticiens.

En questionnant l’efficience des exercices de planification des déplacements, puis en s’intéressant aux enjeux organisationnels que suppose la mise en œuvre de la loi SRU, nous avons précisé quels sont les éléments clés de l’analyse d’un PDU. Avec la grille de Vincent Kaufmann, nous disposons d’un outil de lecture clair et exhaustif pour une notion qui demeure, aux plans législatif et scientifique, dépourvue de définition et de mode d’emploi.

Avec l’aide de ces outils et questionnements, nous pouvons à présent nous intéresser à l’analyse détaillée d’un terrain d’étude, afin de mieux cerner la mise en œuvre de la loi SRU qu’un milieu local a élaboré par rapport à l’objectif global de cohérence entre urbanisme et déplacements. C’est ainsi que nous allons focaliser l’analyse sur un terrain original et riche d’enseignement : l’agglomération stéphanoise.

Notes
132.

Kaufmann et al., 2003

133.

Kaufmann et al., 2003, p. 19