3.1.3. Une scénarisation de projets emboîtés dans l’espace et dans le temps

L’année 1998 a été consacrée à l’étude de trois scénarii – plus une variante, qui a finalement débouché sur le choix du scénario « BB’ » par le Comité syndical du SIOTAS en décembre 1998. Une nouvelle fois, la méthode d’élaboration des scénarii correspond aux habitudes de la profession : trois projets sont étudiés à partir d’une variante « volontarisme politique ». On retrouve donc un scénario fil de l’eau (poursuite des tendances observées et réalisation des « coups partis »), dénommé « A » ; un scénario très volontariste appelé « C » ; et au milieu un scénario « volontariste mais réaliste », plus connu sous le vocable « B ». L’ajout de la variante « B’ » élargit le projet à la vallée du Gier.

Illustration 31 : Le scénario A, poursuite des « coups partis » à l’échelle du SIOTAS : une focalisation sur l’amélioration de la desserte ferroviaire entre Firminy et Saint-Etienne.
Illustration 31 : Le scénario A, poursuite des « coups partis » à l’échelle du SIOTAS : une focalisation sur l’amélioration de la desserte ferroviaire entre Firminy et Saint-Etienne.

L’élaboration de ces projets a en fait permis de proposer au choix des élus des scénarii emboîtés dans l’espace et le temps, ainsi que le montrent les cartes ci-dessous. Nullement contradictoires entre eux, les hypothèses A, B, BB’ et C permettent de créer des « futurs possibles » à échéance de dix ans, donc de créer les conditions d’une négociation politique interne au SIOTAS mais également en direction des partenaires associés sur la scène créée. La question posée aux décideurs n’est plus de définir un projet global d’amélioration des déplacements urbains, mais bien de définir l’emprise spatiale du projet (SIOTAS pour le A, auquel on rajoute la vallée du Gier pour BB’ et la plaine du Forez dans le C), ainsi que l’importance des mesures opérationnelles portées par le document final.

Illustration 32 : Le scénario B, une démarche de projet associant relance des centralités urbaines et des transports collectifs, à l’échelle étriquée du SIOTAS.
Illustration 32 : Le scénario B, une démarche de projet associant relance des centralités urbaines et des transports collectifs, à l’échelle étriquée du SIOTAS.

Pour l’un des principaux initiateurs du PDU, l’élaboration de scénarii permet une certaine efficience en terme de décision politique, à défaut d’être originale dans le milieu professionnel de l’urbanisme et de la programmation :

‘La méthode des scénarios est assez rassurante, puisqu’on arrive à qualifier un certain nombre de visions des choses. Après, est-ce que les décideurs lisent tout intégralement ? Non, ça c’est clair… mais ça permet de faire travailler les élus, et de définir une dizaine d’enjeux. [entretien avec J.G. Dumazeau (SIOTAS)]’

La lecture des cartes n° 31 à 34 montre par ailleurs la transcription spatiale des priorités assignées par le SIOTAS au PDU : la relance du transport collectif sur les dessertes qui lui sont le plus favorables (flux centre – périphéries massifiés et desserte en TCSP de la zone centrale) et relance des tissus urbains des centralités historiques : la priorité de l’action publique doit porter sur l’accessibilité et l’attractivité du centre-ville de Saint-Etienne et, dans une moindre mesure, de Firminy, Saint-Chamond et des fonds de vallées industrielles de l’Ondaine et du Gier.

Illustration 33 : La variante BB’, qui décline le projet en y intégrant la vallée et les coteaux du Gier.
Illustration 33 : La variante BB’, qui décline le projet en y intégrant la vallée et les coteaux du Gier.

Les quatre scénarii ont été évalués et modélisé, selon des hypothèses réalisées par l’INSEE et par l’Agence d’urbanisme Epures. Il est important de noter à ce titre que ce sont les jeux d’hypothèses « volontaristes » qui ont été choisis pour les modélisations. Le postulat est fort, puisqu’il envisage, à l’horizon 2020, le maintien du nombre de ménages et d’emplois dans la ville de Saint-Etienne. Une modélisation informatique des déplacements à l’échelle de toute la région stéphanoise est alors mise en œuvre à partir du logiciel TRIPS, fourni par la société MVA.

Illustration 34 : Le scénario C, une tentative d’ouverture vers la plaine du Forez et la valorisation intégrale de l’étoile ferroviaire stéphanoise: un projet intégrant l’ensemble de la région stéphanoise mais une impasse politique ?
Illustration 34 : Le scénario C, une tentative d’ouverture vers la plaine du Forez et la valorisation intégrale de l’étoile ferroviaire stéphanoise: un projet intégrant l’ensemble de la région stéphanoise mais une impasse politique ?

Les résultats des différentes modélisations ont ainsi justifié publiquement la démarche de PDU initiée par le SIOTAS : si la part modale de la voiture individuelle se maintient dans tous les cas autour de 60%, seul les scénarii volontaristes BB’ et C permettent d’enrayer la perte de clientèle des réseaux STAS et TER (en se maintenant à 12 %). Une évaluation financière des scénarii, réalisée elle-aussi par les bureaux d’études, a par ailleurs montré que les projets BB’ et C, coûteux, nécessitaient une coopération intercommunale et une répartition des investissements entre collectivités156.

Les scénarii BB’ et C ont été ainsi utilisés par le SIOTAS et par la Communauté de communes Saint-Etienne Métropole (créée en 1996) comme outil de pédagogie et de négociation institutionnelle. Avec le projet BB’, Saint-Etienne Métropole bénéficie d’un périmètre d’intervention publiquement justifiable car défini comme cohérent, à une période où se nouent les tractations autour de l’élargissement de son périmètre. Avec le projet C, le SIOTAS peut tester l’hypothèse de création d’un Syndicat Mixte avec ses partenaires de négociation que sont le Conseil général de la Loire et les deux communautés de communes de la plaine du Forez, Pays de Saint-Galmier en rive droite de la Loire, et Forez-Sud en rive gauche.

Presque dix ans après l’élaboration de scénarii qui ont été repris dans la révision du PDU de 2004, et face au classicisme de cette méthodologie très répandue de mise en projet d’un territoire urbain, on peut s’interroger : un autre scénario que le médian (BB’) pouvait-il être choisi par les élus ? Rien n’est moins sûr, si l’on en croit le témoignage des principaux protagonistes.

‘Le A était repoussoir, et le C impossible… il dépassait le cadre institutionnel. Si on est honnête, il n’y avait pas beaucoup de choix. Mais au départ, on pouvait faire 6 ou 7 scénarios… Mais en accord avec Jacques Frécenon, pour être clair, on en a gardé 3, pour avancer , et parce qu’on a aussi un peu cédé à la facilité, avec un schéma habituel chez les techniciens : un scénario repoussoir, un impossible et un médian. C’était assez classique. [entretien avec J.G. Dumazeau (SIOTAS)]’ ‘Sur la révision de 2004, on est tributaires du premier PDU, c’est clair. Les scénarios du premier PDU étaient très empreints d’une culture DDE, qui fait qu’il y a toujours le scénario mirifique, impayable, celui vraiment mauvais, et puis un autre au milieu. Et puis un jour, à un comité de pilotage PDU, qui se tenait à la STAS, je ne sais plus qui a dit « ah, mais en fait, ça n’est pas 3 scénarios différents, c’est trois scénarios qui s’emboitent dans le temps. Si on est petit joueur, on fait le A, si on a un peu plus d’argent, on fait le B, et si on gagne l’euro-million, on fait le C ». Et spatialement, c’est pareil. C’est financier et spatial. [entretien avec S. Liaume (SEM ADT157)]’ ‘Le scénario au fil de l’eau n’est pas enthousiasment, on peut toujours le choisir pour éviter des grincements de dents. Mais je suis convaincu que le rôle d’un élu, c’est aussi de prendre des décisions risquées, et de conduire le changement. Le fil de l’eau, c’est être pantouflard. Ca peut satisfaire à court terme, mais ça n’est pas comme ça qu’on prépare l’avenir d’une agglomération !
Le scénario le plus ambitieux, le plus jusqu’au-boutiste, ça peut être très casse figure, si les populations n’y sont pas préparées : si demain on dit qu’on interdit toutes les voitures dans l’agglomération, ça peut être un scénario « généreux » mais peu réaliste : on fera fuir tout le monde à la périphérie, et on n’aura rien gagné ! Il faut donc trouver un équilibre pour tirer suffisamment de l’avant et donc entraîner la population dans le bon sens – il y a eu avant des réticences, sur le plan de circulation et la deuxième ligne de tramway ; aujourd’hui, plus personne ne me demande à quoi ça sert ! [entretien avec M. Thiollière (Maire de Saint-Etienne, Président de SEM)]’
Notes
156.

en termes d’investissements, le scénario A était évalué, en 1998, à 97 millions d’euros ; le BB’ entre 139 et 201 M€, et le C entre 211 et 300 M€ (sommes en francs converties en euros valeur 2002).

157.

par « SEM ADT », il faut entendre Service Aménagement Du Territoire de Saint-Etienne Métropole