4.2. Des acteurs aux rationalités différentes, mais partageant des intérêts communs

La multiplicité des acteurs, la juxtaposition de leurs compétences, le croisement des financements sont des caractéristiques fondamentales de toute analyse contemporaine d’une action publique locale, ainsi que nous l’avons décrit dans la section 4.1. Pourtant, l’analyse fine du positionnement et de l’implication de ces acteurs dans une scène de négociation telle que celle du PDU, pendant une décennie, nous a permis de mettre en évidence des regroupements de protagonistes, des positionnements, des attitudes.

Les schémas 56 et 58 suggèrent un « effet club » créé par l’articulation des instances créées pour l’étude du PDU et de sa révision. Cet effet a des conséquences tant sur les acteurs – membres que sur ceux qui se tiennent – ou sont tenus – en dehors. Nous avons désigné l’intérieur du club sous le vocable de « bulle PDU » : à l’intérieur de celle-ci, on constate une forte convergence des motivations, justifications et objectifs poursuivis de ses membres. A l’extérieur au contraire, l’enjeu est d’associer, d’entraîner d’autres acteurs, qui partagent moins fortement cet horizon stratégique lointain, ou tout du moins les moyens d’y parvenir.

Telle une bulle de savon, le cœur de la démarche d’étude du PDU demeure fragile : sa stabilité interne – et donc sa condition même d’existence – est étroitement dépendant des aléas extérieurs. Or l’exercice de planification a, par deux fois en dix ans, abouti à une validation, puis à un début de mise en œuvre. Si l’évaluation de l’efficience de cette démarche sur le long terme reste à mener, ce constat n’empêche pas de rechercher, dès à présent, les modalités d’action collective qui ont permis à la démarche PDU d’aller à son terme.

C’est en ce sens que nous avons mobilisé, depuis le début de ce quatrième chapitre, la notion de coalition d’acteurs, définie rappelons-le comme un « groupe d’acteurs publics et privés stable qui coopère, pour initier et mettre en œuvre des actions visant à organiser territorialement le développement urbain 241  ».

La thèse soutenue dans cette partie du travail de recherche est qu’une coalition d’acteurs s’est formée autour de la démarche PDU. Elle dépasse le strict cadre sectoriel du transport collectif ; elle enjambe les périmètres institutionnels. Cette coalition est marquée par une relative stabilité, au long de la décennie étudiée : quelques acteurs s’ajoutent, certains restent en retrait, mais aucun ne réfute la scène créée ni ne refuse de négocier et de débattre. Elle est, enfin, ouverte à l’extérieur, c’est-à-dire aux acteurs que nous avons qualifié de « périphériques » : si l’implication de ceux-ci est demeurée modeste, les chambres consulaires, la population, les associations… sont autant d’acteurs qui ont été invités sur la scène, et qui ont pris part à sa production.

Celle-ci « tient » au partage d’intérêts communs : le premier, d’ordre législatif et institutionnel, est de « montrer » publiquement l’action et de justifier la légitimité des acteurs locaux en regard de l’Etat et des lois qu’il promulgue ; le second est d’ordre financier : l’implication dans une démarche de projet appelée par la loi SRU ouvre la possibilité de financer une partie (en certains cas non négligeable) des projets locaux par les subsides nationaux.

Au-delà de la démarche d’élaboration d’un projet sectoriel (volontaire au départ, puis contraint par la législation ensuite), il s’est agi, dans le cas du PDU stéphanois, de montrer (à l’Etat comme aux citoyens) qu’un saisissement des questions de déplacements urbains avait été opéré, et de bénéficier de subventions pour des projets opérationnels : électrification de la voie ferrée Saint-Etienne – Firminy, création d’une deuxième ligne de tramway, etc.

Illustration 59 : Synthèse du positionnement des acteurs au sein de la « coalition PDU » entre 1996 et 2001 (SIOTAS).
Illustration 59 : Synthèse du positionnement des acteurs au sein de la « coalition PDU » entre 1996 et 2001 (SIOTAS).
Illustration 60 : Synthèse du positionnement des acteurs au sein de la « coalition PDU » entre 2001 et 2005 (SEM).
Illustration 60 : Synthèse du positionnement des acteurs au sein de la « coalition PDU » entre 2001 et 2005 (SEM).

Mais il ressort des observations présentées dans la sous-partie précédente, que l’on ne peut considérer cette coalition comme monolithique, d’un seul tenant. Au contraire, on peut déceler, sur la scène de négociation du PDU, trois groupes principaux. Le rôle et les caractéristiques du « cœur de la bulle » ont déjà été présentés plus haut. Les « acteurs satellites » sont directement concernés par les propositions établies par le « cœur » ; elles prennent part aux débats et rencontres, sans pour autant être motrices dans la démarche.

Les « acteurs périphériques », enfin, sont consultés ou informés de manière encore plus ponctuelle. Leur avis, leur position, leur implication sont importantes, car leur adhésion conditionne fortement la réussite du projet PDU, à moyen et long terme (échéances électorales, évolution des parts modales des déplacements quotidiens, etc.) ; pourtant cette implication impacte peu, à court terme, les propositions ou la structuration de l’étude.

Les schémas 59 et 60 permettent de résumer le positionnement des acteurs, entre 1996 et 2005, dans le processus d’élaboration du PDU de la région stéphanoise. Tous partagent des intérêts communs et sont donc membres de la coalition, mais pas au même niveau. Ces différences sont en partie voulues, en partie subies par les acteurs. Ce positionnement correspond, en tout état de cause, à une tentative de vision d’ensemble, qui peut sembler erronée pour certains protagonistes, qui peuvent considérer différemment leur position dans cette coalition.

C’est pour cette raison que nous avons menés des entretiens individuels pour compléter cette approche d’un réseau local d’acteurs, entretiens que nous allons mobiliser de manière importante dans la description des rationalités qui émanent des acteurs impliqués, à différents niveaux, dans la démarche stéphanoise de Plan de Déplacements Urbains.

Notes
241.

Dormois, 2004, p. 43