3.2.4. « Saint-Etienne n’est plus dans Saint-Etienne » : conséquences spatiales des mutations socio-économiques du bassin stéphanois

La succession de crises sectorielles n’a pas été sans conséquences sur la démographie locale : Saint-Etienne perd des habitants depuis 1968, apogée où elle hébergeait 223 000 habitants.

Le tableau ci-dessous détaille, à partir du recensement général de la population de 1975, le déclin démographique de la ville-centre, mais également de son aire urbaine et de son arrondissement. A l’heure actuelle, Saint-Etienne continue à perdre des habitants, et retrouve à peu près son niveau démographique de l’avant seconde guerre mondiale. L’une des caractéristiques démographiques les plus inquiétantes pour Saint-Etienne, par rapport à d’autres agglomérations françaises, est que sa périphérie perd elle-aussi des habitants, malgré le phénomène de dispersion centrifuge des emplois et des logements à partir de la ville-centre, sur lequel nous allons à présent revenir.

Illustration 41 : Chiffres des recensements de la population entre 1975 et 1999 (Aire urbaine 1999 : 41 communes de la Loire et de la Haute-Loire ; arrondissement : 74 communes au sud du Département de la Loire)
Illustration 41 : Chiffres des recensements de la population entre 1975 et 1999 (Aire urbaine 1999 : 41 communes de la Loire et de la Haute-Loire ; arrondissement : 74 communes au sud du Département de la Loire)

« Saint-Etienne n’est plus dans Saint-Etienne », titrait Claude Cretin, professeur à l’Université Jean Monnet, en 1995. Personne n’a, depuis, mieux résumé l’évolution socio-économique de Saint-Etienne depuis les années 1960. « Le schéma fondateur de l’agglomération par l’urbanisation au XIXe, c’est-à-dire l’association usine – logement dans un cadre communal restreint, a disparu au profit d’une dispersion généralisée de tous ses éléments. La dissociation domicile – travail n’est plus pénalisante, elle est même valorisante, recherchée, et la plupart des personnes actives préfèrent éviter la vue de leur atelier ou de leur bureau depuis les fenêtres de leur logement ! 181 »

Illustration 42 : projet « Firminy Vert », imaginé par Le Corbusier et Eugène Claudius-Petit, Maire de la Commune
Illustration 42 : projet « Firminy Vert », imaginé par Le Corbusier et Eugène Claudius-Petit, Maire de la Commune

De la ville industrielle à l’étalement périurbain, des tentatives de rénovation urbaine ont pourtant été menées après la seconde guerre mondiale pour tenter de moderniser le modèle urbain stéphanois. Ici, illustration du projet « Firminy Vert », imaginé par Le Corbusier et Eugène Claudius-Petit, Maire de la Commune. Celui-ci déclarait dans les années 1960, pour expliquer le projet de grands ensembles : «  A l’extrémité de cette rue sans joie, presque ininterrompue, qui, de Rive-de-Gier en passant par Saint-Etienne, emprunte la vallée de l’Ondaine [sic], Firminy présente ses maisons noircies par les fumées des usines et usées par le temps. (…) Le site où la ville aurait pu s’étendre est occupé par les usines ; et c’est bien normal. Ici, le travail et la vie de chaque jour sont intimement mêlés. (…) Le sous-sol, aussi, commande. Son exploitation a dominé le développement de la cité… » (texte et illustration visibles à la Maison de la Culture de Firminy).

Saint-Etienne, comme nombre d’autres agglomérations françaises, entre à partir des années 1970 dans l’ère de l’étalement périurbain, rendu possible par la démocratisation de l’automobile individuelle et du pavillon familial, et par la hausse générale de la vitesse des déplacements de mobilité quotidienne : les distances parcourues chaque jour explosent depuis l’après-guerre, mais le temps moyen de déplacement entre domicile et travail est resté stable, de l’ordre de une heure par jour182.

La carte ci-dessous, qui est un document de travail utilisé lors de l’étude du Plan de Déplacements Urbains par le SIOTAS entre 1995 et 2000, reprend de manière simplifiée l’évolution de la tache urbaine. On peut y constater qu’après la seconde guerre mondiale, la ville de Saint-Etienne s’étire le long de son axe nord-sud, et que les vallées de l’Ondaine et du Gier forment un continuum urbain très étroit et séparé physiquement de Saint-Etienne. On recense quelques pôles villageois dans la couronne (Roche-la-Molière, la Talaudière, Saint-Jean-Bonnefonds…) et dans la plaine du Forez (la Fouillouse, Saint-Just, Saint-Rambert, Saint-Galmier…).

Illustration 43 : Carte de l’étalement urbain de la région stéphanoise entre 1955 et 1990 ; échelle approximative : 1 / 280 000
Illustration 43 : Carte de l’étalement urbain de la région stéphanoise entre 1955 et 1990 ; échelle approximative : 1 / 280 000e

(source : Agence d’urbanisme Epures)

Trente-cinq ans plus tard, le constat d’une conurbation stéphanoise apparaît clairement : l’urbanisation des fonds de vallée s’est propagée sur les coteaux de l’Ondaine et du Gier ; on ne distingue plus réellement de discontinuité entre l’Ondaine, Saint-Etienne et les communes de la première couronne nord-est. C’est dans la plaine que l’étalement urbain est le plus manifeste : l’absence de barrières géophysiques a favorisé un étalement en tâche d’huile : si l’on distingue encore les zones pavillonnaires des communes les plus occidentales et les plus septentrionales, le secteur allant de Sury-le-Comtal à Saint-Rambert, de Saint-Just à Andrézieux et Veauche apparaît désormais comme une nappe urbaine peu dense, peu délimitée et peu structurée.

Ce que l’on ne distingue pas sur cette carte, mais qui est pourtant bien réel, est le positionnement de vastes zones commerciales en périphérie de la zone urbaine centrale (à proximité des nœuds autoroutiers, tels Monthieu, la Croix de l’Orme ou Montravel – Ratarieux, ainsi que l’étalement concomitant des zones d’emplois, dont le desserrement profite avant tout aux communes périphériques : ainsi est-ce le cas des nombreuses zones d’activités de la plaine du Forez, mais également de celles de Molina – la Chazotte au nord-est de Saint-Etienne, de Malacussy et de Roche-la Molière à l’ouest de la ville-centre, de Saint-Chamond dans le Gier (Stélytec).

La carte n° 44 reprend quant à elle la consommation foncière opérée entre 1991 et 2003, uniquement pour l’habitat, à l’échelle du futur SCOT du Sud Loire. On y décèle à la fois l’importance de l’étalement centrifuge des logements, mais également la part très majoritaire des constructions individuelles, au détriment de l’habitat collectif, qui ne concerne que les secteurs urbains traditionnels (ville-centre et polarités secondaires telles Firminy, Saint-Chamond, Rive-de-Gier, Montbrison…).

Ces quelques éléments cartographiques sont autant d’indices d’un développement urbain bien moins maitrisé – ou à tout le moins assumé et encadré – de la région stéphanoise ces cinquante dernières années, situation très différente donc de la période précédente (1790 – 1940), où l’urbanisation s’avérait être galopante et créatrice d’assez mauvaises conditions de vie pour la classe ouvrière, mais semblait demeurer contrôlée politiquement, et urbanistiquement organisée. On peut dès lors chercher à comprendre comment s’est organisée – ou pas – la régulation urbaine dans l’agglomération stéphanoise depuis la seconde guerre mondiale.

Illustration 44 : Carte de la consommation foncière en Sud Loire entre 1991 et 2003
Illustration 44 : Carte de la consommation foncière en Sud Loire entre 1991 et 2003

(source : Agence d’urbanisme Epures)

Notes
181.

Cretin, 1995, p. 51

182.

sur cette thématique, cf. notamment Orfeuil, 1994 et 2000 et Wiel, 2002 ; ainsi que les résultats de l’enquête ménages – déplacements réalisée en 2000 pour le compte de Saint-Etienne Métropole.