3.2.1. Un site contraint, une situation de « charnière » géographique

Au sein de la région Rhône-Alpes, nombreux sont les sites bénéficiant d’une reconnaissance géographique assez précise, tant chez les géographes que pour le grand public : vallée du Rhône, Sillon alpin, plateau de la Dombes, confluent du Rhône et de la Saône, lac Léman…

Dans cet ensemble régional, création administrative de l’après seconde guerre mondiale basée sur la compilation de départements issus de la Révolution française, le cas de la Loire demeure à part : séparé de la partie rhodanienne du Rhône-et-Loire en 1793 (soit trois années après sa création), le Département n’a eu de cesse de chercher et revendiquer une identité propre. Aujourd’hui encore, le logotype officiel de la collectivité locale jongle entre les références. Si le fleuve Loire renvoie, aux yeux de beaucoup de français, à une rivière sauvage débutant entre Nevers et Orléans, et débouchant vers Nantes – Saint Nazaire, le Département affiche sa dénomination de « Loire en Rhône-Alpes », allant jusqu’à reprendre le segment le plus occidental des huit « barres » symbolisant les Départements constituant la Région Rhône-Alpes, dans le logotype de cette dernière, abandonné début 2006.

Illustrations 35 et 36 : logotypes du Conseil général de la Loire (toujours en fonction en 2007) et du Conseil régional Rhône-Alpes (abandonné en 2006).
Illustrations 35 et 36 : logotypes du Conseil général de la Loire (toujours en fonction en 2007) et du Conseil régional Rhône-Alpes (abandonné en 2006).

Aujourd’hui, la Loire est un espace majoritairement rural, pourtant polarisé autour des bassins urbains de Saint-Etienne et de Roanne, eux-mêmes polarisés essentiellement par la métropole lyonnaise. Ainsi ce Département est ceint de frontières montagneuses (Forez à l’ouest, Lyonnais à l’est, Pilat au sud), avec un « centre » assez vide, puisque constitué par la plaine du Forez où s’écoule la Loire, espace assez peu polarisé et organisé autour de petites villes comme Montbrison ou Feurs.

La ville de Saint-Etienne, et plus globalement la région stéphanoise, ne dispose pas davantage d’éléments de reconnaissance géographique majeurs : elle n’est pas installée sur les bords de Loire mais sur un site marquant la limite de bassins-versants entre la Loire (Furan, Ondaine) et le Rhône (Gier) ; le site urbain est à la charnière des Monts du lyonnais et du Jarez, du massif du Pilat et des plateaux altiligériens marquant les débuts du Vivarais, de la vallée de la Loire et au-delà des monts du Forez. Saint-Etienne est ainsi l’une des « grandes villes » européennes les plus en altitude (516 m. à l’Hôtel de Ville ; 560 m. à Bellevue ; 480 m. à la Terrasse), marquée de plus par la présence de nombreux « crêts » et collines : la Cotonne, Beaubrun, Montaud, Saint-Priest, Montreynaud, l’Epare, le Crêt de Roc, Valbenoite, Beaulieu, Villebœuf… sans compter les terrils, héritage de l’exploitation du sous-sol par les Houillères.

Marquée par un site contraignant, Saint-Etienne est également en situation de charnière géographique et politique, dont témoignent les hésitations et les tiraillements entre les différentes dénominations entendues et utilisées : Ouest Rhône-Alpes, porte est du Massif central, pôle urbain du sud-ouest de la Région Urbaine de Lyon, Loire en Rhône-Alpes, Far West 161La ville-centre elle-même a hésité au fil des siècles sur sa désignation toponymique : Saint-Etienne en Forez ? Saint-Etienne de Furan ? Saint-Etienne en Jarez ? Saint-Etienne sur Loire162 ? ou Saint-Etienne tout court ?

Illustration 37 : Vue en 3D de l’agglomération stéphanoise
Illustration 37 : Vue en 3D de l’agglomération stéphanoise

(source : Google Earth). Une urbanisation ancienne guidée par la topographie, une contrainte dont s’affranchit l’urbanisation de ces vingt dernières années, au profit des coteaux et espaces ruraux.

Saint-Etienne n’a jamais été une capitale « régionale », contrairement à Grenoble ou Clermont-Ferrand par exemple. La proximité de Lyon, mais également l’histoire tourmentée des structures politiques locales sont des facteurs explicatifs de cette situation. Ainsi c’est Feurs qui est préfecture du Département de la Loire à partir de 1793163, puis Montbrison à partir de 1795. Ce n’est qu’en 1855 que Saint-Etienne accède à la fonction préfectorale164.

Illustration 38 : vue en 3D de Saint-Etienne
Illustration 38 : vue en 3D de Saint-Etienne

(source : Google Earth). On distingue aisément l’axe presque nord-sud de la « Grand rue ». Les collines ont été urbanisées progressivement, d’abord par les passementiers au XIXe siècle, puis par les tours et barres en béton des années 1960. A l’exception du puits Couriot au Clapier et des crassiers de Michon et de Méons, l’activité d’extraction minière a disparu du paysage.

La situation géographique de la préfecture ligérienne n’a en tous cas jamais semblé favorable aux stéphanois eux-mêmes : les rhétoriques d’enclavement et de cul-de-sac ne remontent pas aux débats contemporains sur l’opportunité et la faisabilité de l’autoroute A 45 ! Le rôle de charnière entre le Bourbonnais, le Massif central et la vallée du Rhône est perçu négativement. Il est vrai que les grands axes majeurs nationaux et européens ont toujours évité Saint-Etienne : les routes, voies ferrées, autoroutes et lignes à grande vitesse ont toutes privilégié des itinéraires plus à l’ouest (via Clermont-Ferrand), plus au nord (via Roanne), et surtout plus à l’est (axe Saône – Rhône). Ainsi la RN 7 rejoint Lyon par Tarare et l’Arbresle ; l’axe A 47 / A 72 n’est pas un itinéraire est – ouest majeur (et va être directement concurrencé, dans les années qui viennent, par l’axe A 89165 et par la Route Centre – Europe – Atlantique166 ; enfin les voies ferrées de l’étoile stéphanoise ne sont parcourues que par des TER. Aucun Corail ne dessert Saint-Etienne ; 4 allers-retours quotidiens en TGV rabattent la clientèle stéphanoise sur Paris via Lyon Part-Dieu, sans changement de train. En conséquence, tout trajet ferroviaire au départ de Saint-Etienne en direction de l’Atlantique, de la Méditerranée, du nord-est de la France, ou de l’aéroport de Roissy – Charles-de-Gaulle exige a minima une correspondance. Ainsi les modes aériens et ferroviaires sont-ils ceux où la dépendance vis-à-vis de la métropole lyonnaise est la plus explicite.

Bénéficiant de l’une des lignes TER les mieux cadencées de France (en direction de Lyon), au carrefour de trois axes autoroutiers ou quasi-autoroutiers (A 47 vers Lyon ; RN 88 vers le Puy-en-Velay ; A 72 vers Roanne et Clermont-Ferrand, Saint-Etienne est-elle vraiment un « cul-de-sac » et un pôle urbain enclavé ? Les raisons de ce sentiment récurrent sont sans doute davantage à chercher dans la qualité médiocre des infrastructures passées et actuelles (saturation des axes, profils géométriques inadaptés, etc.) Il est en tout cas certain que le spectre de l’enclavement du bassin stéphanois est une thématique récurrente des agendas politiques locaux : on peut ainsi rappeler que, déjà aux XVIIIe et XIXe siècles, le Département de la Loire et les Municipalités n’ont eu de cesse d’interpeler les Ponts et Chaussées, puis les services du Ministère de l’Equipement, sur les piètres qualités d’aménagement des routes nationales 82 et 88 !

Notes
161.

pour reprendre la terme popularisé dans les années 1970 par Michel Durafour, Maire de Saint-Etienne

162.

dénomination ayant existé quelques mois, lors de l’annexion de Saint-Victor-sur-Loire par Saint-Etienne, entre octobre 1969 et janvier 1970 (annexion de Terrenoire, en direction du Gier)

163.

c’est en 1793 qu’est séparé le Rhône-et-Loire en deux départements distincts

164.

Saint-Etienne est devenu un arrondissement en 1800

165.

« maillon manquant » Balbigny – la Tour de Salvagny, créant un axe autoroutier complet entre Bordeaux et Lyon

166.

la RCEA est une « grande liaison d’aménagement du territoire », en cours d’aménagement à 2x1 et 2x2 voies, reliant la Rochelle à Genève via Guéret, Moulins sur Allier et Mâcon (opération étalée sur plusieurs décennies).