5.3. Conclusion : la production d’une convention d’organisation, en réponse à l’injonction de cohérence

Les deux premiers chapitres ont défini les mutations de la notion de cohérence entre urbanisme et déplacements. Les chapitres 3 et 4 se sont ensuite attachés à montrer en quoi une démarche de Plan de Déplacements Urbains se trouvait au croisement entre une injonction nationale et une appropriation locale. Nous avons également montré pour quelles raisons l’agglomération stéphanoise était un terrain d’étude intéressant pour analyser le saisissement local d’une opportunité de négociation et d’adoption d’un projet de territoire, qui a longtemps fait défaut à Saint-Etienne et à ses vallées industrielles.

Débordé par des dynamiques socio-économiques centrifuges, et par une longue phase de déclin démographique et industriel, un « club » d’acteurs institutionnels stéphanois ont utilisé les déplacements urbains comme « cheval de Troie » : « dot » apportée à l’intercommunalité selon les propres termes de son maire, et porte d’entrée dans l’élaboration d’un projet politique supra-communal.

Le chapitre 4 nous a permis d’approfondir la méthode retenue pour lancer la démarche de planification sectorielle des déplacements urbains, qui a occupé tout un réseau d’acteurs pendant une décennie, à partir de 1995. Il ressort de cette démonstration que la création d’une scène de négociation PDU a engendré un projet à moyen terme (de l’ordre de la décennie), sur la base d’un travail de convergence des représentations et des positionnements de chaque acteur vers un horizon stratégique lointain et commun.

Comme tout exercice de planification urbaine, le PDU stéphanois a été voulu volontaire et pragmatique par les élus qui l’ont porté. L’analyse menée dans ce chapitre a permis de montrer, en premier lieu, que cet exercice avait avant tout créé une « scène – mère », ouvrant au débat et à la négociation interinstitutionnelle d’autres thématiques, d’autres projets, d’autres échelles d’action publique.

Dans un second temps, notre argumentation, basée sur une lecture tactique – stratégique de la démarche PDU, a vérifié l’hypothèse que la scène de négociation créée à cette occasion – qui a été le support de positionnements officiels et de rencontres plus officieuses - a poussé les acteurs qui s’y sont investis à adapter leur positionnement et à reformuler leurs justifications, en fonction de l’horizon stratégique lointain défini à l’amont de la démarche.

Ce résultat renforce donc notre hypothèse initiale stipulant que la réponse à l’injonction nationale de cohérence entre urbanisme et déplacements est davantage à rechercher en terme de structuration et d’organisation d’un réseau d’acteurs et d’un projet stratégique partagé, plutôt que dans une mutation morphologique des agglomérations françaises et de leurs réseaux de déplacement.

Dans un troisième temps enfin, ce chapitre a montré que la démarche PDU et le projet finalement validé sont fortement empreints de flexibilité interinstitutionnelle et contractuelle. On peut qualifier le Plan de Déplacements Urbains de cadre d’action publique souple, partenarial, destiné à répondre à une injonction de cohérence et de transversalité, et non pas comme un exercice de planification précis, calibré, mettant en scène un projet de cohérence fonctionnelle idyllique mais inopérant, tels les documents issus de la Loi d’Orientation Foncière.

L’analyse de plusieurs exemples concrets a pourtant pointé la difficile coopération des acteurs et coordination des procédures, conditions nécessaires l’une et l’autre à la recherche de la cohérence territoriale, ainsi que l’ont montré les travaux de Vincent Kaufmann.

L’ensemble de ces conclusions permet donc de conclure que la scène de négociation du PDU stéphanois a créé une convention d’organisation, c’est-à-dire, pour adapter la définition d’O. Favereau252, un ensemble de règles de formulation vague, dépourvue de sanction juridique, qui organise les relations entre un groupe d’acteurs au sein d’une scène de négociation, auquel les membres se réfèrent et qui influence leurs actions, en justifiant publiquement leur implication, au nom d’un intérêt général lointain.

Cette convention d’organisation apparaît comme l’une des réponses possibles d’un milieu local à une injonction nationale de relance des transports alternatifs à la voiture individuelle (loi LAURE), puis de recherche de cohérence entre urbanisme et déplacements (loi SRU).

Cette conclusion ne peut concerner que le cas de l’agglomération stéphanoise, dans le cadre de l’étude et de la révision du Plan de Déplacements Urbains, après une étude détaillée de l’organisation des instances de la scène de négociation, de l’engagement des différents acteurs et de leur positionnement, enfin des postures et justifications utilisées dans le fonctionnement des instances.

Pour généraliser, confirmer ou relativiser ce résultat de recherche sur d’autres terrains, il serait nécessaire de mener un travail d’analyse similaire. On peut néanmoins rappeler que d’autres travaux ont tenté d’évaluer « à chaud » (c’est-à-dire quelques mois ou années après la promulgation de la loi) les PDU LAURE ou SRU253.

Ainsi Jean-Marc Offner a montré, à la suite d’une étude basée sur une vingtaine de monographies254, que le principal intérêt de la relance des PDU au milieu des années 1990 avait été de remettre à l’agenda la question des déplacements locaux, en faisant évoluer les référentiels locaux dans certaines agglomérations, ou impulsant de nouvelles politiques d’agglomération dans d’autres cas. Pour le Directeur du LATTS, ces exercices de planification sectorielle n’auraient pas intensifié les réseaux d’acteurs préexistants. Au vu de l’analyse de la structuration d’un « club » d’acteurs dans le cas stéphanois, on peut relativiser cette conclusion, sur ce terrain d’étude précis.

La création d’une convention d’organisation par le PDU stéphanois est, par ailleurs, appuyée par les résultats de la recherche menée par Caroline Gallez dans quatre agglomérations, dont Saint-Etienne255. Celle-ci est dans une « logique intégrative », ainsi que nous l’avons décrit dans la section 4.3.1, avec une Communauté d’agglomération construisant sa légitimité de nouvel acteur à partir, entre autres, de la compétence transports.

Sur l’instrumentalisation des PDU comme outil d’habillage de grands projets de sites propres, analysée par F. Hernandez256, on peut remarquer que le PDU stéphanois est effectivement structuré par les projets de développement de l’étoile ferroviaire et la création d’une seconde ligne de tramway urbain.

Pourtant, si l’on ajoute à cette recherche une analyse des scènes de négociations connexes au PDU (Plans de Déplacements de Secteur, SCOT, PLU, etc. ), nous allons à présent voir, dans le sixième chapitre, que l’on peut considérer le Plan stéphanois comme une « scène portail », où la convention d’organisation diffuse ses « règles » sur d’autres instances locales de négociation, plutôt que comme un « cheval de Troie », où quelque projet s’habillerait d’outils issus d’un contexte législatif national favorable.

Notes
252.

Favereau, 1999

253.

cf. chapitre 1, sections 1.3. et 1.4.

254.

Offner, 2006

255.

Gallez, 2005

256.

Hernandez, in Yerpez, 2004