Chapitre 6. La planification des déplacements, une démarche « portail » vers un projet global ?

Le cinquième chapitre de cette thèse s’est achevé avec la mise en évidence des résultats organisationnels obtenus par l’animation d’une scène locale d’étude d’un Plan de Déplacements Urbains pour l’agglomération stéphanoise, à partir de 1996.

Ce résultat de recherche démontre également « en creux » que cette démarche partenariale n’a pas créé les conditions d’un nouveau modèle local d’urbanisation cohérent avec des modes de déplacements alternatifs à la voiture individuelle, pourtant attendu par les lois des années 1990, à travers la notion de cohérence de résultat, et présent comme imaginaire structurant les desseins urbanistiques de bon nombres de techniciens locaux, voire d’élus.

Aussi faut-il, à ce stade de notre argumentation, pointer le décalage, la tension permanente, entre trois conceptions de la notion de cohérence entre urbanisme et déplacements, que nous avons identifié dès le début de cette thèse.

La première approche est celle qui continue à structurer les imaginaires urbanistes. Faisant écho aux utopies fondatrices de la discipline (cf. premier chapitre), on peut la caricaturer en « urbanisme du fantasme », pour reprendre la formule de David Mangin. La seconde conception est celle qui structure « l’esprit des lois » urbanistiques des années 1990, et notamment de celle portant sur la Solidarité et le Renouvellement Urbains, qui appelle de ses vœux des réalisations cohérentes « sur le terrain », faisant écho aux représentations de « l’urbanisme du fantasme ». La troisième approche contemporaine de la cohérence entre urbanisme et déplacements renvoie directement à l’objet de la recherche initiée dans cette thèse : la réponse locale à l’injonction législative nationale, qui produit non pas « l’urbanisme du fantasme », ni même plus modestement « l’urbanisme du possible », mais plutôt une convention d’organisation, un « point d’accroche » pour un dialogue entre des partenaires institutionnels et civils aux motivations, légitimités et justifications pas toujours convergentes.

On peut alors affirmer que la cohérence entre urbanisme et transports, entendue dans sa première acception, est un mythe. Mythe fondateur, comme nous l’avons vu dans le premier chapitre ; mythe contemporain, en ce qu’il continue à structurer les représentations des acteurs et à justifier leur action quotidienne en la projetant à un horizon lointain ; mythe opératoire comme l’a montré le chapitre 5 : malgré l’absence de « mode d’emploi » dans l’injonction nationale, malgré l’ancienneté des théories fondatrices de l’urbanisme, malgré les échecs répétés des planificateurs urbains, et la crise que traverse le secteur depuis les années 1970, l’inscription à l’agenda politique local de la question des déplacements urbains et de ses rapports avec les autres dimensions sectorielles de l’action publique, un groupe d’acteurs s’est structuré, a travaillé, et a produit une scène, un « filtre », par lequel passent désormais les réflexions, les projets, les négociations sur cette thématique.

En ce sens, l’analyse du cas de l’agglomération stéphanoise décrit le PDU comme un « cadre d’action », une scène qui permet d’envisager tout à la fois l’horizon stratégique lointain et les projets opérationnels à court terme de chaque acteur qui s’y investit. C’est pour cela que ce sixième et dernier chapitre s’intéresse aux rapports entre le PDU stéphanois et les autres démarches de planification et de projet territorial en cours, entre l’échelle du nouvel acteur institutionnel qu’est devenu Saint-Etienne Métropole et les autres niveaux d’élaboration d’horizons stratégiques.

Depuis 2004, la Communauté d’agglomération cumule en effet le rôle d’établissement de coopération intercommunale et d’autorité organisatrice des transports urbains. Saint-Etienne Métropole est donc, « sur le papier », l’acteur central détenant les principaux outils et compétences pouvant mener à une cohérence de résultat entre urbanisme et déplacements. Ce sixième chapitre va questionner la réalité de ce constat sur le terrain, à partir d’observations recueillies avec très peu de recul historique, ce qui constitue la limite de cette recherche, mais ouvre des champs d’étude pour les années à venir.

Dans un premier temps, nous allons nous intéresser aux relations entre le projet validé dans le PDU et les autres démarches de planification élaborées au sein de l’agglomération stéphanoise, par la Communauté d’agglomération elle-même, ou par ses communes membres.

Nous pointerons ensuite la faiblesse du projet PDU quant aux scènes de négociations et aux projets qui dépassent l’influence des acteurs investis dans le PDU stéphanois : voiries départementales, projets de développement de l’étoile ferroviaire stéphanoise, création d’A 45 entre Lyon et Saint-Etienne.

Dans un troisième temps enfin, nous analyserons les relations entre le PDU et les exercices de planification conduits sur des échelles géographiques et institutionnelles plus larges, afin de définir si le PDU stéphanois peut conduire à une « montée en généralité » du projet de territoire initié par un petit groupe d’acteurs locaux, à partir d’une entrée très sectorielle.