4.2.1. Les AOTU : des maitres d’ouvrage en quête de légitimité

Comment les protagonistes de la scène jugent-ils le fonctionnement de celle-ci et leur positionnement au sein des instances ? Les principaux acteurs ont pu expliquer leur vision de la démarche PDU. Nous allons ainsi opérer un tour d’horizon de l’implication de chaque catégorie d’acteurs.

Comme nous l’avons vu précédemment, un seul élu a porté l’ensemble du processus d’étude du PDU, jusqu’à son vote en 2000 au sein du SIOTAS, puis à l’approbation finale de la révision en 2004, par le Conseil de communauté de Saint-Etienne Métropole. Mais Jacques Frécenon a débuté cette tâche sans être à la tête du Syndicat, ainsi que le rappelle le Directeur du service Aménagement du territoire de Saint-Etienne Métropole.

‘A l’époque du SIOTAS, le Président c’était P. Chauvet, qui avait été placé là par Michel Thiollière. Jacques Frécenon faisait le boulot, mais sans avoir été légitimé patron de l’affaire, un côté « grognard », donc. Dans le nouveau contexte institutionnel, Jacques Frécenon a toute la légitimité pour porter la démarche. [entretien avec S. Liaume (SEM ADT)]’

Au SIOTAS puis à la Communauté d’agglomération, le Vice-président à l’Aménagement du territoire a bénéficié d’une réelle confiance de la part de Michel Thiollière, les deux élus laissant de côté leurs différences de positionnement sur l’échiquier politique242, au profit d’une démarche de planification que chacun définit comme pragmatique et consensuelle, à l’image du fonctionnement de l’intercommunalité stéphanoise depuis sa création en 1995.

‘Jacques Frécenon a toute ma confiance pour mener à bien les projets de déplacements. Bien entendu, il arrive des moments où on a besoin de faire des points d’étape. On se rencontre, pour voir si l’on est bien en phase l’un par rapport à l’autre, si l’on est bien d’accord pour savoir ce que l’on veut faire. Moi, je suis là en tant que président de l’agglo, pour dire selon moi quelles sont les orientations à suivre, et on en discute avec Jacques Frécenon, en fonction du PDU d’ailleurs. C’est le PDU qui est notre cadre de travail. Ensuite on voit quelles sont les priorités et quels sont les moyens à mettre en place. [entretien avec M. Thiollière (Maire de Saint-Etienne, Président de SEM)]’

Lorsqu’en 1995 le SIOTAS s’est lancé, de manière volontariste, dans une démarche PDU, l’objectif initial était clairement cerné : dépasser le cadre de la ville-centre en définissant un projet politique, négocié avec les partenaires institutionnels, d’amélioration des déplacements urbains :

‘Le SIOTAS était arrivé à la croisée des chemins, en 1995. Le gros mérite du SIOTAS, c’est qu’il existait. C’était un syndicat intercommunal qui regroupait 15 communes, donc c’était déjà une avancée significative, par rapport à d’autres projets intercommunaux qui eux n’existaient pas, et qui n’étaient pas organisés. Donc, c’était le socle à partir duquel on pouvait bâtir la suite des événements. [entretien avec M. Thiollière (Maire de Saint-Etienne, Président de SEM)]’ ‘A l’époque, on s’était assez strictement limité à la problématique transports, la seule chose qu’on avait fait, c’était aller au-delà des frontières. On avait déjà pris conscience que ce n’était pas Saint-Etienne tout seul, ou avec sa proche couronne, qui étaient la bonne échelle pour réfléchir à ça. (…) Il y avait un certain niveau d’ambition en terme d’ouverture vers les autres. (…)
Après, comme on s’est bien rendu compte qu’il n’y avait pas de tradition de planification, avec l’échec aussi du schéma directeur, je m’étais dit qu’on se planterait un peu si on restait dans la philosophie d’un document de planification. Donc on l’a transformé, c’est toujours un document de planification, mais l’idée a été de descendre assez concrètement, de manière à ce que les élus, et Michel Thiollière pour être clair, puissent un jour en retrouver un bénéfice. [entretien avec J.G. Dumazeau (SIOTAS)]’

Cet objectif initial d’élaboration d’un projet politique dépassant les cadres institutionnels de l’époque était, dès l’origine, partagé par François Duval, Directeur de l’Agence d’urbanisme Epures, et par Patrick Moreau, Directeur des études à la STAS.

‘On était tous dans le même bateau, et on ne pouvait pas distinguer ceux qui étaient STAS ou SIOTAS. Alors après, le PDU s’est lancé comme ça, entre temps, on était content du démarrage de l’intercommunalité, parce qu’on voyait bien que le périmètre des quinze communes n’était pas pertinent, donc le PDU permettait d’aller à un périmètre plus intéressant. [entretien avec P. Moreau (STAS)]’

Si le SIOTAS ne pouvait souffrir d’un « complexe de légitimité » sur la question de la planification des déplacements urbains, il n’en a pas été de même pour Saint-Etienne Métropole, lors de sa prise de compétence transports. Ce constat est opéré par l’ensemble des techniciens interviewés :

‘Je pense que le SIOTAS était une institution qui fonctionnait relativement bien, avec des élus déjà maires ou élus dans 15 communes. Historiquement, le SIOTAS a toujours donné l’exemple d’un fonctionnement consensuel entre élus de tous bords politiques. [entretien avec J.G. Dumazeau (SIOTAS)]’ ‘L’enjeu politique, à mon avis, était surtout pour la commune de Saint-Etienne, beaucoup moins sur l’agglo, parce que la relation de l’agglo avec ses « citoyens » est beaucoup moins directe. Par contre, au niveau de l’agglo, un enjeu de reconnaissance, de positionnement, de dire « j’ai un rôle à jouer, et le PDU me donne le moyen d’affirmer mon rôle stratégique, de réflexion globale… [entretien avec A.C. Lieutaud (CG 42 – Infra)]’ ‘La motivation des services de Métropole par rapport à ce projet est évidente. Sur le fond, on est tous en phase, sur le plan technique. Politiquement, il y a eu consensus aussi, ça n’a pas été très attaqué. La motivation de la structure ? On est une structure encore jeune. Au niveau de la direction générale, le PDU correspond plus à une obligation légale, qu’on est contents de sortir à chaque fois. C’est un peu un bouclier qui justifie les actions et les protège. C’est une ligne directrice qui rassure. [entretien avec L. Meyer (SEM ADT)]’

Sur la question de la légitimité du nouvel EPCI, élus et techniciens de Saint-Etienne Métropole reconnaissent que « récupérer » un projet préétabli par un autre acteur peut être considéré comme un atout pour l’aboutissement de la démarche, mais également comme une difficulté supplémentaire pour « exister » sur la scène par rapport aux autres protagonistes.

‘Sur la révision de 2004, on est tributaires du premier PDU, c’est clair. Les scénarios du premier PDU étaient très empreints d’une culture DDE, qui fait qu’il y a toujours le scénario mirifique, impayable, celui vraiment mauvais, et puis un autre au milieu. (…) La création de la Communauté d’agglo a permis de passer du B au B’, sans avoir à retravailler le dossier. [entretien avec S. Liaume (SEM ADT)]’ ‘Il y a un réseau de transport urbain qui date des années 75 – 80. C’était le SITRAC d’abord, qui est devenu le SIOTAS, qui a cédé la place à Métropole. On a un réseau urbain qui est parti, je crois, de onze ou douze communes, qui s’est étendu à quinze. Et ça, on a 25 – 30 ans derrière nous, donc il n’est pas étonnant que les cinq ans de Métropole en tant que Communauté d’agglo n’aient pas permis de faire la même chose. [entretien avec J. Frécenon (VP SEM)]’

Notes
242.

M. Thiollière, membre du Parti Radical Valoisien, a été élu sous une étiquette UDF, avant que le mouvement ne s’affilie à l’UMP ; J. Frécenon, anciennement membre du PS, se définit aujourd’hui comme « divers gauche ».