6.1.1. Les PDS : un PDU déclinable et pédagogique, un apprentissage de l’intercommunalité

En 1995, André Vant écrivait, à juste titre comme nous l’avons vu dans le chapitre 3, que « tout confirme l’impossibilité de voir se constituer sur l’agglomération stéphanoise un territoire institutionnel de gestion et de planification urbaine 257  ».

Une décennie plus tard, nous avons constaté, au fil de cette thèse, la montée en puissance d’un nouvel acteur intercommunal, Saint-Etienne Métropole. Sur les bases méthodologiques jetées par le SIOTAS à partir de 1995, la Communauté d’agglomération a largement légitimé son existence et ses compétences, à partir de la planification des déplacements. Nouvelle autorité organisatrice des transports urbains, Saint-Etienne Métropole a repris l’exercice sectoriel PDU à son compte, en en faisant un outil accompagnant l’extension de son périmètre à la vallée du Gier et à la couronne stéphanoise.

Ce leadership récent sur la thématique des déplacements urbains n’a pourtant de sens que s’il est reconnu par les partenaires institutionnels participant à la scène PDU, mais également si les réflexions sont menées collégialement, sans « oublier » les acteurs des échelles inférieures.

C’est tout l’intérêt pédagogique et géostratégique des Plans de Déplacements de Secteur (PDS), tels qu’ils ont été lancés par Saint-Etienne Métropole au début des années 2000, ainsi que le rappelle Anne-Cécile Lieutaud, du service Infrastructures du Conseil général :

‘Ce qui est vrai, c’est que tous les partenaires ne sont pas au même niveau. Il y a quand même un partenaire qui porte, c’est Saint-Etienne Métropole. Il est à la fois moteur et demandeur, que les autres acceptent. Ceci dit, ça reste des espaces où on peut parler de cette thématique-là, et du coup ça reste un espace de partage où chacun peut à la fois s’approprier et dire ce qu’il en pense. Mais ça me paraît essentiel de dire que ce n’est pas un espace de réflexion où chacun est au même niveau. Il y en a un qui porte son projet, c’est Saint-Etienne Métropole. Pour qu’il puisse faire avancer son projet, le mieux, c’est que les autres soient d’accord, adhèrent aux principes, adhèrent à la validation, ou alors qu’ils acceptent da faire évoluer leurs projets pour qu’ils soient compatibles avec les autres. Je pense que les PDS font ça. [entretien avec A-C. Lieutaud (CG 42)]’

La méthodologie d’étude des PDS s’est basée sur celle développée, dans la seconde moitié des années 1990, par le Grand Lyon, qui avait alors cherché à territorialiser les principes d’action définis dans le PDU du Sytral258, et à réaliser un inventaire des actions pragmatiques à conduire à l’échéance du plan.

Le SIOTAS, puis Saint-Etienne Métropole ont repris à leur compte cet exercice de planification programmatique, en le concevant comme une déclinaison territorialisée du PDU. Si celui-ci affiche, comme nous l’avons vu précédemment, de grands principes d’action à échéance de dix ans et à l’échelle de l’agglomération toute entière, de nombreuses thématiques souffrent, dans le document validé, d’un manque d’objectifs chiffrés et d’une faible territorialisation des actions.

Quatre PDS ont ainsi été lancés par Saint-Etienne Métropole, et réalisés par l’agence d’urbanisme Epures, sur les grands « sous-secteurs » de l’agglomération : l’Ondaine, le Gier, la Couronne nord-est, et le « centre », c’est-à-dire Saint-Etienne et les deux communes de l’entrée nord que sont Villars et Saint-Priest-en-Jarez.

La méthodologie d’étude est restée très classique, enchainant des phases de diagnostic, d’orientations et de rédaction de « fiches actions », qui précise la nature de celle-ci, sa maîtrise d’ouvrage et, le cas échéant, le montant du projet et la clé de répartition du financement.

Ces Plans de Déplacements de Secteurs ont tous été validés en Commission puis en Bureau de Saint-Etienne Métropole entre 2005 et 2007, et sont censés « vivre » au moins jusqu’en 2014, à l’échéance du PDU révisé.

Sur le plan quantitatif, ces PDS sont un succès indéniable pour la Communauté d’agglomération : des dizaines de réunions ont été organisées pour débattre, essentiellement avec le Conseil général et les Communes, de la hiérarchisation du réseau de voiries, et des actions à mener en termes de déplacements urbains dans la décennie à venir. Pas moins de 251 fiches actions (dont certaines figurent toutefois dans plusieurs secteurs) ont été rédigées, constituant ainsi des documents programmatiques fixant une « feuille de route » commune à l’ensemble des acteurs locaux associés à la démarche.

C’est sans doute sur le plan qualitatif que l’analyse des PDS est la plus intéressante, en ce qu’elle renseigne sur la diffusion du « discours PDU » à différentes échelles, et sur les postures de chaque participant, certains ayant une démarche « proactive », cherchant à bénéficier de l’effet d’entrainement proposé par la montée en puissance de l’intercommunalité dans le champ des déplacements urbains, d’autres au contraire ayant adopté une attitude défensive, voire d’opposition à l’exercice de planification intercommunal. Pour S. Liaume, l’intérêt des PDS est d’expliquer la portée du PDU, et d’associer tous les partenaires à la mise en œuvre du projet :

‘Avec les PDS, l’objectif c’est de ne passer à côté de rien, de faire remonter des demandes qui ne sont pas dans la ville-centre, et de définir un calendrier de réalisation. C’est intéressant, parce que ça fait réfléchir les petites communes. Et l’enjeu des PDS c’est que tout le monde doit se mobiliser derrière le même objectif. Ce n’est pas l’agglo, comme autrefois l’Etat, qui est responsable de tout. (…) Tout le monde a sa part à prendre… C’est de la coproduction, c’est clair ! Et qui dit construction collective dit appropriation, donc pédagogie. Donc ce n’est pas le PDU de Saint-Etienne Métropole, mais celui de tous les partenaires. Globalement, les communes nous disent qu’elles sont contentes de retrouver une partie de leurs demandes dans les PDS, fruit d’une négociation. Les communes débattent, ça prouve qu’ils retrouvent des choses à eux. Ils ne s’en sont peut-être pas totalement emparés, mais c’est un début d’appropriation. [entretien avec S. Liaume (SEM ADT)]’

Au-delà du nombre de fiches actions rédigées, et de leur mise en œuvre sur le terrain, il apparaît en effet, grâce au travail d’observation participante menée depuis 2002, que « l’efficacité » des PDS est à chercher sur le plan pédagogique. La déclinaison territoriale du PDU a permis aux Communes de mieux comprendre le contenu et la portée du projet qui y est inscrit, et également d’en débattre les modalités concrètes de mise en œuvre au niveau local, ainsi que l’affirme Jacques Frécenon :

‘Je reprends volontiers le mot de pédagogie : on fait de la pédagogie avec le PDS. On décline le PDU à une échelle très inférieure. On a adopté les PDS de l’Ondaine et du Gier. Je ne sais pas jusqu’où va leur implication, mais j’ai l’impression que les collègues… J’ai beaucoup insisté pour que chaque conseil municipal adopte le PDS, sous une forme libre puisqu’il n’y a pas de contrainte ni d’obligation légale, ce n’est pas ça l’intérêt, mais qu’ils en fassent bien leur affaire. [entretien avec J. Frécenon (VP SEM)]’

Ainsi les conflictuelles séances de travail de hiérarchisation des voiries a permis, dans chaque sous-secteur géographique de la Communauté d’agglomération, que les deux visions antagonistes, et méthodologies concurrentes de Saint-Etienne Métropole et du Conseil général puissent être débattues et expliquées. Mais au-delà du classement des voies selon des principes fonctionnalistes, sur lequel nous reviendrons plus en détail dans la section 6.2.1, les débats ont avant tout permis de dépasser les visions d’échelle strictement communale qui prévalaient jusqu’alors, héritage de la mise en place très tardive d’une intercommunalité de projet dans l’agglomération stéphanoise.

Sur le plan des transports alternatifs à la voiture individuelle, les réunions PDS ont permis de faire remonter des problèmes et des propositions au niveau de l’autorité organisatrice, donc à celui d’une planification plus stratégique que programmatique. Ce point peut sembler presque anodin en comparaison d’autres agglomérations françaises où le travail intercommunal est plus ancien, mais apparaît pourtant de manière prégnante dans le cas stéphanois, où le SIOTAS avait largement développé une posture de « guichet », où chaque commune venait auparavant solliciter le Syndicat pour des questions souvent très ponctuelles ou très localisées, qui ne pouvaient en tous les cas prétendre, mises bout à bout, à créer un projet de territoire ambitieux.

Ce premier bilan « à chaud » des PDS initiés par Saint-Etienne Métropole permet de constater que la principale force de ces démarches programmatiques est également une faiblesse pour « l’intensité » de la poursuite du travail partenarial entre acteurs, au-delà des deux années d’étude de chaque plan de secteur : le caractère non contractuel des PDS a permis que les communes entrent dans la démarche – et au-delà, dans la dynamique de groupe créée autour du projet PDU – sans adopter de posture défensive ou hostile, et en prenant la mesure des possibilités de dialogue, d’interpellation et de négociation interinstitutionnelle. Mais le fait que les PDS demeurent non prescriptifs fragilise, sur le moyen terme (horizon pluriannuel), la poursuite du portage des « fiches actions », et au-delà, le maintien d’une scène de négociation « secondaire » par rapport au « document – phare » qu’est le PDU, mais territorialisant son projet, et mettant autour d’une même table la Communauté d’agglomération, le Département et les Communes.

Cette caractéristique est rappelée par Pierre Adam, de la DDE de la Loire, qui a suivi les quatre PDS, montrant ainsi la continuité de l’engagement de l’Etat local dans la mise en projet du territoire stéphanois, à partir de l’entrée thématique des déplacements urbains :

‘Si on n’avait pas cette instance des PDS, on aurait beaucoup plus de mal à trouver la cohérence descendante avec l’échelon communal. Donc ça me semble intéressant, notamment pour ça. ’ ‘Après, le fait que ce soit une déclinaison volontariste, ça en limite un peu la portée. Ceci étant, ça permet d’aborder des phases et des niveaux de précision qui sont rarement précisés dans les documents de PDU. [entretien avec P. Adam (DDE 42)]’

Sur la cohérence entre urbanisme et déplacements, les Plans de Déplacements de Secteur constituent un outil original d’animation d’une scène de négociation « secondaire » mais pas moins importante que celle du PDU, puisqu’elle contribue à renforcer l’intensité des relations entre acteurs. Mais les rapports entre la Communauté d’agglomération et les Communes ne se limitent pas aux réunions de travail sur les PDS, et concernent également la planification des sols, demeurée de compétence communale dans l’agglomération stéphanoise259, sur laquelle nous allons à présent revenir.

Notes
257.

Vant, 1995

258.

SYndicat mixte des Transports pour le Rhône et l’Agglomération Lyonnaise, AOTU du Grand Lyon

259.

au contraire, notamment, du Grand Lyon voisin, structuré en Communauté urbaine depuis 1969, qui a initié un Plan d’Occupation des Sols puis un Plan Local d’Urbanisme communautaire, mis en chantier dans la deuxième moitié des années 1990, et qui s’appliquait aux 55 communes qui la composaient, avant l’adhésion de Givors et Grigny au 1er janvier 2007.