6.4. Conclusion : la convention d’organisation produite par la scène PDU est-elle durablement efficiente ?

Arrivés au terme de cette thèse, nous avons souhaité réinterroger nos résultats de recherche des chapitres 4 et 5 sur la coalition d’acteurs et la convention d’organisation produits par l’injonction nationale de cohérence d’une part, et par la réponse locale d’élaboration d’un Plan de Déplacements Urbains d’autre part. Ce sixième chapitre a cherché à savoir ce qu’il pouvait rester de la production de la scène de négociation du PDU à d’autres échelles et dans d’autres démarches, alors que l’ordonnancement descendant des documents de planification, prévu par la loi SRU, s’est retrouvé totalement inversé.

La première sous-partie du chapitre a montré comment le PDU stéphanois peut être considéré comme une démarche « portail », comme un « cadre d’action » par lequel passe la quasi-totalité des projets d’urbanisme et de déplacements de l’agglomération stéphanoise, même si les négociations, les territorialisations, les mises en œuvres opérationnelles s’effectuent ailleurs. Le projet PDU est décliné en Plans de Déplacements de Secteurs ; il est mobilisé dans le positionnement de la Communauté d’agglomération vis-à-vis de ses politiques d’habitat et de renouvellement urbain, ainsi que par rapport aux révisions de Plans Locaux d’Urbanisme, qui demeurent de compétence communale.

Dans la deuxième sous-partie, il est apparu en revanche que la scène PDU et le projet qui en est issu n’ont pu statuer clairement sur un positionnement et un engagement politique et financier clair, vis-à-vis de scènes et de partenaires de niveau « supérieur272 », tels que les projets autoroutiers et ferroviaires, la coopération interinstitutionnelle sur les transports collectifs interurbains, ou bien encore les principes méthodologiques de hiérarchisation des réseaux de voiries.

Enfin, cette dernière sous-partie a permis d’aborder les relations entre le projet PDU et la coalition d’acteurs qui le porte d’une part, et les démarches de planification stratégique à l’échelle du Sud Loire et de l’aire métropolitaine lyonnaise d’autre part. Le PDU n’avait pas purgé les questions d’urbanisme et de localisations, pourtant intrinsèquement liées à l’offre multimodale de transports urbains ; il apparaît que la DTA, reprenant les mêmes objectifs généraux de relance des transports collectifs et des tissus urbains anciens tout en légitimant des projets qui risque d’impacter négativement ceux-ci, ne parvient pas non plus à dégager des prescriptions susceptibles de rendre efficient le discours élaboré par les services de l’Etat.

Face à ces constats, le SCOT Sud Loire semble peu armé méthodologiquement et politiquement pour répondre aux enjeux transversaux qu’il est censé aborder. Le PDU stéphanois avait renvoyé toute action sur l’urbanisme au Schéma de Cohérence Territoriale, mais il apparaît que la production de la scène PDU (pédagogie, dégagement d’un projet politique à moyen terme et d’un horizon stratégique plus lointain) n’a pas irrigué suffisamment loin ni profondément, pour que le SCOT puisse véritablement répondre à l’injonction nationale d’une cohérence de résultat entre urbanisme et déplacements.

A l’issue de ce panorama sur les différentes scènes d’échelles inférieures et supérieures de planification et de négociation d’un projet de territoire pour l’agglomération stéphanoise au sens large, nous pouvons esquisser un bilan plus précis des portages de projet et des implications des acteurs entre la « scène portail » PDU et les autres démarches en cours.

Nous pouvons repartir des schémas, présentés au chapitre 4, détaillant le positionnement des acteurs au sein des instances créées pour la révision du Plan de Déplacements Urbains par Saint-Etienne Métropole. Le schéma ci-dessous rappelle ainsi les acquis des recherches menées sur l’analyse de la scène PDU, qui nous ont conduit à distinguer trois niveaux de positionnement : le cœur de la démarche, les « satellites » qui ont gravité autour, enfin les « périphériques », mobilisés de manière plus ponctuelle, moins directe et moins efficiente en terme de contenu.

Illustration 81 : schéma de synthèse croisant l’implication des acteurs dans la démarche PDU et dans les autres scènes de planification concernant l’agglomération stéphanoise.
Illustration 81 : schéma de synthèse croisant l’implication des acteurs dans la démarche PDU et dans les autres scènes de planification concernant l’agglomération stéphanoise.

Nous avons ensuite cherché à synthétiser l’investissement des acteurs présents dans la démarche PDU, au sein des autres exercices de planification que sont les PLU, les PDS, le PLH, le SCOT, la DTA, et les rencontres d’élus au sein de la Région Urbaine de Lyon, que nous avons abordées dans ce sixième chapitre.

Ce croisement des observations des positionnements d’acteurs aboutit, graphiquement, à une schématisation assez complexe, mais représentative des imbrications de compétences, de la multiplication des acteurs et scènes de négociation, et du rôle important de quelques acteurs que l’on peut qualifier de « passerelles » ou de « pivots », car ils font le lien, humainement, politiquement et intellectuellement, entre les différentes scènes, entre les échelles de mise en projet du territoire.

On peut ainsi observer le rôle prépondérant, dans la « sphère civique », de Jacques Frécenon, présent dans la quasi-totalité des démarches aux échelles intercommunales et supérieures (de la territorialisation du PDU dans les PDS, aux rencontres interinstitutionnelles organisées au sein de la RUL), mais également des élus communaux, qui ont la possibilité d’intégrer les apports du projet PDU dans leur Commune, par l’intermédiaire des Plans de Déplacements de Secteur.

Au sein de la « sphère technique », on constate que l’Agence d’urbanisme est l’acteur qui « embrasse » l’ensemble des échelles et des démarches, même si son implication se révèle être plus forte et plus directe aux niveaux communaux et intercommunaux que métropolitains. De la même manière, le service Aménagement du territoire de la Communauté d’agglomération assure la transversalité entre plusieurs secteurs d’action publique (déplacements, logement…) et entre plusieurs échelles (de l’aire métropolitaine lyonnaise aux Communes, par l’intermédiaire des portés à connaissance communautaires rédigés pour les Plans Locaux d’Urbanisme).

Ce panorama nous renseigne également, en creux, sur le faible investissement de la Région et du Département au sein de ces démarches de planification, particulièrement en terme d’implication politique. Les services locaux de l’Equipement sont davantage investis dans les démarches métropolitaines d’initiative locale (RUL) ou étatique (DTA), tout en ayant été présente dans l’ensemble des Plans de Déplacements de Secteur, prolongeant le volontarisme impulsé au niveau DDE à l’occasion de la révision du PDU par Saint-Etienne Métropole.

Le schéma ci-dessous cherche à résumer ces observations de manière plus simple, en se focalisant sur l’échelle territoriale de Saint-Etienne Métropole, c’est-à-dire sur le périmètre d’intervention du nouvel acteur majeur qu’est devenue localement la Communauté d’agglomération.

Illustration 82 : Représentation schématique et très simplifiée du positionnement des acteurs de la région stéphanoise dans les différentes scènes de planification urbaine et de négociation métropolitaine
Illustration 82 : Représentation schématique et très simplifiée du positionnement des acteurs de la région stéphanoise dans les différentes scènes de planification urbaine et de négociation métropolitaine

Dernier acteur institutionnel arrivé, Saint-Etienne Métropole a rapidement légitimé son existence et son implication, au moyen des différents exercices de planification sectorielle que sont, en premier lieu, le PLH et le PDU. L’originalité de notre terrain d’étude est que cet acteur cumule ( à la différence de l’agglomération lyonnaise par exemple) les fonctions d’établissement de coopération intercommunale et d’autorité organisatrice des transports. En ce sens, Saint-Etienne Métropole est l’acteur le mieux positionné pour répondre à l’injonction de cohérence entre urbanisme et déplacements.

Une réponse efficiente à celle-ci est avant tout d’ordre organisationnel, ainsi que l’a montré cette thèse. Aussi est-il primordial que la Communauté d’agglomération sache entretenir la convention d’organisation et la coalition d’acteurs qui a émergé au bout d’une décennie d’efforts (démarche initiée en 1995, révision du PDU validée en 2004), et mobiliser l’intelligence collective qui s’y est concentrée, afin de saisir les opportunités qui se présenteront tout au long de la « vie » du document validé (une décennie) et d’approfondir le sillon sectoriel initié alors, pour aboutir à une vision politique ambitieuse et partagée de l’agglomération stéphanoise au sens large.

Mais si la convention organisationnelle apparaît comme primordiale dans l’approche politique contemporaine du territoire de l’agglomération stéphanoise, il ne faut pourtant pas abandonner ce qui relève, plus classiquement dans l’optique de la planification urbaine française, de la convention d’action.

A ce sujet, et même si le recul manque encore pour opérer une analyse des apports substantiels, matériels de la démarche de projet initiée avec le PDU, quelques éléments d’observation commencent néanmoins à être disponibles, et conduisent à conclure avec prudence notre analyse de la réponse d’un milieu local à l’injonction nationale de cohérence entre urbanisme et déplacements.

On peut ainsi citer les premiers résultats de travaux menés par l’Agence d’urbanisme, dans le cadre de sa mission d’observation sur les déplacements, quant à l’évolution de la fréquentation du réseau urbain de transport collectif, et de la fréquence moyenne des lignes de ce réseau.

En terme de fréquentation, et si l’on laisse de côté les comptages de 2005 qui sont influencés négativement par 3 mois d’arrêt d’exploitation du tramway consécutifs aux travaux de construction de la seconde ligne, il apparaît que le réseau « historique » (c’est-à-dire ne prenant pas en compte l’élargissement de l’offre à la vallée du Gier) connaît un rattrapage timide des niveaux de fréquentation observés dans les années 1990, sans qu’un palier ait manifestement été franchi, qui trancherait avec la période précédente, caractérisée par l’absence de démarche de projet ambitieuse et globale.

Illustration 83 : document de travail de l’observatoire des déplacements, élaboré par Epures à partir de données TPAS, ne prenant pas en compte l’offre TCU dans la vallée du Gier.
Illustration 83 : document de travail de l’observatoire des déplacements, élaboré par Epures à partir de données TPAS, ne prenant pas en compte l’offre TCU dans la vallée du Gier.

On peut conclure à la fragilité du regain de fréquentation du réseau, qu’il conviendra de confirmer ou infirmer avec des données plus récentes, « gommant » l’effet provoqué par la phase travaux du tramway.

Cette « intuition » est, par ailleurs, abondée par l’analyse de l’évolution de l’offre du réseau STAS : depuis la mise en service de la deuxième ligne de tramway à Saint-Etienne en octobre 2006, on constate une nette dégradation de la fréquence du réseau de bus, particulièrement sur les lignes « structurantes » desservant la vallée de l’Ondaine et les quartiers principaux de Saint-Etienne .

Illustration 84 : document de travail de l’observatoire des déplacements, élaboré par Epures à partir de données TPAS.
Illustration 84 : document de travail de l’observatoire des déplacements, élaboré par Epures à partir de données TPAS.

D’un point de vue spatial, la dégradation de l’offre du réseau de bus – au profit des liaisons tramway entre le centre-ville et la gare principale de Saint-Etienne ? – est manifeste, et interroge sur la pertinence et la compétitivité du réseau STAS par rapport aux modes mécanisés individuels…

En conclusion de ce sixième chapitre, il ressort donc que le PDU stéphanois débouche sur une convention d’organisation bien réelle mais fragile, dès que sont abordés les échelles et projets de niveaux supérieurs, ainsi que sur une convention d’action, dont quelques projets phares (électrification de la voie ferrée jusqu’à Firminy, création de 2,5 km de tramway dans la ville-centre…) ne peuvent, à l’heure actuelle, masquer le fait que la réponse apportée par les acteurs locaux à l’injonction nationale de cohérence entre urbanisme et déplacements apparaît trop sectorielle et très pragmatique, concentrant l’ambition d’action publique et les moyens financiers disponibles sur quelques actions et territoires jugés prioritaires, qui constituent le socle d’une démarche plus globale, transversale et importante, mais qui semblent insuffisants face à l’ambition initiale de cohérence de résultat et de gouvernance d’agglomération affichés par la loi SRU.

Notes
272.

même s’il faut rappeler qu’aucune collectivité locale n’a d’ascendance sur les autres, dans l’organisation institutionnelle française