6.1.2. Les déplacements urbains dans les PLU : une transcription opératoire de la cohérence urbanisme – déplacements ?

Depuis la décentralisation du début des années 1980, les Communes sont maitres de leur destin urbanistique, au travers de leurs Plans d’Occupation des Sols, devenus des Plans Locaux d’Urbanisme avec la loi SRU de décembre 2000.

La réforme récente de la planification du droit des sols a introduit l’obligation de réaliser, dans chaque PLU, un Projet d’Aménagement et de Développement Durable (PADD), document politique qui explique le projet territorial de la Commune (ou de l’EPCI) à horizon d’une ou deux décennies. Le PADD n’est plus opposable aux tiers depuis la loi Urbanisme et Habitat de 2003, mais il demeure le lieu d’une vision plus stratégique du projet territorial, chapeautant en quelque sorte le droit du sol proprement dit.

L’avènement des PLU en 2000 avait été conçu comme l’un des éléments de la recherche d’une meilleure cohérence au sein de l’arborescence de documents, typique de la planification urbaine française. Aussi les PLU sont-ils censés être le « bras armé » des documents d’échelles supérieures. Dans les faits, à Saint-Etienne comme dans toutes les agglomérations françaises, les PLU ont fréquemment été élaborés avant l’adoption des SCOT et des PDU.

L’emboîtement idéal, conçu par le législateur, n’a donc pas davantage d’existence concrète qu’à l’époque de la Loi d’Orientation Foncière, entre les SDAU et les POS. Dans l’agglomération stéphanoise, les Communes membres de Saint-Etienne Métropole disposent depuis l’adoption du PDU révisé d’un « porté à connaissance » rédigé par le service Aménagement du Territoire de la Communauté d’agglomération, reprenant les grandes orientations du PDU et du Programme Local de l’Habitat, ainsi que les projets figurant au PDS du secteur.

Mais au-delà de cette transmission officielle d’informations, chaque Commune reste compétente sur la définition du zonage de ses sols, hors contrôle de légalité effectué par les services de l’Etat. Le SCOT Sud Loire, n’étant qu’en cours d’étude, ne peut encore rien prescrire ou organiser en termes d’étalement urbain, de densité, ou de formes urbaines. Dans cette phase transitoire courant jusqu’à l’adoption du SCOT, envisageable au mieux en 2008, chaque commune doit effectuer une demande de dérogation auprès du Syndicat mixte du SCOT, en vue d’obtenir une dérogation à l’ouverture à l’urbanisation.

Or si les PADD des PLU intègrent désormais des références à la desserte – ou à la desservabilité – en transports alternatifs à la voiture individuelle des tissus urbains de la Commune, il est à noter qu’aucun critère relatif à la génération de déplacements ou à la desservabilité des terrains présentés en commission de dérogation ne figure, en 2006, dans la « grille d’évaluation », élaborée par le Syndicat mixte, utilisée par les élus siégeant dans cette commission, pour envisager les demandes de la manière la plus égalitaire possible.

Cette « lacune » est révélatrice des atermoiements permanents autour des réponses apportées localement à l’injonction nationale de cohérence entre urbanisme et déplacements. A l’échelle communale, les PLU affichent une vision politique et stratégique d’un territoire, où la génération de déplacements quotidiens est peu ou pas envisagée, et où la promotion de formes et densités urbaines rendant possible une offre de transport alternative (qu’il s’agisse de transport collectif, de service « à la demande » ou de modes « doux » sur des distances courtes), demeure une question peu traitée dans de nombreux documents. Cet état de fait est explicable par la recherche de compromis entre pression foncière, coûts, demande, viabilité des terrains… mais cela démontre également que « l’acculturation » des élus et techniciens communaux à « l’esprit des lois » des années 1990 promouvant la cohérence, la mixité, et la desservabilité en transports alternatifs à la voiture, ne se diffuse que lentement.

Cette difficile transcription communale de l’injonction de cohérence entre urbanisme et déplacements s’explique également par l’inversion temporelle d’étude des documents de planification, emboîtés « top – down260 »dans la loi, et concrètement réalisés selon un enchaînement « bottom – up261 ». Comment, à l’échelle communale donc sous la « menace » directe des électeurs – contribuables, mettre en œuvre une politique innovante conciliant renouvellement urbain, ouverture à l’urbanisation, mixité sociale et fonctionnelle, et promotion des modes alternatifs à la voiture individuelle, si ni le PDU ni le SCOT ne fournisse de discours clair, de prescriptions, et de « boite à outils » de mise en œuvre de ces principes d’action publique élevés au rang d’injonctions dans la législation ?

Dans le cas de l’agglomération stéphanoise, nous avons vu que le PDU a renvoyé au SCOT tout discours, tout encadrement, toute prescription ayant trait à l’urbanisme. Le projet urbanistique porté par le plan est « limité » à la relance de l’attractivité des tissus et centralités urbaines traditionnelles, notamment en améliorant leur desserte en transport collectif. Mais les principaux territoires dont les enjeux mêlent urbanisme et déplacements quotidiens se situent en première, deuxième voire troisième couronne des agglomérations françaises où, comme l’a mis en évidence Jean-Marc Offner262, les PDU ont abdiqué au profit du maintien d’un « modèle californien », basé sur le zonage fonctionnaliste des sols et les déplacements automobiles individuels, au profit d’une concentration des moyens dans les centres-villes, où le « modèle rhénan » est mis en avant, où mixité fonctionnelle, densité et priorité aux modes alternatifs à la voiture renvoient à « l’urbanisme du fantasme », qui structure bon nombre de représentations de la notion de cohérence entre urbanisme et déplacements, comme nous l’avons vu précédemment.

Aussi assiste-t-on actuellement à une litanie de dossiers de dérogation au blocage de l’urbanisation consécutif à l’étude du SCOT, à laquelle répondent les débats organisés au sein de la commission Aménagement du territoire de la Communauté d’agglomération, chargée de rédiger un avis pour les commissions de dérogation du SCOT. C’est dans ces instances que prennent corps les enjeux et les impasses soulevés par l’injonction nationale de cohérence entre urbanisme et déplacements. Au gré de débats, d’argumentations, de tractations politiques, l’ouverture à l’urbanisation de telles parcelles, de tant d’hectares se trouve conditionnée davantage à des rapports de force politiques qu’à des décisions dont la rationalité et la légitimité serait puisée dans les exercices de planification que sont, notamment, les PDU et les PLH.

Il serait aisé d’argumenter que ces impasses politiques, ces incohérences de résultat sont le fruit du non-respect du principe français de déclinaison en cascade de la planification urbaine. Ce serait oublier qu’aucun mode d’emploi et qu’aucune incitation financière – depuis 2002/2003 – n’est venue étayer ce principe méthodologique d’action publique, qui par ailleurs n’a jamais été réellement mis en œuvre, puisque les lois successives n’ont jamais imposé de suivre un ordre « descendant » dans la réalisation des différents exercices de planification.

Nous avons déjà eu l’occasion d’écrire dans cette thèse que le véritable enjeu de la recherche locale de cohérence appelée par la loi SRU est à chercher dans la création d’une coalition d’acteurs partageant des consensus et des intérêts dépassant largement le cadre sectoriel des déplacements urbains. En ce sens, on peut considérer que le projet sectoriel élaboré par la scène PDU n’est pas suffisamment « armé » pour jouer un rôle sur l’ouverture à l’urbanisation. Les sous-sections suivantes de ce sixième chapitre vont confirmer et élargir ce constat.

Notes
260.

que l’on peut traduire par « du haut vers le bas »

261.

que l’on peut traduire, à l’inverse, par « du bas vers le haut »

262.

Offner, 2006