5.1.2. Le PDU stéphanois, un cadre d’action publique flexible

Le Plan de Déplacements Urbains de l’agglomération stéphanoise n’a pas défini un projet « bouclé » en 2000, valable 10 ans et intangible, tels les exercices de planification urbaine nés de la Loi d’Orientation Foncière. Au contraire, on peut le considérer comme un processus, plutôt qu’une démarche ponctuelle : les Plans de Déplacements de Secteurs et des réunions de suivi du PDU sont régulièrement organisées entre les acteurs depuis l’approbation officielle du projet. A travers trois exemples, nous allons également voir qu’il constitue un cadre d’action publique flexible, où les négociations et ajustements interinstitutionnels se poursuivent au-delà des phases officielles d’élaboration et de validation.

Citons en premier lieu la deuxième ligne de transport en commun en site propre, l’un des projets phares de la démarche. Nous avons déjà vu que cette ligne est issue des propositions de Ricardo Bofill, présentées comme le projet urbain de la ville de Saint-Etienne au début des années 1990. Si quelques scénarii testés par les bureaux d’étude ont réutilisé le tracé est-ouest proposé par Bofill, entre le Clapier et Châteaucreux, les partenaires investis dans l’étude du PDU (SIOTAS, STAS, Epures, Ville, DDE…) modifient très vite les hypothèses d’origine – destination. Ainsi plusieurs propositions de desserte en TCSP de Châteaucreux, du Technopôle, de la Métare et de Châteaucreux ont été élaborées, partagées, testées. Le projet final adopté en 2000 retient le principe d’une deuxième ligne Châteaucreux – centre-ville – Métare, dont le mode reste à définir (tramway, trolleybus guidé au sol, trolleybus classique).

Un choix politique à haut niveau est effectué après les municipales de 2001, phasant le projet en deux branches (centre-ville - Châteaucreux, centre-ville – Métare), et de choisir le tramway, afin de réaliser, à terme, un réseau de tramway permettant jusqu’à 4 origines / destinations249 (réseau dit en « H »). Ce premier choix échappe donc à l’étude du PDU stricto sensu  : il s’agit d’une décision passée par le filtre de la « scène portail », mais demeurée indépendante du cœur de la démarche proprement dit.

Quelques mois avant la révision du PDU par Saint-Etienne Métropole en 2003 – 2004, une nouvelle décision intervient, toujours déconnectée de la scène principale, quoique concordant à l’horizon stratégique lointain défini à l’origine (relancer l’attractivité et l’accessibilité du centre de l’agglomération, « épaissir » l’hypercentre jusqu’alors resserré sur la Grand rue, relancer la fréquentation du transport collectif…) : entre les places du peuple et Anatole France, le tracé nord-sud sera dédoublé de la Grand rue vers le cours Victor Hugo, avec une voie (et un sens de circulation) dans chaque sens…

En mai 2004, la révision du PDU est adoptée, prévoyant la deuxième phase du TCSP initial vers la Métare, ainsi qu’un prolongement Châteaucreux – Nord-est (Technopôle ou Montreynaud) dont le mode est à définir, et qui sera réalisé au-delà de l’échéance légale du PDU révisé (2014).

Illustration 63 : Travaux de la deuxième ligne de tramway, place Fourneyron, décembre 2005
Illustration 63 : Travaux de la deuxième ligne de tramway, place Fourneyron, décembre 2005

Mais deux ans plus tard, au moment de l’inauguration de la première phase, les élus semblent préférer un trolleybus pour réaliser la seconde phase du TCSP vers la Métare… voire réaliser l’extension nord-est avant. Il s’agit donc du troisième signe, en l’espace d’un seul mandat municipal, de la flexibilité du PDU, combinaison d’un projet à moyen terme (10 ans) et d’un horizon stratégique lointain.

Faut-il en conclure à l’inutilité du PDU ? Non, puisque tous les choix successifs, toutes les négociations menées depuis l’adoption du projet sont réalisées en référence à la « scène portail », sans incohérence fondamentale par rapport au projet global élaboré en partenariat depuis 1996. En revanche, il faut remarquer le pragmatisme et l’opportunisme politique – au sens du saisissement institutionnel, non au sens péjoratif commun – dont font preuve les élus locaux. Il n’y a plus de décision monolithique, « gravée dans le roc », prise par un grand élu, mais une succession de négociations / choix / saisissements d’opportunités, plus ou moins impulsées et coordonnées par un leader.

Un deuxième cas mérite d’être cité, en tant que révélateur des tensions interinstitutionnelles qui traversent le scène de négociation, et de la difficulté qu’a celle-ci de faire passer par son portail des projets d’échelle supérieure. La question de l’arrivée de l’A 45 au nord-est de Saint-Etienne brasse en effet les acteurs, les échelles, les scènes de négociation politique et les marges de manœuvre techniques.

Le projet A 45 constitue à lui seul un projet spécifique, doté de sa propre scène de négociation, qui de fait dépasse le cadre territorial du Sud Loire : les enjeux (négociation, financement, réalisation) se situent à Lyon (connexion de l’A 45 au réseau autoroutier national et notamment au projet de COL, insertion de l’axe sur le plateau de Mornant, saturation des A 7 et A 450 existantes…) et à Paris (concession de l’autoroute, concurrence avec le projet A 89, aura politique de Michel Thiollière au Parlement et dans les ministères…)

Des élus locaux, des groupes politiques et des associations expriment depuis plusieurs années leur souhait ou leur rejet du projet, certains avec médiatisation, d’autres avec argumentations. Mais jusqu’à l’enquête préalable à la déclaration d’utilité publique de l’hiver 2006-2007, ces prises de position locales n’ont pas trouvé de scène de négociation dédiée à ce projet.

Le PDU n’a pas davantage constitué un lieu de débat véritable sur ce projet entre 1996 et 2004 : partant d’une complémentarité avec le Dossier de Voiries d’Agglomération, étudié à la fin des années 1990 par les services de l’Etat, le PDU a repris les principaux projets autoroutiers alors mis en avant : A 45 Lyon – Saint-Etienne, Contournement Ouest de Saint-Etienne (COSE)… Comme nous l’avons vu plus haut, à aucun moment il n’a été question, sur la scène de négociation créée pour le Plan de Déplacements Urbains, de remettre en cause ces projets, ou d’en étudier les conséquences sur la répartition modales des déplacements à long terme et sur l’étalement urbain rendu ainsi possible.

Face à un débat peu accessible aux acteurs locaux, ces derniers ont fait du débouché stéphanois de l’autoroute une question clé des Plans de Déplacements de Secteur. Cette « sous-scène » a ainsi permis l’organisation de débats permettant à chacun d’exprimer son positionnement, de le confronter et l’adapter à celui des autres, et finalement à proposer des « visions d’avenir » contrastées, allant du rejet total à la création d’une 2x2 voies étanche au trafic local réalisée par le Conseil général, en passant par des solutions intermédiaires.

Illustration 64 : Tract de l’association de lobbying « priorité A 45 » : l’autoroute, planche de salut du Sud Loire ?
Illustration 64 : Tract de l’association de lobbying « priorité A 45 » : l’autoroute, planche de salut du Sud Loire ?

S’il n’y a toujours pas d’accord de tous les partenaires sur cette question, il faut remarquer que la mise à l’agenda de cette question dans la « sous-scène » PDS permet de faire avancer les études sans validation publique de premier plan, et qu’elle a permis de complexifier la question initiale. Ainsi une « simple » question d’aménagement de voirie entre Saint-Etienne et la Talaudière a permis de faire débattre sur la place, la vitesse, la desserte assurée par le transport collectif, mais aussi sur les déplacements quotidiens liés à l’étalement urbain sur les coteaux au nord de la Talaudière, et plus globalement sur le rôle, la place et l’avenir de chaque mode de transport.

On peut donc conclure, sur ce second exemple, que le PDU demeure un document flexible, qui permet le débat et l’ajustement institutionnel des protagonistes bien après sa validation « finale ». Le fait qu’il soit ainsi dépourvu de positionnement et d’engagements clairs sur certaines « sous-questions » peut donc être considéré comme une faiblesse structurelle congénitale, mais également comme un signe de maturité de l’exercice local de planification sectorielle : l’efficience de la démarche n’est-elle pas de permettre une négociation processuelle, plutôt qu’un accord ponctuel de tous les acteurs à un moment donné, très vite dépassé par l’enchaînement des études de projet et des échéances électorales ?

Le saisissement d’une opportunité de débat et d’étude de solutions par les acteurs locaux montre bien que la démarche PDU laisse des marges de manœuvre, saisies par eux au gré du fractionnement des instances publiques et informelles à différentes échelles géopolitiques…

‘Dans le cadre du SCOT Sud Loire, il faut entreprendre un travail lourd de reconquête des centres urbains, et de repositionnement de Saint-Etienne comme la ville-centre du Sud Loire. Notre projet de territoire, c’est aussi éviter l’étalement urbain, parce que c’est une source de gaspillage. Les liaisons avec Lyon, c’est une autre échelle, celle de l’aménagement du territoire. Ce n’est pas que Lyon – Saint-Etienne, c’est Lyon – façade atlantique et Lyon – Toulouse. [entretien avec M. Thiollière (Maire de Saint-Etienne, Président de SEM)]’ ‘Si on prend l’A 45, qu’est-ce qui est réaliste à l’époque actuelle ? L’A 89, c’est Pascal Clément, l’A 45 c’est Michel Thiollière… c’est un peu ça, non ? Je ne suis pas intimement convaincu que du nord de Lyon jusqu’au sud, on ait besoin de 3 axes transversaux est-ouest. Je suis par contre sûr que Saint-Etienne a besoin d’être désenclavée, ça me paraît assez évident. (…) Et politiquement, le PDU ne peut pas prendre position. Le SCOT ne prendra pas position non plus. Le PDU et le SCOT devraient être plus énergiques là-dessus. [entretien avec J.G. Dumazeau (SIOTAS)]’ ‘Ca pose un vrai problème de fond depuis le début. Les choses étaient un peu séparées du fait du DVA, donc on n'avait pas trop à se poser la question au départ, dans le sens où les rôles étaient séparés. Les grandes agglos extérieures étaient du domaine du DVA, si les DVA étaient montés en puissance, peut-être qu’ils auraient réglé eux-mêmes ces aspects, en disant d’office « là, il n’y a plus vocation à faire des trucs pendant vingt ans », moratoire avant d’avoir clarifié les espaces urbains avec la redynamisation de certains modes, et qu’on voie après si c’est pertinent. Après, on a essayé de s’en accommoder, les choses étaient parties comme ça. Au départ, dans le PDU, on ne parlait pas trop de voiries. Aujourd’hui, c’est le rôle inverse. [entretien avec P. Moreau (STAS)]’

Cadre d’action publique flexible, le Plan de Déplacements Urbains est, nous l’avons vu, un processus de négociation dans la durée, plutôt qu’un document réglementaire figé. Marquée par les apports successifs de diverses démarches, dialogues et choix (ou non-choix), la démarche stéphanoise apparaît également marquée par l’influence des motivations individuelles, donc des représentations véhiculées, confrontées et agrégées des différents protagonistes de la scène de négociation, ainsi que nous allons le voir à présent.

Notes
249.

Solaure – Hôpital nord, Châteaucreux – la Métare, Bellevue – Châteaucreux, la Métare – la Terrasse