6.2.3. PDU et projet A45 : une disjonction de scènes nuisible à la cohérence de l’action publique

Cette thèse sur la notion de cohérence entre urbanisme et déplacements ne peut avoir l’ambition d’analyser en détail le « serpent de mer » que constitue le projet autoroutier A45 entre Lyon et Saint-Etienne. Elle ne peut pourtant l’ignorer, tant ce dossier influe sur la vie politique stéphanoise et structure, en creux, le Plan de Déplacements Urbains de Saint-Etienne Métropole.

Nous avons déjà abordé brièvement ce projet dans le chapitre 5, en montrant comment les acteurs locaux investis dans le PDU et les PDS ont réintégré le projet A45 dans la démarche, alors que le document officiel prend grand soin de le laisser de côté. Il faut en effet rappeler que malgré les ambitions initiales du PDU de traiter l’ensemble des déplacements quotidiens de l’agglomération stéphanoise, de dépasser le périmètre des transports urbains, et de s’intéresser aux interactions entre mobilité et projet urbain, le document final enregistre sans les rediscuter les projets A45 et Contournement Ouest de Saint-Etienne (COSE), au nom de la cohérence avec le Dossier de Voiries d’Agglomération, alors étudié par les services déconcentrés de l’Equipement.

L’analyse conjointe des deux scènes de négociation montre clairement leur complète disjonction : les intervenants ne sont pas les mêmes, et la légitimation des projets s’opère à partir de registres et d’horizons stratégiques différents.

Le projet A45 correspond avant tout, en terme de trafic, aux échanges quotidiens entre les deux principales agglomérations de la Région Urbaine de Lyon, qu’il s’agisse d’hommes ou de fret. Pourtant une argumentation « rideau de fumée » a été développée, côté stéphanois, au fil des années d’étude de ce projet, en l’habillant d’une fonction de « maillon d’un grand axe européen », apte à « désenclaver » la région stéphanoise, pour résumer in extenso les discours développés par les élus locaux et les chambres consulaires (cf. illustrations ci-dessous).

Illustrations 69 et 70 : Le projet autoroutier A45, présenté comme le maillon d’un grand axe européen.
Illustrations 69 et 70 : Le projet autoroutier A45, présenté comme le maillon d’un grand axe européen.

A gauche, la couverture du journal de la CCI de Saint-Etienne / Montbrison (2003) : la région stéphanoise idéalement placée sur les axes Barcelone – Milan et Barcelone – Londres, au prix de quelques arrangements avec la géographie… ; à droite, l’A45 et la RN88 sur l’axe Séville – Varsovie, il semble ne manquer que la « banane bleue » de Roger Brunet pour arrimer Toulouse, Saint-Etienne et Lyon au cœur de l’Europe ! (document : Syndicat de l’axe Toulouse – Lyon).

La structure des trafics routiers actuels et prévisibles, étudiée tant par les services du Ministère de l’Equipement (CETE) que par l’Agence d’urbanisme Epures (modélisation « Cube »), démontrent pourtant la faiblesse du trafic de transit, confirmant implicitement que ce projet revêt avant tout la dimension d’une infrastructure de transport destinée aux flux internes à la RUL (que l’on peut évaluer à ¾ du trafic total attendu, cf. cartographie n° 64). En ce sens, rien ne justifie que le PDU de Saint-Etienne Métropole avalise le projet, sans même mentionner ses conséquences sur la répartition modale des déplacements ou sur les (re)localisations périphériques d’habitat et d’activités économiques que ce projet pourrait amplifier (cf. chapitre 2 débattant des impacts d’une infrastructure de transport).

Illustration 71 : Trafics routiers relevés en 1999, figurant dans le dossier d’avant-projet sommaire élaboré par l’Etat en 2003.
Illustration 71 : Trafics routiers relevés en 1999, figurant dans le dossier d’avant-projet sommaire élaboré par l’Etat en 2003.

L’importance des flux internes au bassin stéphanois d’une part, entre Lyon et Saint-Etienne d’autre part, apparaît clairement, alors que les flux de transit ne dépassent jamais 10 000 véhicules / jour. On peut relever que le dossier d’enquête préalable à la déclaration d’utilité publique, élaboré en 2006, ne présente pas de manière aussi détaillée la structure des trafics relevés sur A47.

Pourtant le PDU stéphanois avalise le projet. Nous sommes donc en présence, une nouvelle fois, d’une disjonction nette entre l’échelon de négociation du PDU, avant tout interne à l’agglomération, et celui du projet autoroutier, étudié par la DIR Rhône-Alpes, la DRE et le CETE à Lyon, avec des négociations financières nationales (choix d’un concessionnaire, débat sur la clé de répartition des participations financières de l’Etat et des collectivités locales). La réalisation du projet passe également par l’influence « parisienne » de l’élu qui en est le principal soutien, c’est-à-dire le Sénateur-Maire Michel Thiollière.

Illustrations 72 et 73 : Deux extraits de l’hebdomadaire stéphanois « la Gazette » (2005), qui résument la vision locale de l’A45 : un projet qui dépend des élus et décideurs lyonnais ; un dossier qui ne fait pas consensus, y compris côté ligérien.
Illustrations 72 et 73 : Deux extraits de l’hebdomadaire stéphanois « la Gazette » (2005), qui résument la vision locale de l’A45 : un projet qui dépend des élus et décideurs lyonnais ; un dossier qui ne fait pas consensus, y compris côté ligérien.

Ainsi que le montrent les illustrations ci-dessus, il apparaît que la projet A45 ne fait pourtant consensus ni chez les élus, ni au sein de la société civile : pour des motifs électoraux, environnementaux, financiers…, nombreux sont ceux qui appellent à un phasage du projet, ou à un renforcement des transports collectifs, ou à l’élargissement de l’A47 existante.

C’est en ce sens que l’on peut observer que le PDU n’a été l’occasion ni d’expliciter les intérêts attendus du projet, ni d’exprimer un discours fort sur les risques d’incohérence qu’il génère, tant en terme d’urbanisme que d’offre de transport.

Au final, il apparaît que la scène de négociation a réussi à structurer un réseau d’acteurs autour d’intérêts convergents et d’un horizon stratégique commun, à l’échelle intercommunale. En revanche, l’analyse des relations de ce groupe d’acteurs avec la Région (projets ferroviaires), avec le Département (transports scolaires, interurbains et hiérarchisation des réseaux de voiries) et avec l’Etat « régional » (DRE, SGAR, etc.) et « national » (Ministère de l’Equipement et des Transports) confirme notre hypothèse initiale de disjonction des scènes. Ces dossiers, ces débats échappent en grande partie à la scène PDU.

C’est pour cette raison qu’il nous faut à présent nous interroger sur les cohérences et incohérences qu’engendre le positionnement de la scène PDU stéphanoise avec les scènes supérieures d’élaboration de projets de territoire, que sont les SCOT, la DTA et les relations au sein de l’aire métropolitaine lyonnaise.