4.1.3. Réorganisation d’une coalition d’intérêt menée par un nouveau leader : la révision SRU du PDU par Saint-Etienne Métropole (situation 2005)

Le troisième « palier » du dispositif local montre un remaniement en profondeur des domaines d’intervention « théoriques » des acteurs. L’Etat a débuté son retrait des infrastructures routières : vente des participations dans les SEM228 concessionnaires d’autoroutes ; préparation du transfert des routes nationales aux Départements ; abandon de fait 229 des DVA. La loi UH230 a assoupli plusieurs pans de la loi SRU (notamment par rapport aux outils de planification urbaine) ; la loi SRU demeure le cadre législatif et réglementaire de référence, mais sa portée a été très affaiblie depuis l’arrêt brutal, en 2003-2004, des subventions nationales accordées aux études de PDU, aux aménagements d’axes cyclables et aux créations de TCSP.

La Région a, parallèlement, fortement pris en main sa compétence « transports ferroviaires régionaux », en multipliant le nombre de circulations, en s’attelant au chantier de la tarification combinée avec les transports collectifs urbains, et en portant « à bout de ras » les volets ferroviaires des Contrats de plan, dont les taux de réalisation demeurent faibles, eu égard à la temporalité longue de ces projets231 et au tarissement des crédits étatiques.

Dans ce panorama contemporain, le Département apparaît en léger repli : sa compétence transports scolaires et interurbains se cantonne aux zones rurales et périurbaines. Les cars affrétés par le Conseil général ne desservent plus les agglomérations de Roanne et de Saint-Etienne ; seul un accord transitoire avec la nouvelle Communauté d’agglomération de Loire – Forez maintient sa compétence sur les secteurs de Montbrison et de Saint-Just – Saint-Rambert.

Fidèle à sa posture de maintien en retrait de la thématique des transports urbains, le Département ne s’est impliqué, sur la période, que dans la participation à un projet conséquent mais ponctuel : l’électrification de la voie ferrée Saint-Etienne – Firminy. En revanche, le Conseil général s’apprêtait à recevoir une délégation de compétence sur d’importantes routes nationales, au cours des années 2006 et 2007, ce qui tendrait à renforcer son rôle d’acteur à la charnière des enjeux d’aménagement du territoire et d’étalement périurbain de l’agglomération stéphanoise.

Si la loi SRU apparaît, déjà en 2005, en retrait au niveau national, elle demeure, au plan local, le texte de référence, dont les conséquences sont visibles dans l’agglomération stéphanoise. Les mutations institutionnelles, impulsées par les lois Chevènement et sur LAURE au cours des années 1990, apparaissent ici. Le SIOTAS a disparu, au profit de la Communauté d’agglomération, qui a notamment récupéré sa compétence d’AOTU232. Saint-Etienne Métropole est désormais compétente en matière de conseil en mobilité, de modes doux, de parcs relais, de pôles d’échanges, des TC urbains et des voiries communautaires. Les services de la Communauté se sont lancés dans l’appropriation des outils des planification : révision du PDU, déclinaison en PDS233, participation au SCOT, et rédaction d’un « volet communautaire » dans les PADD234 des PLU.

Face à la montée en puissance de l’EPCI, les communes ont su conserver la majeure partie de leurs prérogatives anciennes : le PLU n’est pas communautaire, peu de voiries ont été transférées à Saint-Etienne Métropole, et elles conservent leur compétence stationnement235, levier essentiel de toute politique de déplacements urbains.

Illustration 57 : Schéma de synthèse des compétences théoriques des acteurs dans les champs de l’urbanisme et des déplacements ; situation 2005.
Illustration 57 : Schéma de synthèse des compétences théoriques des acteurs dans les champs de l’urbanisme et des déplacements ; situation 2005.

Enfin, la seconde nouveauté dans le paysage institutionnel local est l’avènement su Syndicat mixte du SCOT Sud Loire, chargé, à la suite des travaux de la Conférence Sud Loire, de relancer une démarche de planification urbaine stratégique sur un territoire qui en a toujours réfuté l’intérêt. L’étude d’un SCOT autour de Saint-Etienne, Montbrison et Andrézieux-Bouthéon est donc la seconde conséquence importante de la loi Solidarité et Renouvellement Urbains. Si la tentative aboutit, elle consacrera l’émergence d’un échelon institutionnel supplémentaire, intermédiaire en taille entre le Département et les 4 EPCI constitués à la fin des années 1990 dans la région stéphanoise.

On peut retenir du panorama des compétences « théoriques » des acteurs qu’en l’espace d’une décennie – figuré ici en trois « paliers » successifs », le dispositif local de gestion et de mise en projet de l’urbanisme et des déplacements a connu une profonde réorganisation. Arrivé au stade contemporain de ces mutations, l’Etat apparaît en retrait général, même s’il conserve le pouvoir législatif et la faculté d’orienter – ou non – l’action publique locale en fonction d’incitations et de subventionnements.

La Région, souvent présentée comme l’échelon « d’avenir », est pratiquement absente des considérations d’urbanisme et d’aménagement du territoire. Elle est devenue un acteur majeur du monde des transports, avec la compétence sur les TER. Mais le retard des CPER et le transfert des routes nationales aux Départements plutôt qu’aux Conseil régionaux apparaît comme l’une des remises en cause de l’affirmation locale du rôle de Rhône-Alpes.

Le Département a entamé une mutation de ses compétences et de son organisation, avec l’affaiblissement de son rôle dans la gestion des transports collectifs. Mais cette perte est a priori largement compensée par le transfert dans son giron des routes nationales, qui contribue à relégitimer le rôle territorial de cet acteur, souvent présenté comme allant se recentrer, à l’avenir, sur une action de « guichet social local ».

Les EPCI, et particulièrement Saint-Etienne Métropole, apparaissent naturellement comme les « grands gagnants » de ces réorganisations institutionnelles. Ils cumulent les compétences et les domaines d’interventions. Dans le cas de la Communauté stéphanoise, les transports sont l’une des compétences « phares », alors que la désignation d’un projet urbain et d’un projet de territoire demeurent délicats : le premier ne peut être qu’étudié et mis en œuvre avec la Ville de Saint-Etienne et ses services ; le second est entravé par une faible marge de manœuvre : l’intervention de Saint-Etienne Métropole ne s’effectue que par l’intermédiaire du PLH ou de l’aménagement de ZAC236 et ZA237 communautaires.

Il ressort en effet que les communes, loin d’avoir été vidées de leurs compétences héritées de la décentralisation du début des années 1980, ont conservé l’essentiel de leurs champs d’intervention, dans l’urbanisme (PLU, ZAC, lotissements, permis de construire…) et le stationnement (police, réglementation, tarification) notamment.

Si l’on ajoute à ce panorama l’émergence du SM du SCOT, qui remplace le SEPAS238, exsangue en 1995 par l’avortement du projet de SD239, on aboutit à un renforcement des échelons institutionnels intermédiaires entre les communes et les collectivités territoriales « anciennes » que sont les Régions et les Départements, mais surtout à une multiplication des acteurs et au croisement de leurs interventions dans les champs de l’urbanisme et des déplacements. Si l’on prend l’exemple de l’aménagement d’un pôle d’échanges ferroviaire, tout projet sera nécessairement porté par l’AOTU et la Région, en collaboration avec la Commune et le Département, en cohérence avec le projet de territoire défendu par le SM SCOT, et appuyé par des subventions de l’Etat.

Cette complexité institutionnelle « théorique » se retrouve dans la réalité quotidienne des négociations et débats organisés par la scène créée à l’occasion de l’étude du Plan de Déplacements Urbains.

La révision anticipée du Plan de Déplacements Urbains, liée à la prise de compétence de la Communauté d’agglomération et à l’élargissement du périmètre de transports urbains, constitue une phase de positionnement des acteurs assez différente de celle qui l’a immédiatement précédé jusqu’en 2000.

En effet, la période 2001-2005 montre un basculement très net des instance organisées dans le cadre de la révision, au profit de la sphère civique. Si le nombre de réunions techniques demeure élevé, il apparaît clairement que l’enjeu majeur de ce second exercice collectif de planification des déplacements est d’affirmer la légitimité méthodologique et institutionnelle du nouvel acteur qu’est Saint-Etienne Métropole, qui a orienté le processus d’étude sur des négociations politiques avec ses partenaires (Département, Région, autres intercommunalités…) Le schéma n° 58 résume visuellement ce basculement du technique vers le politique.

La seconde explication de la moindre implication technique est bien évidemment à rechercher dans le fait que le diagnostic, les propositions et le projet ont été repris des études du PDU du 2000, et n’ont été ajustés et complétés qu’à la marge. Mais la simplicité de l’arborescence des réunions organisées dans la sphère technique ne doit pourtant pas masquer l’important travail fourni par ses membres : ainsi le « G 4 » n’a-t-il pas ménagé ses efforts afin de « pousser » les négociations autour des collaborations avec le Département et les intercommunalités de la plaine du Forez, par exemple autour de l’hypothèse de la constitution d’un Syndicat mixte de transport « SRU ».

On peut par ailleurs constater, à la lecture des figures 54 et 58, que l’architecture générale d’articulation des différentes instances d’élaboration du projet a été respectée ; sans doute l’expérience accumulée pendant la phase 1996 – 2000 a-t-elle été, en ce sens, bénéfique. En revanche, l’affirmation institutionnelle de la nouvelle AOTU – et la réorganisation des services qui s’en suit – se traduit par l’effacement complet de Jean-Guy Dumazeau. Le service des transports urbains (STU), émanation des anciens services techniques du SIOTAS, apparaît de manière marginale dans ce nouveau panorama des positionnements.

Il apparait en fait à l’observation que le suivi technique de la révision du PDU est marqué par un renouvellement de personnes : si le STU, transformation de la structure technique du SIOTAS, apparaît peu présente, c’est le service Aménagement du territoire de Saint-Etienne Métropole qui prend le relais, avec Sylvain Liaume et Ludovic Meyer, ancien chargé d’étude d’Epures. A l’Agence d’urbanisme, Brigitte Bariol a pris la succession de François Duval à la Direction, et Catherine Ruyant a remplacé Estelle Filippini à la tête du pôle mobilité – déplacements – transports.

Illustration 58 : Schéma de synthèse de l’implication des acteurs dans la démarche PDU entre 2001 et 2005 (Saint-Etienne Métropole).
Illustration 58 : Schéma de synthèse de l’implication des acteurs dans la démarche PDU entre 2001 et 2005 (Saint-Etienne Métropole).

Le second enseignement du travail d’observation, de collecte et d’entretiens est que cette seconde phase n’est pas marquée par des rencontres « officieuses » : les rôles de chaque acteur, et notamment celui des membres du cœur de la démarche, apparaissent mieux définis. Sylvain Liaume dirige le service aménagement du territoire de la Communauté d’agglomération, et est épaulé par un « chef de projet PDU », Ludovic Meyer, sur un poste créé pour l’occasion. Ce sont ces deux techniciens qui ont, au quotidien, des contacts avec les élus de Saint-Etienne Métropole, et notamment avec Jacques Frécenon, dont le rôle apparaît lui aussi clarifié. Devenu Vice-président à l’aménagement du territoire de la Communauté d’agglomération, et bénéficiant d’une confiance forte du Maire et Président, cet élu a désormais toute la légitimité officielle pour mener à bien la révision du PDU, au profit de la nouvelle institution.

Au cœur de la « bulle PDU », on retrouve donc le « G 4 », « club » des techniciens porteurs de la démarche. On y retrouve, chaque semaine, S. Liaume ou L. Meyer pour Saint-Etienne Métropole ; Catherine Ruyant pour Epures, Pierre Adam pour la DDE 42, et Patrick Moreau pour la STAS.

La DDE de la Loire, à travers son service transports – infrastructure, s’est investie très fortement dans la révision du PDU, sous l’impulsion d’Olivier Frérot, le Directeur Départemental. On retrouve donc Pierre Adam dans chaque instance PDU, à partir de 2002. Patrick Moreau, Directeur des études à la STAS, est tout autant investi sur toute la période, et assure, en quelque sorte, le lien entre les deux phases d’études du PDU et de sa révision : c’est le seul technicien qui ait suivi l’ensemble de la démarche, au long de la décennie. Mais, ainsi que le confirme l’intéressé, on peut considérer que la présence de P. Moreau à la STAS était le dernier héritage du travail d’équipe très rapproché entre le SIOTAS et la STAS lors de la période 1995 – 2000.

‘Ce n’est pas la STAS qui savait qu’elle rentrait dans un PDU. C’était plutôt certaines personnes. (…) On était tous dans le même bateau, et on ne pouvait pas distinguer ceux qui étaient STAS ou SIOTAS. [entretien avec P. Moreau (STAS)]’

Le « G 4 » a assuré le suivi et l’organisation des multiples « GT thématiques » organisés pour approfondir le projet initial sur certains aspects (marchandises, stationnement, financement, intermodalité, modes doux, etc.) C’est dans ces réunions très thématisées que l’on retrouve, dans la sphère technique, l’apport du service des transports urbains, de la Ville de Saint-Etienne, du Département ou de représentants d’associations (favorables aux transports collectifs, aux modes doux ; opposants à l’A 45…) et de lobbys (Fédération des artisans-taxis, du transport routier, du transport de voyageurs…)

Le « G 4 » dépend du Conseil de communauté de Saint-Etienne Métropole (et du Bureau), par l’intermédiaire du comité de pilotage restreint, qui s’est réuni trois fois pendant la phase d’étude de la révision, et six fois au total sur la période 2001 – 2005. Ce comité de pilotage, présidé par Jacques Frécenon, a été marqué par l’implication forte de la Ville de Saint-Etienne, en la personne d’Agnès Chanal, adjointe aux déplacements depuis la réélection de Michel Thiollière. La présence régulière de cette élue, et son positionnement volontariste par rapport aux projets examinés, crée donc une rupture par rapport à la période 1995 – 2000.

Déclinaison de ces réunions, deux comités de pilotage élargi ont été organisées en 2002 et 2003, alors que cette instance n’avait finalement jamais été utilisée pour le premier PDU. Ces réunions élargies sont l’occasion pour Saint-Etienne Métropole et pour ses partenaires du cœur de la démarche de présenter et soumettre aux débats des propositions – notamment de coopération interinstitutionnelle – aux autres partenaires de la sphère civique : intercommunalités, Département, Région, Communes.

Enfin, les mêmes réunions d’information, consultation et concertation qu’en 2000 ont été programmées tout au long de l’année 2003. On y retrouve les mêmes acteurs : communes, groupes politiques, association, CCI de Saint-Etienne – Montbrison, Conseil général de Haute-Loire, et population. La révision du PDU, menée en quelques mois sur 2002-2003, n’a donc pas été l’occasion d’un approfondissement des relations avec ces « acteurs périphériques ».

En conclusion de ces deux panoramas de l’implication des acteurs locaux dans la démarche d’étude des PDU stéphanois entre 1996 et 2005, on peut retenir l’importance capitale des membres de la « bulle PDU » : SIOTAS puis Saint-Etienne Métropole, STAS, Agence d’urbanisme, et DDE de la Loire à partir de 2002. Deux élus prédominent dans ces schémas : Jacques Frécenon sur toute la période, mais avec des légitimités différentes ; Agnès Chanal lors de la révision. Quelques techniciens se sont particulièrement investis : Jean-Guy Dumazeau pour le SIOTAS et Ludovic Meyer pour SEM, François Duval et Estelle Filippini puis Catherine Ruyant pour Epures, Patrick Moreau pour la STAS, Pierre Adam pour l’Etat.

A l’opposé, le Département de la Loire apparaît toujours en retrait dans ces instances, qu’elles soient de nature « civique » ou « technique ». Nous avons déjà vu que l’investissement de la Ville de Saint-Etienne avait été de niveau très différent selon les phases ; quelques autres communes ont suivi la démarche (le Chambon-Feugerolles, Firminy…) mais sans provoquer l’intérêt de leurs voisines. La Région Rhône-Alpes, fortement interpellée par le projet final, apparaît elle aussi en demi-teinte : peu de représentants présents, mais envoi de courriers officiels aux étapes stratégiques de l’étude, surtout entre 1996 et 2000.

Enfin, on ne peut oublier la faible place accordée à la population. Cantonnée à quelques réunions et à l’enquête préalable à la déclaration d’utilité publique, celle-ci a pu émettre des observations, critiques et propositions, qui ont pourtant été généralement classées « hors sujet » par la commission d’enquête, alors que plusieurs de ces avis étaient dénués de « phénomène NIMBY240 » et émettaient des idées a priori pertinentes, mais qui dépassaient le cadre politique défini à l’intérieur de la « bulle PDU »…

Notes
228.

Sociétés d’Economie Mixte

229.

les DVA n’ont jamais été finalisés ni officiellement abandonnés. Les projets routiers étudiés dans le cadre de ces démarches sont poursuivis sans qu’il y soit fait référence.

230.

Urbanisme et Habitat

231.

temps nécessaire aux projets ferroviaires plus long que pour les projets (auto)routiers, des études d’opportunité jusqu’à leur concrétisation opérationnelle

232.

Autorité Organisatrice des Transports Urbains

233.

Plans de Déplacements de Secteurs

234.

Projet d’Aménagement et de Développement Durables

235.

à l’exception du stationnement intermodal dans les pôles d’échanges, que la loi SRU attribue aux AOTU, à la Communauté d’agglomération donc, dans le cas présent

236.

Zones d’Aménagement Concerté

237.

Zones d’Activités

238.

Syndicat d’Etudes Pour l’Agglomération Stéphanoise, créé en 1991

239.

Schéma Directeur

240.

« not in my backyard, littéralement « pas dans mon jardin », terminologie résumant de nombreuses aspirations sociales à n’accepter les projets – même jugés utiles – que s’ils ne touchent pas la propriété et le cadre de vie de l’individu.