3.1.4. Le choix du projet « BB’ » : un resserrement sectoriel

Le 17 décembre 1998, le Comité syndical du SIOTAS, mené par son vice-président Jacques Frécenon, a validé le choix du scénario BB’. Les grandes orientations étaient dès lors connues, et ont été approfondies dans la troisième phase des études menées par le groupement de BET : l’élaboration du projet. Celui-ci est réalisé à partir d’une liste de 7 actions, que l’on retrouvera dans le document final :

C’est sur la base de ce projet BB’ qu’ont été lancées les phases de concertation et de communication menées par le SIOTAS : exposition publique à l’automne 1998, consultation des personnes publiques à l’été 1999, et enquête publique à l’automne de cette même année. Nous reviendrons, dans le chapitre 4, sur la mobilisation des acteurs dans ces instances. C’est à l’issue de ces phases de concertation successives que le Comité syndical du SIOTAS a finalement approuvé définitivement le Plan de Déplacements Urbains en mars 2000.

Comment évaluer, aujourd’hui, le niveau de volonté politique contenu dans « BB’ », devenu le premier projet de territoire supra-communal de l’agglomération stéphanoise ? Si l’on se réfère à l’extension de périmètre, ou au choix de réaliser une seconde ligne de tramway et de relancer l’étoile ferroviaire au départ de la ville-centre, on peut répondre positivement à cette interrogation. Mais si l’on constate l’échec des propositions élaborées en direction de la plaine du Forez, ou bien le « silence » du projet par rapport aux projets autoroutiers à l’étude dans la périphérie de l’agglomération, il convient d’élaborer un avis nuancé. Qu’en pensent les protagonistes de la scène PDU ?

Pour les élus, ce scénario BB’, et le projet validé qui en a découlé, correspond à un subtil dosage de pragmatisme et d’ambition, c’est-à-dire qu’il répond le plus parfaitement possible à ce qu’ils peuvent attendre d’un exercice de planification urbaine : élaborer un projet, le partager avec leurs partenaires institutionnels et avec la population, et ainsi fixer des « caps » sans pour autant se lier définitivement à des objectifs trop précis, des calendriers trop serrés, des financements trop conséquents ou des partenariats trop délicats politiquement.

‘J’ai tout entendu sur le PDU. On a dit quelquefois qu’il n’était pas assez volontariste, qu’on n’était pas assez ambitieux… Bon, qu’il soit pragmatique… Moi, je me définis toujours comme pragmatique, donc… A mon avis, je ne saurais pas manipuler… J’ai toujours un peu de mal avec les concepts. Je ne suis pas un homme de concepts, je préfère être un homme de réalités et de terrain. Donc je crois qu’il est suffisamment ambitieux, parce que c’est quelque chose qui n’avait jamais été fait, parce qu’on était quand même dans une situation où on va dire que les années 70, 75, 80, 90, c’est des années où on a un peu laissé tout faire ! (…) Je crois qu’honnêtement, il correspond à notre territoire, il correspond à ce qu’il fallait faire à un moment donné. Après, on verra bien les ambitions plus grandes, ce qu’on peut en faire. [entretien avec J. Frécenon (VP SEM)]’ ‘Je dirais que c’est une démarche pragmatique. On sait très bien qu’on ne peut pas tout réaliser. Il y a les finances qui rentrent en ligne de compte. On sait très bien qu’on ne peut pas tout faire. Alors après, c’est vrai que ce qui est fait, il y a des choix. Il y a certaines choses que moi en tant que collectivité centre, j’aurais bien aimé qu’elles débouchent, mais bon, si elles ne bougent pas, je comprends parfaitement pourquoi. (…) Mais je dirais que malgré tout, l’essentiel y est. [entretien avec A. Chanal (Adjointe VSE158)]’

Sur le degré de volontarisme, les entretiens individuels, qui ont été menés dix ans après le lancement du PDU SIOTAS, permettent de déceler un décalage très net, chez les techniciens, entre les espoirs qu’ils ont placés dans la démarche à ses débuts, et le constat, plutôt objectif et lucide, sur la portée, tant « symbolique » qu’organisationnelle et opérationnelle du document, resserré de fait sur un projet très sectoriel :

‘Le PDU a quand même eu ce mérite là, sans faire un SDAU, de faire un document de planification qui a trait à l’urbanisme – ce n’est pas un document de planification de l’urbanisme, mais qui y a trait… De ce point de vue-là, c’est très ambitieux. Sur le plan d’avoir une stratégie partenariale, c’était très ambitieux. Après, le contenu… pour moi, il est un peu standard… Les angles d’attaque, on les connaît, on regarde les grands paramètres… [entretien avec A.C. Lieutaud (CG 42 Infra159)]’ ‘Pour moi, il n’y a pas de continuité dans cette problématique de départ, dans cette logique. Il y a eu à un moment divergence, rupture où l’on s’est écarté de ces éléments. (…) Les trois scénarios avaient leur chance. De fait, celui qu’on fait aujourd’hui, c’est le A, on ne fait pas le B. Ca prouve bien que le A avait de l’existence, puisqu’on en est resté à ce niveau là, si ce n’est qu’on est passé d’une ligne forte de bus à un tramway. (…) Les trois avaient leur chance, mais encore une fois, c’est l’attitude frileuse des élus et des décideurs, qui ont choisi une solution intermédiaire, pour ne pas choquer… [entretien avec P. Moreau (STAS)]’

De l’aveu même des techniciens de Saint-Etienne Métropole, c’est le pragmatisme politique qui est venu contrecarrer le volontarisme technologique et institutionnel du début de la démarche. Ces acteurs relativisent immédiatement leur « déception », en mobilisant dans leurs discours des arguments d’ordre financier sur le volontarisme du projet, que l’on retrouve fréquemment dans les discours d’élus.

‘On dit plus de choses, et on le dit avec plus de force. Mais il reste teinté de pragmatisme parce qu’on n’a pas pu inscrire un certain nombre de choses qu’en tant que techniciens on aurait bien aimé. Le pragmatisme, c’est plutôt les élus qui nous l’ont amené. Il reste quand même très volontariste en termes d’affichages financiers, parce que quand on regarde tout ce qui est inscrit… L’engagement de Métropole inscrit dans le PDU, c’est plus de 100 millions d’euros. Les partenaires extérieurs, c’est 100 millions d’euros aussi. Donc ce n’est pas un PDU petits bras. [entretien avec L. Meyer (SEM ADT)]’ ‘Il faut voir d’où on venait ! C’est la question du verre : moitié plein ou moitié vide. On a toujours envie d’aller plus vite… Mais derrière, personne n’avait anticipé le positionnement des parcs relais, le besoin de foncier… Donc pour moi, le B’, il est quasiment mis en place ! Bien sûr, on n’est pas à 100 % partout ! Mais aucun aménagement routier majeur ne s’est fait à l’encontre du PDU depuis son adoption. (…) Après, c’est la loi de Pareto : si on prend les questions de pollution de l’air et celles d’urbanisme, d’engorgement, de qualité de vie, on traite les 80 %, et on laisse tomber les 20 autres %, où les résultats seraient médiocres. Les 20 communes rurales de Saint-Etienne Métropole représentent 15 000 habitants. Les 20 communes urbaines représentent 360 000 habitants : voilà, il y a une logique d’action. [entretien avec S. Liaume (SEM ADT)]’

Il faut remarquer, en contrepoint de ces « dires d’acteurs » mettant en question le degré de volontarisme et la portée de la démarche PDU, que le projet approuvé en 2000 sur la base du scénario BB’ a été repris en 2004 sans avoir été amendé ; seules des thématiques supplémentaires ont été ajoutées au projet.

Notes
158.

par « VSE », il faut entendre Ville de Saint-Etienne

159.

par « CG 42 Infra », il faut entendre Délégation aux Infrastructures du Conseil général de la Loire