3.1.2. Le lancement du PDU stéphanois : une problématisation large

Le Plan de Déplacements Urbains initié en 1995 par le SIOTAS a bénéficié d’une méthodologie très classique sur la forme par rapport aux canons en vigueur chez les urbanistes et les aménageurs, et par ailleurs mise en avant par l’Etat, au travers des guides méthodologiques édités par le Certu, et qui constituent bien souvent la Bible des praticiens, comme nous allons le voir à présent. Il s’agit d’une élaboration marquée par l’enchaînement de phases allant du cadrage contextuel de la démarche à l’étude approfondie d’un projet. L’ensemble des ces phases est naturellement validé politiquement, par différentes instances que nous détaillerons dans le quatrième chapitre de cette thèse.

La démarche débute par une phase diagnostic, marquée par un travail conséquent de collecte de données et d’analyses sur un périmètre très vaste148, et sur des thématiques nombreuses : mobilité quotidienne, dépenses de transport des ménages et entreprises, enjeux environnementaux, problématiques urbanistiques et socio-économiques, etc.

Le diagnostic, présenté aux élus en avril 1997, est basé sur les données du Recensement général de la population mené par l’INSEE en 1990, et sur les résultats d’une enquête ménages – déplacements menée en 1991 sur 41 communes. Ceux-ci ont été complétés par l’élaboration d’un « Compte Transport d’Agglomération sommaire149 », réalisé par le groupement de bureaux d’études retenu par le SIOTAS pour mener l’étude du PDU. Nous sommes donc en présence d’un diagnostic dont les principales conclusions sont la perte généralisée d’emplois et d’habitants de l’agglomération, la fragilisation de ses centralités urbaines, l’explosion de l’étalement urbain sur les coteaux des vallées, dans la plaine du Forez et dans le nord de la Haute-Loire, et enfin la perte de clientèle du réseau de transport collectif urbain, au bénéfice de l’automobile, dont la part modale augmente en même temps que les vitesses et distances quotidiennes moyennes150.

Sur le plan urbanistique, le diagnostic décèle des « poches de pauvreté périphériques » et des « quartiers connaissant moins de difficultés sociales » ; nous verrons ultérieurement que cet embryon de typologie des territoires urbains n’a pas été utilisé pour le choix des objectifs prioritaires à traiter par le PDU. En revanche, la fréquentation du réseau STAS, « porte d’entrée » principale dans la démarche PDU, figure en bonne place dans le diagnostic, et restera un élément de justification publique important jusqu’à la validation du PDU. Le réseau est ainsi passé de 50 millions de voyages annuels en 1990 à 39 millions en 1997.

Le groupement de bureaux d’études conclut son diagnostic non pas sur des propositions concrètes en matière de transport collectif, mais sur des enjeux replaçant la problématique ouverte par le PDU dans une perspective beaucoup plus large. Il apparaît aujourd’hui que ces interrogations n’ont pas été traitées intégralement dans le projet final ; en revanche, il faut remarquer qu’elles démontrent que, dès 1997, les enjeux et problèmes abordés sous-tendent la nécessité d’une coopération intercommunale élargie, ainsi que l’élaboration d’un véritable projet de territoire global et pas seulement sectoriel.

‘1. Dans quelle mesure une politique de déplacements (et son volet TC) peut-elle sortir l’agglomération de Saint-Etienne de la crise ?
2. Comment conduire une politique de déplacements dans une ville « éclatée » en quatre ensembles ? (une ville-centre en déclin, une banlieue nord « riche » qui s’affirme et continue à croître, deux vallées en reconversion urbaine durable)
3. Y a-t-il une réelle volonté politique de se recentrer sur Saint-Etienne ?
4. Sur quelles bases afficher des priorités spatiales et développer des transports dans l’agglomération ?
5. Quels sont les leviers de la politique des déplacements qui permettent de redonner une attractivité aux tissus urbains anciens ?
(source : document de travail Beture / Systra / MVA, 1997)’

A la suite du diagnostic général, quatre thématiques bénéficient d’un approfondissement, entre juin et novembre 1997, réalisé par le groupement de bureaux d’études. Des hypothèses « d’axes lourds » sont étudiées, de même que les interactions entre transports et urbanisme, les modes doux151 et l’environnement.

Cette seconde phase d’étude a servi au défrichage de thématiques nécessaires à l’élaboration de scénarii, donc de propositions opérationnelles, et notamment de grands projets. La lecture de ces rapports montre, en premier lieu, que la réalisation d’un TCSP a été dès l’origine étroitement associée à la démarche PDU ; en second lieu, que les liens entre le projet urbain et le projet en cours d’élaboration par le PDU sont restés assez ténus.

Les hypothèses de TCSP ont étudié des solutions de tramways et de trolleybus guidés152 sur des itinéraires de lignes de bus du réseau STAS, dont l’importance de la charge pouvait justifier une étude d’opportunité. Signe de l’influence du projet urbain de la Ville de Saint-Etienne élaboré par Ricardo Bofill au début des années 1990, toutes les hypothèses cherchent à créer une ligne desservant le centre-ville sur un axe est-ouest, avec des origines / destinations à Couriot (gare du Clapier) et/ou à Châteaucreux, avec des prolongements envisagés soit vers la Métare par le Cours Fauriel, soit vers Montreynaud par le Technopôle.

Les « interactions entre urbanisme et déplacements » n’ont pas fait l’objet d’approfondissements aussi conséquents. Le rendu du groupement de BET153 se borne à illustrer l’emboîtement des échelles, de l’hypercentre à la Région Urbaine de Lyon, et à en cerner les principaux enjeux en termes d’urbanisme et de déplacements. C’est lors de cette phase de l’étude que « disparaissent » des réflexions les flux « périphérie – périphérie », et qu’est mentionné – pour la seule et unique fois dans l’ensemble de la littérature grise élaborée pour le PDU stéphanois – le risque de concurrence entre l’A 45 et la liaison ferroviaire intercités Lyon – Saint-Etienne.

Ces jalons historiques et méthodologiques étant posés, il nous faut maintenant questionner les protagonistes du lancement du PDU, lors de la période 1995 – 1996. Comment cette démarche a-t-elle débuté ? De quelle manière l’organisation de l’action, appelée par la loi, a-t-elle été mise en place ?

Jean-Guy Dumazeau, le « père fondateur » du Plan de Déplacements Urbains de l’agglomération stéphanoise, côté techniciens, rappelle que la démarche s’est structurée autour du problème de la baisse de fréquentation des transports collectifs urbains, et de la question du périmètre d’intervention publique :

‘La relance du transport collectif, qui était le problème à résoudre, c’était de dire aux élus « attention, on ne pourra pas vivre seuls ». Tourner en autarcie entre Saint-Etienne et les 14 communes autour, ça n’était pas raisonnable. Ca n’était plus du tout à l’échelle des problématiques posées. (entretien avec J.G. Dumazeau (SIOTAS))’

Le « problème à résoudre » porté à l’agenda politique local n’était pourtant pas perçu comme prioritaire par l’ensemble des élus et techniciens, y compris ceux qui étaient spécifiquement en charge des transports collectifs, ainsi que l’explique Patrick Moreau :

‘L’inscription de cette question à l’agenda politique local n’était pourtant pas une évidence, dans une agglomération traversée par une crise socio-économique durable.
La seule chose, c’est que rapporté aux conditions dans lesquelles certaines villes ont fait des PDU plus intéressants, dans des contextes plus porteurs, nous, qu’on soit arrivés à accrocher un peu l’intérêt des gens, alors qu’il y a tellement d’autres soucis sur l’agglo que la mobilité, puisque le réseau est plutôt bien classé, avec des ratios plutôt bons par rapport à d’autres agglos mais qui se fragilisaient, les gens auraient pu se dire « ça se passe encore très bien, donc on peut encore attendre pendant dix ans, avant de se mettre à réfléchir. (entretien avec P. Moreau (STAS))’

Il faut par ailleurs rappeler deux caractéristiques très prégnantes dans l’imaginaire des élus et techniciens stéphanois : en premier lieu, l’absence historique de planification urbaine supra-communale (avortement du SDAU puis du schéma directeur, quelques mois avant le lancement du PDU) ; en second lieu, la volonté politique de moderniser les structures du SIOTAS et ses relations contractuelles avec l’exploitant et avec ses partenaires institutionnels, qui s’est manifestée dès la prise de fonction de Michel Thiollière à la tête de la Mairie, à la suite de la démission de François Dubanchet.

‘Au départ, quand s’est lancé le PDU, ça n’était pas uniquement pour satisfaire aux obligations de la loi, puisqu’on n’était pas encore contraint de le faire. C’était aussi pour donner au territoire un premier document de planification, en terme de transport. A l’époque, on s’était assez strictement limité à la problématique transports, la seule chose qu’on avait fait, c’était aller au-delà des frontières. (entretien avec J.G. Dumazeau (SIOTAS))’ ‘Le SIOTAS était arrivé à la croisée des chemins, en 1995. Le gros mérite du SIOTAS, c’est qu’il existait. C’était un syndicat intercommunal qui regroupait 15 communes, donc c’était déjà une avancée significative, par rapport à d’autres projets intercommunaux qui eux n’existaient pas, et qui n’étaient pas organisés. (…) Donc le PDU de l’époque, son idée de départ était bien de partir de ce qui existait au SIOTAS pour irriguer l’agglomération, et d’imaginer l’évolution des transports. (entretien avec M. Thiollière (Maire de Saint-Etienne, Président de SEM154))’

Comment les acteurs impliqués définissent-ils le « Plan de Déplacements Urbains », qu’ils ont contribué à élaborer ? On peut résumer leurs visions individuelles autour d’un exercice de planification sectoriel, jetant les bases d’un projet à une échelle intercommunale, et dépassant le cadre temporel des mandats électifs. En cela, cette définition correspond assez bien à « l’esprit de la loi » SRU, et plus globalement à la tentative des années 1990 de faire évoluer la planification urbaine française.

‘Le PDU reste un document de planification. Je le vois plus comme un élément dont la vertu essentielle était d’arriver à un équilibre entre de la planification et le fait de subir complètement les choses. (…) Il n’y a pas vraiment de modèle complet entre la conception anglo-saxonne de la planification et une conception plutôt française ; il y avait pour moi l’idée de remettre à jour, de moderniser et de rendre un peu plus efficace cette notion de planification. Dans le PDU, la notion la plus importante pour moi est effectivement celle de plan. Quelque part, on est avec une version pragmatique, actuelle, pas dogmatique, avec l’idée qu’on prend le temps de réfléchir, on se donne un horizon et on essaie de respecter cet horizon. [entretien avec P. Moreau (STAS)]’ ‘C’est une démarche de planification prospective, sectorielle forcément, c’est aussi un plan de mandat où politiquement on affiche quelques objectifs – pas beaucoup, je trouve – quelques orientations, qui finalement donnent un cap, et permettent après, même si le document reste évolutif et a cette souplesse que vous évoquez, de garder un cap. [entretien avec P. Adam (DDE 42)]’ ‘La seule tendance que j’aurais tendance à récuser, c’est celle d’un plan de mandat, parce que ça ne correspond pas à un mandat, c’est au-delà, c’est au moins dix ans, ça fait suite à une étude qui a duré quatre ans, entre 1996 et 2000. On va à 2010-2015. (…) C’est la première démarche, aussi. Elle a précédé la démarche SRU, (…) c’est quand même un document précurseur. [entretien avec J. Frécenon (VP155 SEM)]’ ‘C’est un outil qui me paraît utile parce qu’il permet une réflexion à long terme. Donc ça ne se limite pas au temps d’un mandat, ça dépasse les limites des calendriers de nos mandats, donc ça inscrit une logique d’aménagement du territoire, au niveau des déplacements. Ensuite, ça oblige à une méthode de travail, donc au rapprochement des partenaires. [entretien avec M. Thiollière (Maire de Saint-Etienne, Président de SEM)]’

La question – sempiternelle dans toute réflexion ou planification urbaine – du périmètre d’intervention adéquat dans le contexte stéphanois ne s’est réglée qu’au fil des phases d’études, et des négociations successives entre acteurs. C’est ainsi qu’au sortir de la phase diagnostic, une scénarisation des « futurs possibles » a été réalisée, proposant des projets à différentes échelles géographiques.

Notes
148.

ici, l’aire d’observation de l’Agence d’urbanisme Epures, qui couvre une petite centaine de communes, à comparer à la quinzaines de communes membres de l’Autorité organisatrice, le SIOTAS

149.

SYSTRA / BETURE / MVA, CTAS, printemps 1997. L’objectif de ce travail était « d’analyser sommairement le financement des dépenses liées au transport dans l’agglomération stéphanoise, d’en apprécier les acteurs et de ventiler les différents bénéficiaires ». Il a également été présenté comme permettant « par la suite d’écarter les scénarios de déplacements éventuellement irréalistes du point de vue financier ».

150.

dans le même temps, l’efficacité et l’attractivité du transport collectif urbain s’est effondrée. La vitesse commerciale du réseau STAS est ainsi passée de 17,3 km/h en 1978 à 12,8 km/h en 1984 ! (données issues de SYSTRA / BETURE / MVA, Diagnostic, avril 1997.

151.

c’est-à-dire la marche à pied et le vélo, entendus comme mode déplacement urbain et non comme pratique sportive ou de loisirs.

152.

fréquemment et improprement dénommés « tramways sur pneus » (TVR de Bombardier, Translohr de Lohr)

153.

Bureaux d’Etudes Techniques, en l’occurrence Systra, Beture et MVA lors du PDU SIOTAS.

154.

par « SEM », il faut entendre Communauté d’agglomération Saint-Etienne Métropole

155.

par « VP SEM», il faut entendre Vice-président de Saint-Etienne Métropole