6.3.2. INTERSCOT et DTA : la scène stéphanoise au risque de l’aire métropolitaine lyonnaise

Deux démarches de planification stratégique sont en cours dans l’aire métropolitaine lyonnaise. Elles sont d’ordre très différent : la DTA a été voulue par l’Etat au sortir de la LOADT de 1995, afin de déterminer officiellement sa position et sa vision du développement de territoires à enjeux, dont celui de la métropole lyonnaise ; « l’InterScot » est une invention locale, initiée par le Grand Lyon, le SEPAL269 et l’Agence d’urbanisme de Lyon pour créer un cadre de rencontre censé palier la multiplication des SCOT « défensifs » dans la région urbaine.

La région stéphanoise est intégrée aux périmètres de ces démarches, aussi est-il nécessaire de s’interroger sur l’articulation entre les projets de territoire formulés « en interne » à la région stéphanoise et ces projets stratégiques d’échelle très vaste, autrement dit d’ajouter un niveau supplémentaire dans l’analyse des coopérations entre acteurs et des coordinations entre procédures, engagée dans cette thèse.

La DTA, en premier lieu, peut être considéré comme un exercice de planification très particulier, par rapport à tous ceux que nous avons déjà abordés jusque là : si toutes les collectivités locales, si tous les partenaires institutionnels et civils ont été associés et consultés lors de l’étude de la DTA par les services de la Préfecture de Région et par la DRE, ce document demeure l’expression de la vision qu’a l’Etat (ou plus précisément la compilation des visions des différentes formes locales, régionales et nationales de l’Etat) d’un territoire spécifique, la conurbation formant la « région urbaine de Lyon », censé acquérir le statut de « grande métropole européenne ».

Aussi l’enjeu affiché est de « passer d’une métropole régionale généraliste à une métropole européenne multispécialisée270 », tout en organisant le multipolarisme qui caractérise la conurbation de la région lyonnaise.

Illustration 75 : Lyon et son aire métropolitaine, capitale régionale européenne ?
Illustration 75 : Lyon et son aire métropolitaine, capitale régionale européenne ?

Cartographie extraite de la DTA, version définitive octobre 2006, p. 8

C’est bien sûr à ce titre que nous nous intéressons ici à la DTA : y a-t-il cohérence – ou à tout le moins concordance – entre le PDU de l’agglomération stéphanoise et la Directive de l’aire métropolitaine lyonnaise ?

Il ressort de ce dernier document, validé à l’automne 2006, que l’Etat cherche à renforcer la ville-centre de la région stéphanoise, tout en la reliant mieux à l’agglomération lyonnaise (A45 et dessertes ferroviaires) et aux grands courants d’échanges européens (A47, vallée du Rhône, aéroport de Saint-Exupéry). En parallèle, le document déclare porter une attention particulière aux risques d’étalement urbain et de dépérissement des tissus urbains anciens, provoqués par la désaffection enregistrée par Saint-Etienne et ses vallées industrielles d’une part, par les tensions d’ouverture à l’urbanisation liées à la création de voiries rapides nouvelles (A45, COSE, COL271, etc.)

On peut ainsi observer que DTA et PDU ont développé, concernant l’agglomération stéphanoise, un discours convergent et très général appelant au développement des transports collectifs tout en légitimant des projets autoroutiers, attirant l’attention sur le besoin de contrôler les espaces périphériques quant aux pressions urbanistiques dont ils font ou feront l’objet, sans édicter de prescriptions ou fournir d’outils de mise en œuvre concrets.

Illustration 76 : Le seul document graphique de la DTA qui matérialise les secteurs à enjeux d’urbanisation périphérique dans la région stéphanoise.
Illustration 76 : Le seul document graphique de la DTA qui matérialise les secteurs à enjeux d’urbanisation périphérique dans la région stéphanoise.

On note l’absence de la « conurbation périurbaine » du sud de la plaine du Forez dans cette représentation. Par ailleurs, aucun document d’échelle plus grande (c’est-à-dire plus ciblé, au sens géographique du terme) ne vient préciser les conditions et moyens d’encadrement du développement dans les coteaux du Jarez, le long de l’A45 dans sa section ligérienne…

Ce constat est renforcé, dans la DTA, par le fait que l’Etat a édicté des prescriptions et élaboré une argumentation détaillée dans les « espaces à enjeux » que sont le plateau mornantais, le secteur de l’Arbresle et les alentours de Saint-Exupéry, abandonnant coteaux du Jarez et plaine du Forez à un discours plus généraliste, dépourvu d’orientations précisant les moyens de répondre aux enjeux qui ont été prédéfinis.

Au final, DTA et PDU sont « compatibles » : ces deux documents ont des constats et des objectifs convergents, et transcrivent un discours vertueux, cohérent « dans la lettre » avec les attendus de la loi SRU. Mais ni en termes opérationnels (comment bloquer ou encadrer l’urbanisation ? comment limiter les déplacements automobiles internes à l’aire métropolitaine ?), ni en termes organisationnels (la DTA se contente d’appeler à l’étude de « PDU métropolitains », c’est-à-dire supra-intercommunaux), cette démarche ne parvient pas à dépasser les « bonnes intentions ».

Il appartiendra donc à une future révision du Plan de Déplacements Urbains de l’agglomération stéphanoise de mieux prendre en compte les enjeux cités dans la DTA, et en premier lieu ceux liés à la création de l’A45, du COSE et du COL. Quelle est alors l’efficience de la DTA dans la région stéphanoise ? De quelle manière peut-elle appuyer la formulation locale d’une réponse à l’injonction nationale de cohérence ? Les élus interrogés sur ces questions ne considèrent pas que l’inversion de l’ordre de réalisation des documents de planification enraye ce processus de définition d’un projet de territoire, et considèrent la DTA comme la création, par l’Etat, d’une « fenêtre de négociation politique » permettant à l’agglomération stéphanoise de légitimer sa présence et son positionnement au sein de l’aire métropolitaine lyonnaise. M. Thiollière résume cette vision de l’utilité de la démarche et de son articulation avec les échelles de planification inférieures :

‘Au niveau international, nous sommes aujourd’hui obligés de travailler ensemble, au sein de la RUL. C’est vrai qu’il y a des niveaux différents, mais d’une certaine manière, ça n’empêche pas de travailler ensemble. Si demain on doit travailler avec Lyon et l’agglomération lyonnaise, , ça ne veut pas dire qu’on est au même niveau et qu’on est d’accord sur tout, mais c’est une obligation. Par contre, cette exigence n’est pas spontanée. Lyon a eu la chance d’être une agglomération qui n’a pas connu beaucoup de difficultés, économiques en tout cas, et qui vit sur une dynamique économique forte. Nous, on est sur une course à handicaps ! Le cheval stéphanois avait des kilos lourds à porter, ceux de la reconversion économique. Le fringant pur-sang lyonnais n’avait jamais connu ces difficultés là ! Peu à peu on se débarrasse de notre handicap, on prend confiance dans notre propre capacité à courir aussi vite que les autres, donc on se rapproche de ce qu’il faut faire, pour être au niveau de Lyon au sein de la RUL. La DTA nous oblige à un minimum de travail en commun, c’est bien. L’Etat a compris la nécessité d’avoir des agglomérations françaises de bon niveau, sans pour autant que ce soit une mégalopole au niveau informel. Le risque est là, de se dire que pour faire simple, on met tout le monde dans Lyon ! Ce serait la pire des choses. On ne répondrait pas au besoin de la population, et ce serait contre-productif en termes d’identité et d’aménagement du territoire. Le risque, c’est que Lyon, un peu trop sûre de son succès, néglige le travail à faire de partenariat. C’est comme si moi, maire de Saint-Etienne, je disais que Firminy me casse les pieds, et que je vais l’annexer et la traiter comme un quartier ! Il faut donc être vigilants. Nous, stéphanois, devons doper notre territoire et donc être au bon niveau, et aussi faire admettre à nos amis lyonnais qu’ils doivent avoir plus de considération pour notre identité qu’ils n’en n’ont spontanément… Lyon regarde du côté de Paris, de Londres, et se dit que ces stéphanois leur cassent les pieds ! [Entretien avec M. Thiollière (Maire de Saint-Etienne, Président de SEM)]’

La coopération entre acteurs stéphanois et lyonnais n’a, en effet, jamais été spontanée dans l’histoire de la planification urbaine française. L’enjeu est pourtant d’être en mesure de saisir les opportunités qui peuvent se présenter, à ce niveau d’aire métropolitaine, pour faire aboutir des projets opérationnels tout en concourant à faire converger les horizons stratégiques définis de part et d’autre de la limite départementale. Cet enjeu est sans doute le défi majeur qu’auront à relever, dans la décennie à venir, élus et techniciens lyonnais et stéphanois.

Au service de cette perspective encore peu affirmée existe également la démarche InterScot. A l’inverse de la DTA, celle-ci est d’initiative lyonnaise, créée pour amoindrir l’échec du SEPAL et du Grand Lyon à lancer un SCOT unique à une échelle vaste correspondant à l’aire métropolitaine de Lyon.

Les rencontres InterScot sont à l’heure actuelle, avec les forums organisés par l’association RUL, la seule scène de rencontre entre élus et entre techniciens à cette échelle métropolitaine, où peuvent être abordées les questions transversales. Le caractère volontaire, informel et non prescriptif de cette démarche peut ainsi participer à l’approfondissement de l’étude d’un projet de territoire métropolitain partagé par tous les acteurs.

C’est en ce sens qu’un « chapitre commun » a été rédigé, ayant vocation à préciser l’appartenance à l’aire métropolitaine de chaque SCOT. Cette partie commune résume les caractéristiques majeures du territoire, et précise les enjeux de transport, d’étalement urbain, de développement économique et de préservation de l’environnement auxquelles l’aire métropolitaine est confrontée.

Illustration 77 : Les 10 SCOT fédérés dans la démarche InterScot
Illustration 77 : Les 10 SCOT fédérés dans la démarche InterScot

(source : site internet www.inter-scot.org ). Un outil d’articulation de scènes locales de planification stratégique à la hauteur des enjeux métropolitains ?

Par rapport à la recherche de cohérence entre urbanisme et déplacements, le chapitre commun des SCOT de l’aire métropolitaine lyonnaise se cantonne à proposer des cartographies résumant le caractère multipolaire de la structuration urbaine du territoire, et une vision de ce que pourrait être un futur RER lyonnais.

Illustrations 78 et 79 : Représentations graphiques de la cohérence spatiale entre tache urbaine et réseau ferroviaire dans l’aire métropolitaine lyonnaise.
Illustrations 78 et 79 : Représentations graphiques de la cohérence spatiale entre tache urbaine et réseau ferroviaire dans l’aire métropolitaine lyonnaise.

On est loin du SDAU de l’OREAM des années 1970 ! Une reconnaissance – implicite – que le projet de développement et la recherche de cohérence sont désormais davantage organisationnels que liés au zonage des fonctions urbaines ?

C’est peu, mais pouvait-il en être autrement ? La loi SRU avait imaginé un processus descendant DTA > SCOT « métropolitain » > projet de développement EPCI + PDU + PLH > PLU, sans le rendre obligatoire. Le fonctionnement institutionnel local a répondu par un emboitement montant PLU ➙ PDU + PLH ➙ projet de développement EPCI ➙ SCOT « local » ➙ InterScot + RUL.

Dans le cas de l’agglomération stéphanoise, la loi SRU a ainsi provoqué une réponse organisationnelle plutôt qu’opérationnelle, mais l’intensité diffère selon les échelles de négociation : celle-ci a été forte par rapport à la structuration d’un EPCI et à la coopération entre acteurs « locaux » (c’est-à-dire aux échelons communaux et intercommunaux). Dès que des acteurs et/ou des projets de niveau supérieur ont tentés d’être abordés, on peut constater une perte d’efficience (cf. cas des projets ferroviaires et autoroutiers, et des relations avec le Département). Enfin les exercices de planification stratégique métropolitaine offrent des espaces de rencontre et de négociation qui peuvent préfigurer une « montée en généralité » plus définie et plus efficiente, mais qui n’a pas encore produit de projet transversal partagé, soldant les questions de développement de nouvelles infrastructures, d’étalement urbain et de solidarités territoriales.

Il ne faut pourtant pas nier les avancées produites, au niveau local, par l’articulation de ces différents échelons de planification, même inversée par rapport à « l’esprit » de la loi SRU. Ainsi le Plan Local d’Urbanisme de la Ville de Saint-Etienne, actuellement en cours d’élaboration, intègre les enjeux soulevés aux niveaux de l’agglomération et de l’aire métropolitaine. C’est un symbole, forcément limité, mais qui montre qu’un horizon stratégique défini localement peut évoluer vers une cohérence plus grande entre réponses à un objectif défini au niveau national.

Illustration 80 : Brochure « grand public » sur le « projet urbain stéphanois », dans le cadre de la révision du PLU de la ville-centre
Illustration 80 : Brochure « grand public » sur le « projet urbain stéphanois », dans le cadre de la révision du PLU de la ville-centre

C’est sans doute la première apparition des enjeux intercommunaux et métropolitains dans la planification des sols de Saint-Etienne. Un signe que le dépassement des approches sectorielles et locales est en cours ?

Notes
269.

Syndicat mixte d’Etudes et de Programmation de l’Agglomération Lyonnaise, organisme créé en 1985 qui avait conduit l’étude du Schéma Directeur de l’Agglomération Lyonnaise, approuvé en 1992, considéré comme le pionnier du renouveau de la planification urbaine stratégique après la crise des années 1970-1980 (cf. chapitres 1 et 2)

270.

DTA de l’aire métropolitaine lyonnaise, 2006, p. 21

271.

Contournement Ouest de Lyon, projet autoroutier devant permettre le déclassement de l’axe A6 / A7 dans la traversée de Lyon d’une part, et d’améliorer la connexion de la région stéphanoise sur les grands axes autoroutiers européens