6.3.1. Le SCOT Sud Loire : ultime tentative de création d’un projet de territoire pour la région stéphanoise ?

Dans la réforme des outils de planification urbaine engagée dans la deuxième moitié des années 1990, le SCOT constitue, pour un territoire, le sommet de la « cascade » d’exercices prévus par la législation. Censé être élaboré avant tous les autres, c’est également le plus délicat à conduire, en ce qu’il correspond, dans l’esprit de la loi SRU, à l’échelle d’expression d’un projet de territoire, d’une stratégie de développement, traitant tous les thèmes, sur un périmètre vaste, c’est-à-dire ou moins un EPCI, et idéalement plusieurs.

Ce périmètre large, et la problématisation des choix de développement étendue à l’ensemble des secteurs traditionnels d’action publique (déplacements, habitat, développement économique, environnement, aménagement du territoire, etc.) rendent complexe l’étude des SCOT, d’autant qu’une nouvelle fois, l’Etat n’a pas véritablement fourni de « mode d’emploi » ni de « boite à outils » pour que ces exercices de planification atteignent les objectifs fixés par la loi.

Même s’ils sont censés dépasser le cadre du zonage fonctionnaliste des sols tel qu’il était pratiqué dans les SDAU et Schémas Directeurs, les SCOT conservent une vocation de définition des secteurs à ouvrir à l’urbanisation, des zones urbanisées à renouveler, etc., avec une « arme » nouvelle prévue par la loi SRU : le conditionnement de l’urbanisation à la desserte – ou à la desservabilité – en transports collectifs.

Dans la pratique, aucun SCOT n’a été étudié et promulgué avant la validation des PLH et PDU intercommunaux, et des PLU communaux, renversant complètement l’ordre des compatibilités prévues entre documents de planification.

L’agglomération stéphanoise ne fait pas exception à ce constat national : PLH et PDU ont été élaborés puis révisés avant que le SCOT n’ait abouti ; parallèlement, de nombreuses communes ont engagé la révision de leur POS pour en faire des PLU. Ces constatations amènent ainsi deux questions :

Illustration 74 : Un SCOT pour 4 EPCI et une commune. Le PDU correspond au seul PTU existant dans la région stéphanoise, c’est-à-dire au périmètre de Saint-Etienne Métropole. (NB : le titre de la cartographie renvoie aux illustrations 32 et 33 du chapitre 3)
Illustration 74 : Un SCOT pour 4 EPCI et une commune. Le PDU correspond au seul PTU existant dans la région stéphanoise, c’est-à-dire au périmètre de Saint-Etienne Métropole. (NB : le titre de la cartographie renvoie aux illustrations 32 et 33 du chapitre 3)

Le cas de la région stéphanoise est en effet intéressant à analyser par rapport à notre questionnement sur la recherche de cohérence entre urbanisme et déplacements : l’organisation institutionnelle du territoire couvert par le SCOT Sud Loire explique que seules 43 des 110 communes sont couvertes par un document de planification des déplacements (PDU de Saint-Etienne Métropole268).

S’il est encore prématuré d’analyser le contenu du futur SCOT, il est déjà possible d’observer que l’existence d’un PDU sur une partie du territoire entraine une fracture pédagogique et réflexive entre les différentes entités territoriales qui le composent. La maturation des enjeux de déplacements urbains, la structuration d’une problématisation croisée transports / localisations / formes urbaines apparaît clairement plus forte chez les élus et techniciens des communes de Saint-Etienne Métropole que dans les autres territoires.

C’est un signe visible de l’impact « pédagogique » et organisationnel de la démarche PDU : une scène de négociation et un horizon stratégique commun ont été créées, un projet a été validé. Cette distinction a également un effet pervers sur les négociations au sein du SCOT : en l’absence de projet structuré sur les autres composantes territoriales du Syndicat mixte, les documents de planification, les argumentations, les projections du territoire sont marquées par un tropisme « Saint-Etienne Métropole », aggravé par la tendance de ses représentants à se placer « au-dessus » ou « en avance » par rapport à leurs interlocuteurs.

Ce constat est plus particulièrement valable sur les groupes de travail chargés des déplacements et des réseaux de transport au sein de l’étude du SCOT. Mais on peut également observer l’influence, en creux, du PDU stéphanois sur le traitement des interrelations entre urbanisme et déplacements.

L’absence de discours argumenté, de choix clair, de territorialisation du Plan de Déplacements Urbains sur ces interrelations dans les espaces urbains périphériques et en voie d’urbanisation, ne favorise pas aujourd’hui les groupes de travail SCOT à statuer sur les conditions de desserte des territoires et sur la délimitation de lieux dont l’urbanisation correspond aux « canons » de la loi SRU que sont les tissus urbains denses, caractérisés par de faibles distances entre habitat et services et par une bonne desserte en transport collectifs, c’est-à-dire hérités des propositions des « nouveaux urbanistes », telles que nous les avons présentées dans le chapitre 1.

Les entretiens réalisés avec les principaux protagonistes de la scène PDU confirment, en premier lieu, l’apport de celui-ci dans la recherche d’une « montée en généralité », qui dépasse son projet sectoriel. Chez les élus, Mme Chanal et M. Frécenon font ainsi le lien entre ces différentes scènes :

‘C’est très dur de trouver une transversalité, de faire travailler les gens ensemble. Sur le SCOT, on voit très bien les limites de ce travail là, par secteur. (…) Donc il faut travailler avec l’attractivité résidentielle, avec le développement économique, la solidarité territoriale… J’ai bien vu, sur le transport, à un moment, qu’il n’y avait plus rien à dire – c’est vite dit… C’est tellement lié avec le reste ! [entretien avec A. Chanal (Adjointe VSE)]’ ‘Le PDU, c’est un véritable projet de territoire… C’est une armature d’un projet de territoire. (…) Et avec le SCOT, tout se tient. Les différentes lois qui se sont succédées et qui aboutissent à la loi SRU, qui est quand même le couronnement de l’édifice, ces différentes lois vont toutes dans le même sens. [entretien avec J. Frécenon (VP SEM)]’

Les techniciens confirment, de leur côté, que l’hétérogénéité territoriale et institutionnelle des collectivités composant les SCOT Sud Loire complique la définition d’un projet stratégique partagé. A ce titre, le propos de J.G. Dumazeau, l’un des « pères » du PDU SIOTAS et actuellement Directeur du Syndicat Mixte du SCOT, rappelle la difficulté de « jongler » avec les échelles et les horizons temporels :

‘Sur les 117 communes du SCOT, il y en a 100 qui sont rurales ou périurbaines. Ces maires, on leur demande beaucoup, et de plus en plus… et leur fonctionnement, c’est de dire qu’ils connaissent avant tout leur commune. Ce sont des gens disponibles, dévoués ; le travail de leur commune leur prend un temps énorme. Et ils ont fonctionné pendant 10 ans, 15 ans, avec un système relationnel qui est le guichet du Conseil général, donc du canton. On allait voir le Conseil général pour refaire la toiture de l’école… Maintenant, on leur dit « attention, vous avez un échelon intercommunal, Loire Forez ou Métropole. Métropole, je le mets à part. Mais Loire Forez n’a pas de projet de territoire. On demande à un maire de continuer au quotidien à être dans sa commune, de se retrouver dans une intercommunalité, qui n’a pas encore d’image, de projet. Et on lui demande en plus de se situer à l’échelle du SCOT ! C’est trop rapide… [entretien avec JG. Dumazeau (SIOTAS, SM SCOT Sud Loire)]’

Cette conscience de l’apport méthodologique de la démarche PDU, et des difficultés à en dépasser le projet et la scène de négociation pour aboutir à un niveau supérieur et plus transversal, fait consensus chez les techniciens interrogés :

‘Est-ce qu’on peut imaginer que le SCOT aboutisse au même genre de dialogue collectif que le PDU ? Est-ce qu’au travers du SCOT on va arriver à faire ce qu’on n'était pas parvenu à faire, en prenant un chemin particulier qui était de passer par le PDU ? Sans doute. Je pense que le PDU a permis de faire travailler les gens ensemble, et ça c’était important, de créer un réseau de confiance de ce point de vue là. (…) Après, il ne faut pas qu’on se dise que ça va marcher automatiquement avec le SCOT. [Entretien avec AC. Lieutaud (CG 42 Infra)]’ ‘On a élaboré les choses dans le mauvais ordre, finalement. A partir de là, c’est difficile de revenir à une réflexion supra, en disant qu’on va assembler des briques. Mais comment fait-on pour les homogénéiser ? Comment fait-on pour bâtir un projet de territoire qui soit forcément cohérent avec ces briques, qui ne le sont pas toujours entre elles ? On a fait les choses à l’envers. Cette première génération de DTA, de SCOT, on a du mal à y voir une grande cohérence, et surtout des idées-forces qui s’imposent véritablement, après tout ce qui s’est dit en deçà. [entretien avec P. Adam (DDE 42)]’

En conclusion, il faut mentionner que le SCOT constitue une tentative supplémentaire de constituer un projet stratégique sur un territoire dont les institutions politiques ont toujours retardé l’avènement (cf. chapitre 3). Le pari des initiateurs du PDU de l’agglomération stéphanoise a été de relancer cette mise en projet, à partir de l’échelon intercommunal et sur une entrée sectorielle, les déplacements urbains, qui appelle néanmoins une transversalité et une montée en généralité, qui peut correspondre à un SCOT.

A l’heure actuelle, cette stratégie a réussi à lancer une telle démarche, sur un territoire très vaste et très hétérogène, ce qui constitue un succès indéniable. Mais l’acculturation très différenciée entre les composantes territoriales du SCOT aux enjeux soulevés par la loi SRU, et le positionnement faible du PDU sur les questions d’urbanisme et de localisations, ne créent pas un climat propice à la co-élaboration d’un projet stratégique et à des choix politiques clairs. Les attendus de la loi SRU ne peuvent pourtant limiter l’apport de la mise en chantier d’un SCOT à l’échelle du Sud Loire à un « simple » approfondissement des interconnaissances entre acteurs de ce territoire. L’injonction nationale appelle une cohérence de résultat entre urbanisme et déplacements qui ne peut être esquivée dans un exercice de planification global tel qu’un SCOT…

Notes
268.

Les deux Communautés de communes n’ont pas la compétence transport ; la Communauté d’agglomération Loire Forez a délégué l’essentiel de sa compétence déplacements urbains au Conseil général, et commence en 2007 une démarche volontaire de réflexion sur l’exercice de cette compétence et sur une offre de transport adaptée à ce territoire très marqué par les tissus périurbains d’une part, par la ruralité d’autre part.