Chapitre 3. L’agglomération stéphanoise, ou l’émergence d’un projet de territoire à partir de la question des déplacements urbains

Le deuxième chapitre de cette thèse a montré comment l’acception contemporaine de la notion de cohérence entre urbanisme et déplacements marque un changement de paradigme, en ce sens qu’elle appelle désormais une action publique organisée plutôt que des prises de décision. Du schéma spatial utopique à la convention territoriale d’action, la notion a évolué ces cinquante dernières années, entraînant un dépassement de l’approche fonctionnaliste et une mutation progressive – quoique pas encore achevée – des référentiels134 développés chez les élus et les professionnels de l’urbanisme.

La « remise à l’agenda » de la cohérence entre urbanisme et déplacements est le fait, nous l’avons vu, de l’Etat, à travers une tentative de relance nationale de la planification urbaine des agglomérations françaises, dans la seconde moitié de la décennie 1990. A cette injonction étatique d’organisation de l’action, ont ainsi dû répondre les intercommunalités et autorités organisatrices de transport de toutes les agglomérations françaises, quelles que soient leur taille et leur organisation politique : les communes ont amorcé la mutation de leurs Plans d’Occupation des Sols en Plans Locaux d’Urbanisme ; les intercommunalités se sont lancées, individuellement ou non, dans l’étude de Schémas de Cohérences Territoriales ; enfin les AOTU desservant plus de 100 000 habitants ont mis en chantier des PDU.

Même si un conseil méthodologique a été fourni par la puissance nationale pour les SCOT et les PDU, ainsi que nous allons le voir dans ce troisième chapitre, il ressort des cinq premières années de mise en œuvre des lois des années 1990, que chacune de ces réponses locales à l’injonction centrale est originale et territoriale, c’est-à-dire qu’elle a été formulée localement en fonction des caractéristiques politiques, socio-économiques, géographiques, des agglomérations concernées, ainsi que des capacités techniques et financières locales à amorcer de nouveaux exercices de planification. En ce sens, ces réponses sont donc assez différenciables des exercices de planification urbaine menés à l’époque de la LOF, dans un contexte centralisé.

Le deuxième chapitre de cette thèse a également montré que les travaux de recherche menés depuis la loi sur l’air, qui se sont intéressés à la création et à la mise en œuvre des réponses locales apportées à l’injonction nationale, ont été menés dans le cadre d’une démarche comparative, étudiant les PDU de plusieurs agglomérations françaises (voire en les confrontant à d’autres pratiques menées dans des villes européennes), afin principalement de pouvoir généraliser certains constats et de réaliser des classifications des démarches PDU et de leur mise en œuvre135.

C’est sur ces apports qu’a été engagée la présente recherche, à partir d’une entrée « évolution de la notion de cohérence entre urbanisme et déplacements ». Celle-ci permet d’approfondir, illustrer et administrer des preuves aux pistes de recherche ouvertes ces dernières années dans le champ de l’analyse des politiques publiques de déplacements et de la planification urbaine, sur une base monographique, c’est-à-dire se concentrant sur une seule agglomération.

Ainsi ce troisième chapitre va, en premier lieu, analyser en détail la réponse qui a été formulée, dans l’agglomération stéphanoise, à l’injonction nationale, en montrant le glissement qui s’est opéré au fil de la démarche PDU, d’une approche transversale très vaste vers l’élaboration d’un projet finalement très sectoriel, concentré sur le développement de l’offre en transports collectifs.

En second lieu, nous chercherons à expliquer les raisons de ce glissement de méthodologie et d’ambition politique, en termes géographiques, socio-économiques et institutionnels. La présentation de ces différents facteurs explicatifs permettra également d’expliciter les principales caractéristiques du territoire d’étude que constitue l’agglomération stéphanoise. Nous cherchons donc à comprendre, dans ce chapitre, comment les déplacements urbains ont été appréhendés pour créer les conditions d’un dialogue et d’une négociation pouvant déboucher sur une « plate-forme » de projet territorial, plaçant ainsi l’agglomération stéphanoise dans une recherche de cohérence entre ses formes urbaines et ses réseaux de déplacements.

Notes
134.

nous reprenons la définition de Jean-Marc Offner, qui parle de « visions cohérentes et partagées d’un monde sur lequel on souhaite agir ».

135.

ces travaux ont déjà été cités dans la première partie ; les travaux de J-M. Offner, C. Gallez, B. Jouve, F. Hernandez peuvent être considérés comme étant les plus « en pointe » sur cette thématique, et également les plus diffusés.