4.2.4. Région et Département : des acteurs périphériques au positionnement fluctuant

Les protagonistes de la scène de négociation du PDU stéphanois confirment que les Conseils régionaux et généraux ne se sont associés à la démarche qu’avec difficulté :

‘On n'a pas forcément réussi à ce que tout le monde ait une implication aussi forte. C’est vrai que le cas de la Région, et même du Département, au moins pour leur compétence transport, ont été quasi-absentes lors de la phase d’élaboration, même s’il y a eu plus d’échanges avec la Région, dans les phases de finalisation, mais c’est toujours un peu tard. Ce n’est pas là que ça se joue. (…) Mais c’est quand même dommage qu’on n’ait pas eu d’apport ni du Département ni de la Région dans les phases de diagnostic et de détermination des enjeux. [entretien avec P. Adam (DDE 42)]’

De par sa compétence sur le transport ferroviaire des personnes, la Région Rhône-Alpes est pourtant un protagoniste obligé de la scène PDU, puisque le projet de développement est basé sur l’utilisation de l’étoile ferroviaire stéphanoise et sur l’amélioration de l’intermodalité.

Si le Conseil régional a voté favorablement le PDU de 2000 et sa révision en 2004, on ne retrouve pas de présence régulière de ses élus et de ses techniciens dans les différentes instances de la scène de négociation. En tout état de cause, le positionnement de la Région par rapport au projet stéphanois s’est révélé délicat sur toute la période, et le PDU n’a pas « purgé » les questions ferroviaires posées par le projet retenu.

Jusqu’en 2000, la Région a répondu positivement aux demandes d’amélioration des dessertes ferroviaires autour de Saint-Etienne, avec le cadencement Lyon – Saint-Etienne et l’électrification de la ligne jusqu’à Firminy. En point de mire, l’horizon stratégique lointain partagé par ces acteurs était une « phase 2 » du projet Saint-Etienne – Firminy, prévoyant une interconnexion entre tramway et voie ferrée à Bellevue, afin de faire circuler des trams-trains directs entre le centre-ville et Firminy, donnant ainsi tout leur sens aux objectifs initiaux du PDU (améliorer les transports collectifs et relancer l’attractivité des centralités urbaines traditionnelles).

L’historique contemporain du projet de tram-train stéphanois peut en fait se résumer à une succession d’atermoiements entre la Région et l’AOTU. C’est le SIOTAS qui en a émis l’hypothèse, dans le cadre du PDU, alors que les services du Conseil régional semblaient sceptiques245. Au début des années 2000, on assiste à un premier basculement dans le jeu d’acteurs : la Région devient favorable au projet, alors que les acteurs locaux douchent l’enthousiasme, devant les coûts du passage à un écartement des rails standard, à quelques mois du début des travaux de la plate-forme de la deuxième ligne de tramway urbain.

Les élections régionales de 2005, en modifiant la majorité politique au Conseil régional, font repartir le projet à zéro à Charbonnières246, alors qu’élus et techniciens stéphanois, commençant à envisager l’après deuxième ligne de tram, réaffirment leur intérêt pour l’interconnexion. Les élus stéphanois interrogés sur cette question résument ces « frictions » avec diplomatie :

‘La Région est dans une période de son histoire où son exécutif, que je connais bien, avec Bernard Soulage et Jean-Jack Queyranne, avait de grandes ambitions pour les transports, mais tout simplement se heurte à l’expérience de la gestion. (…) Aujourd’hui, j’attends de la part de la Région, qui est un partenaire important et indispensable, qu’elle clarifie sa position pour vraiment savoir ce qu’ils veulent faire, notamment sur le tram-train. (…) Mais je n’entends plus parler du tram-train, à la Région ! Je pense qu’ils calent sur les moyens financiers à mettre en œuvre, sur Grenoble, Lyon et Saint-Etienne. [entretien avec M. Thiollière (Maire de Saint-Etienne, Président de SEM)]’ ‘Je crois que sur l’aire urbaine de Lyon, il y a onze autorités organisatrices… sur Rhône-Alpes, je ne sais plus combien… Pour la Région, ça fait quand même quelque chose d’important. Moi, je n’ai pas de souci jusqu’à présent, avec nos interlocuteurs du Conseil régional, parce que je sais que leur volonté, c’est la même que la nôtre, d’aller vers un transport collectif efficace. Ils sont plutôt… prudents… plus prudents qu’on ne le souhaiterait, parce qu’ils ne voudraient pas se laisser entraîner dans des mesures qui les obligent après à les dupliquer, ou à les décupler, sur l’ensemble de leur territoire. C’est ce qui explique, de mon point de vue, leur côté un peu hésitant parfois. Mais je suis sûr qu’au fond on est sur les mêmes objectifs. [entretien avec J. Frécenon (VP SEM)]’

Chez les techniciens, le constat est identique, et les propos sont plus directs, ainsi qu’en atteste le témoignage de Patrick Moreau :

‘La Région, dans le PDU, s’est intéressée, mais avec deux phases. Une phase, qui paraissait très motrice, très attentive, montrant que par rapport à d’autres agglos, ici il y avait une effervescence, un peu de volonté, dans tout ce qu’on disait, ce qu’on pouvait écrire, ils avaient l’impression de s’y reconnaître. Mais comme on est un peu trop mous, trop laxistes dans la réalisation, eux ils ont fini par se lasser. Et puis au moment où nous on aurait eu besoin d’eux, manque de chance, ils nous ont un peu mis des bâtons dans les roues, en tous les cas pas aidés, et finalement, c’est devenu presque une opposition, indépendamment des aspects politiques. Même si avant, des élus d’ici étaient très présents dans les instances régionales, avant le changement de bord. Enfin, c’est du fait qu’on a trop dérapé dans le temps. [entretien avec P. Moreau (STAS)]’

Si le positionnement de la Région a été fluctuant au cours de la décennie écoulée, celui du Département a lui été plus constant, mais les relations avec l’AOTU ( et surtout avec Saint-Etienne Métropole à partir de 2001) n’ont jamais été bonnes. Celles-ci constituent un cas intéressant de débats menés sur la scène de négociation PDU, mais où les rivalités politiques et les différences de méthode et d’horizon stratégique lointain chez les techniciens ont créé un « fossé » entre les membres de la « bulle PDU » et les représentants du Conseil général de la Loire.

Nous reviendrons en détail sur les raisons et les conséquences de cet « affrontement » méthodologique et politique, dans les chapitres 5 et 6 (sections 5.2.1 et 6.2.1). Mais l’on peut d’ores-et-déjà confronter la perception du positionnement du Département sur la scène PDU, en accordant une large place à la parole des protagonistes. Celle-ci démontre le décalage de positionnement et de légitimation entre les représentants de la Communauté d’agglomération et ceux du Département :

‘Le Conseil général a été remis à sa place légitime, qui est la leur, et qui n’était pas la même avant qu’il n’y ait une AOT forte sur l’ensemble du territoire. Avec une AO compétente sur les transports mais aussi sur la voirie, sur l’aménagement, forcément, cette structure a pris cette place. Et forcément, a remplacé le Conseil général sur ces missions. Donc effectivement, ils ont perdu la main sur tout ça. S’est greffé là dessus le transfert des compétences sur les TC, avec des bisbilles politiques avec P. Clément, et ils ont perdu la main parce qu’ils manquaient de compétence là dessus. [entretien avec S. Liaume (SEM ADT)]’ ‘Le Conseil général n’adhère à rien du tout, le but du jeu c’est qu’il a un plan d’aménagement du réseau de voirie depuis des lustres dans la tête, et qu’il l’applique quoi qu’il arrive ! [entretien avec L. Meyer (SEM ADT)]’ ‘Si on a envie de ne pas être trop critique, on peut dire que le Conseil général de la Loire gère un Département qui est relativement compliqué, avec une partie nord, une partie sud, et évidemment une partie centrale qui est moins marquée. (…) En plus il a un argument qui compte en effet, en disant que la compétence transports sur le territoire métropolitain est à l’agglo, donc que c’est à l’agglo de le faire. Donc il ne faut pas compter sur lui pour prendre des initiatives sur notre territoire. Par contre, honnêtement, chaque fois qu’on a des initiatives fortes, contrats de plan Etat-Région, pôles d’échanges, contrat territorial avec Métropole, le Conseil général est quand même à nos côtés. Les engagements du Conseil général sont tenus. [entretien avec J. Frécenon (VP SEM)]’ ‘Dire qu’on n’était pas dedans, je ne sais pas quel était le noyau dur, mais on a toujours répondu présents ! (…) Un Conseiller général risque toujours d’être accusé de ne prêter qu’aux riches, et en particulier qu’aux agglos, vis-à-vis du reste du territoire. Donc le Conseil général fait très attention d’accorder autant « d’importance » aux agglos qu’au reste. L’inverse est sans doute vrai aussi. Quand les intercommunalités se créent, elles le font souvent aussi par opposition au Conseil général, en disant « on veut exister ! Si on veut exister, il faut tuer le cordon ombilical ! » Nous, on ressent ça assez fort, c’est assez curieux… C’est quelque chose que j’ai ressenti à travers les services, l’idée que même à travers les services de Saint-Etienne Métropole, il y avait des idées qu’il ne fallait pas dépendre des services du Conseil général en termes de réflexions, et qu’à la limite, si on n’était pas d’accords avec eux, c’était un bon moyen de dire qu’on était libres ! [entretien avec A.C. Lieutaud (CG 42 Infra)]’
Notes
245.

ce scepticisme peut s’expliquer par le caractère très innovant des technologies, des tarifications, de l’exploitation et des organisations humaines et institutionnelles que ce projet demande ; sur le plan technique et urbain, Saint-Etienne est un cas qui renforce la difficulté, puisque le tramway urbain n’a pas l’écartement de rails standard, qui est celui des voies ferrées RFF et de nombreux tramways français (1 mètre au lieu de 1,435 m).

246.

siège de la Région Rhône-Alpes