Entretien avec Michel Thiollière (8 août 2006)

1. Le PDU du SIOTAS

1.1. Comment s’est lancée la démarche PDU du SIOTAS en 1995 ? Crise du SIOTAS ?

Le SIOTAS était arrivé à la croisée des chemins, en 1995. Le gros mérite du SIOTAS, c’est qu’il existait. C’était un syndicat intercommunal qui regroupait 15 communes, donc c’était déjà une avancée significative, par rapport à d’autres projets intercommunaux qui eux n’existaient pas, et qui n’étaient pas organisés. Donc, c’était le socle à partir duquel on pouvait bâtir la suite des événements. Après 1995, j’ai créé la communauté de communes, qui est devenue communauté d’agglomération. Ca nous a donné un périmètre plus large, dans lequel on retrouve la compétence transport, et donc de fait, le SIOTAS ayant été apporté en dot à la communauté de communes, ça a permis de commencer à 22 communes et aujourd’hui 43, un travail qui est un vrai travail de transport sur l’agglomération. Donc le PDU de l’époque, son idée de départ était bien de partir de ce qui existait au SIOTAS pour irriguer l’agglomération, et d’imaginer l’évolution des transports. Mais je pense que la première des choses dans ma tête à l’époque, ça a été d’abord de structurer le périmètre, passer des 15 communes du SIOTAS aux 22 puis à la quarantaine de la Communauté d’agglo, de manière à avoir un périmètre qui soit cohérent en terme d’aménagement du territoire, donc de transport.

1.2. Liens (ou pas) avec la démarche de projet urbain de Ricardo Bofill ? et avec le plan de circulation de VSE ?

Bofill, c’est plus ancien que le PDU. Je n’étais pas encore maire. Mais j’avais proposé au maire de l’époque, Monsieur Dubanchet, de réfléchir à une ambition urbaine qui n’était pas forcément dans l’air du temps, à l’époque ! J’avais rencontré Ricardo Bofill, grâce à son Directeur d’agence, Bertrand Julien – Laferrière, qui était stéphanois. Comme je l’avais rencontré et qu’il connaissait la ville, il m’avait dit « si ça vous intéresse, je pourrai en parler à Ricardo Bofill, et on pourrait travailler ensemble ». Donc l’intérêt de Ricardo Bofill, ça a été de cristalliser en quelque sorte un certain nombre de vues, de visions, de conceptions, qui étaient dans l’air du temps, mais qui n’avaient pas été fédérées dans un document unique. Donc ça a permis notamment de visualiser des perspectives. Elles étaient stéphanoises, ce n’était pas l’agglomération. Elles ont permis de donner trois axes de travail. Le premier, c’est de requalifier le centre-ville, avec l’ensemble des places Jaurès – Hôtel de Ville – Dorian ; ensuite, de structurer de façon plus marquée, l’axe principal, de la grand rue, et de marquer plus fortement le « ring », le boulevard urbain circulaire, avec ses portes d’entrées. Schématiquement, c’était ça le plan Bofill. Ca nous a donné une forme de ligne de conduite, qu’on a appliqué d’ailleurs.

Le plan de circulation, qui est venu après, découle quand même du plan Bofill. L’idée du plan Bofill, c’était de dire « on protège l’hypercentre », c’est-à-dire les anneaux, les places de centre-ville à débarrasser d’une circulation polluante qui n’a rien à faire en centre-ville… ça a été un petit peu la suite. Alors, ça a été fait au niveau de la Ville de Saint-Etienne, encore une fois, puisqu’il n’y avait pas encore d’agglomération. Je pense que maintenant on est dans une dimension d’agglomération où justement on peut passer à d’autres étapes.

1.3. Comment percevoir le PDU : plan de mandat, planification sectorielle, document de négociation avec partenaires, amorce de projet de territoire ?

C’est un outil qui me paraît utile parce qu’il permet une réflexion à long terme. Donc ça ne se limite pas au temps d’un mandat, ça dépasse les limites des calendriers de nos mandats, donc ça inscrit une logique d’aménagement du territoire, au niveau des déplacements. Ensuite, ça oblige à une méthode de travail, donc au rapprochement des partenaires. Déjà, travail avec la population, travail avec les élus, avec les partenaires économiques, avec les autres communautés, avec le Département, la Région et l’Europe, donc ça profile un travail à long terme, ça permet une forme de travail en équipe et donc ça oblige de travailler ensemble, et puis ensuite on en décline un certain nombre de mesures concrètes. Après, dans le temps, il faut travailler sur des phases successives.

1.4. PDU = nécessité (problème à résoudre), aubaine (financement) ou contrainte (réponse à la loi) ?

Le PDU, comme tous les plans, que ce soient des DTA, des SCOT, des PLU, tous ces plans ont un atout énorme, c’est de nous obliger à réfléchir à long terme, et dans l’espace avec nos partenaires. Ils ont une force qui permet de recueillir l’adhésion du plus grand nombre, parce qu’il y a de la concertation, du dialogue, de l’information. Et après, quand on arrive à la phase opérationnelle, bien sûr que c’est là où doivent s’articuler le plan, en l’occurrence le PDU, avec ses différentes tranches opérationnelles. Là, c’est un exercice qui est celui des décideurs que l’on est, qui est de savoir quels sont les moyens qu’on peut dégager pour le faire. Ces moyens, je regrette toujours que l’Etat n’en mette pas suffisamment sur ces PDU notamment. Je pense qu’il faut que l’Etat s’engage davantage là-dessus, parce qu’il est évident que plus les villes sont en difficulté économique, et nous en faisons partie, moins elles ont de chances de réaliser leur PDU. Donc, à un moment donné, il faut que la solidarité régionale et nationale s’exerce au profit des villes comme la notre. Il faut donc voir, dans le PDU, ce que nous sommes capables de faire de façon opérationnelle, en mettant sur la table les moyens dont on dispose. Et en fonction de cela, on va plus ou moins vite, pour parler concrètement ! On a été capables de faire une deuxième ligne de tramway, c’est un projet lourd à 75 millions d’euros, mais c’est beaucoup moins lourd que ce que font d’autres ville qui ont plus de moyens. La question qui va se poser pour la suite, c’est qu’il y a des hypothèses de travail. Le PDU prévoit d’autres choses, on peut continuer. Mais il arrivera forcément un moment, dans les mois qui viennent, où pour poursuivre le travail sur le PDU, il faudra que je réunisse l’Etat, la Région, le Département, la Communauté d’agglomération, pour voir les moyens dont on dispose. Sachant qu’on peut difficilement augmenter la fiscalité, elle st déjà lourde ; on peut difficilement exiger davantage de la clientèle : les abonnements et les tickets sont déjà à un certain niveau ; on peut difficilement exiger beaucoup plus des entreprises, à travers le versement transport. Donc on voit bien que quand on fait le tour de ces possibilités, la seule possibilité, c’est la subvention. Seul le budget de la Ville ou de la Communauté d’agglo peut verser. Donc c’est assez facile, même si un travail complexe techniquement ! Donc on ne peut mettre plus que ce qui est possible de faire…

1.5. PDU SIOTAS : fort investissement de J. Frécenon (élus) et de F. Duval et JG Dumazeau (techniciens). Implication personnelle ? Décisions « clés » lors de quelques rencontres « officieuses » ?

Je fais confiance aux gens qui me paraissent compétents. Je travaille comme ça ! Vous avez cité trois personnes compétentes et en qui j’ai toute confiance. Jacques Frécenon a toute ma confiance pour mener à bien les projets de déplacements. Bien entendu, il arrive des moments où on a besoin de faire des points d’étape. On se rencontre, pour voir si l’on est bien en phase l’un par rapport à l’autre, si l’on est bien d’accord pour savoir ce que l’on veut faire. Moi, je suis là en tant que président de l’agglo, pour dire selon moi quelles sont les orientations à suivre, et on en discute avec Jacques Frécenon, en fonction du PDU d’ailleurs. C’est le PDU qui est notre cadre de travail. Ensuite on voit quelles sont les priorités et quels sont les moyens à mettre en place.

Prenons un exemple concret, avec la deuxième ligne de tramway. Et après, que fait-on ? Quelle est la priorité ? Alors il y a des choix multiples. Le matériel roulant, à Saint-Etienne, est particulier. On a une possibilité, sans doute, dans dix ou quinze ans, d’imaginer la suite du réseau, avec d’autres rames que celles qu’on a aujourd’hui. Faudra-t-il acheter, à ce moment là, des rames à voie étroite ou à voie normale ? En France, on est sous l’emprise Alstom / Bombardier. Mais je reviens de Slovaquie : là bas il y a du métrique ! A Genève aussi.

Et comment faut-il s’y prendre pour étendre l’étoile ferroviaire ? Comment va-t-on au nord de l’agglomération ? Comment gère-t-on le réseau tram-train, sachant que la Région nous a beaucoup poussé et qu’elle retient maintenant le mouvement, faute de moyens financiers ? Voilà de quoi l’on parle avec Jacques Frécenon.

Pour le PDU du SIOTAS, on s’est vus directement avec Jean-Guy Dumazeau. C’est une méthode qui n’est pas originale, mais à un moment donné, je suis là pour donner des orientations, ou pour trancher, c’est-à-dire arbitrer. C’est le rôle d’un directeur de service de dire quelles sont les hypothèses, et de demander quel est le choix retenu. Ca c’est mon travail : faire confiance aux gens et arbitrer à un moment donné.

1.6. un autre scénario que le BB’ pouvait-il vraiment être choisi ?

Le scénario au fil de l’eau n’est pas enthousiasment, on peut toujours le choisir pour éviter des grincements de dents. Mais je suis convaincu que le rôle d’un élu, c’est aussi de prendre des décisions risquées, et de conduire le changement. Le fil de l’eau, c’est être pantouflard. Ca peut satisfaire à court terme, mais ça n’est pas comme ça qu’on prépare l’avenir d’une agglomération !

Le scénario le plus ambitieux, le plus jusqu’au-boutiste, ça peut être très casse figure, si les populations n’y sont pas préparées : si demain on dit qu’on interdit toutes les voitures dans l’agglomération, ça peut être un scénario « généreux » mais peu réaliste : on fera fuir tout le monde à la périphérie, et on n’aura rien gagné ! Il faut donc trouver un équilibre pour tirer suffisamment de l’avant et donc entraîner la population dans le bon sens – il y a eu avant des réticences, sur le plan de circulation et la deuxième ligne de tramway ; aujourd’hui, plus personne ne me demande à quoi ça sert ! Les gens se rendent compte aujourd’hui de la nécessité de le faire. Ca demande donc du temps, de la pédagogie, de la conviction, pour entraîner le mouvement et faire comprendre à la population que quand on parle de développement durable, c’est Kyoto ou Johannesburg, mais c’est aussi au coin de la rue. Si on joue local, il faut faire comprendre que ce n’est pas que l’affaire des autres : il faut accepter que le transport public ait un peu plus de place, que le centre-ville soit un peu plus apaisé… Mais ça ne se fait qu’en faisant de la pédagogie, et en offrant les moyens d’aller dans ce sens là. Je pense qu’on a choisi un scénario à la fois ambitieux et responsable. Il va de l’avant, mais on se donne les moyens de convaincre nos concitoyens ; il est aussi responsable financièrement : on n’a pas mis en péril les finances de l’agglomération.

1.7. la 2 e ligne de tram pouvait-elle se faire sans le PDU ? Le PDU pouvait-il se faire sans grand projet type tram ?

S’il ne s’agit que du tram, oui, j’aurai pu le faire sans PDU. Avant le PDU, on faisait déjà le tram ! Avant moi, il n’y avait pas de PDU, ça n’a pas empêché les municipalités successives de prolonger le tram. Le PDU n’a donc pas fait le tram. Mais le PDU, il met en perspective la construction du tram par rapport au reste. Il donne un ensemble cohérent. C’est vrais que le tram en est l’élément phare, le plus visible. Mais c’est surtout une mise en réseau, et la création d’une étoile ferroviaire. C’est un plan cohérent. Si on avait fait ça il y a 20 ans, avec le SIOTAS mais sans le PDU, je pense que les élus de l’époque auraient prolongé le tram, à court terme, sans autre considération.

Un PDU sans grand projet, ça paraît un peu difficile ! Mais je pense qu’on peut imaginer la suite du PDU sans forcément le tram. Je ne sais pas quelle hypothèse on retiendra, mais on peut imaginer que le tram est performant quand il est très structurant et lorsqu’il est très efficace en terme de déplacements. En deçà de 30 000 à 40 000 voyageurs, le tram ne se justifie pas forcément. Donc pour éviter de gaspiller de l’argent public, et pour avoir les moyens de se constituer un vrai réseau, je pense qu’on peut imaginer l’avenir avec des sites propres qui ne soient pas tramway mais bus ou trolleybus, on peut imaginer des TER plus performants qui utilisent davantage les lignes existantes, ce qui est intéressant d’un point de vue écologie et développement durable. On l’a vu jusqu’à Firminy. On peut pousser plu loin cette logique là, et aller en direction de Barrouin, du nord, vers la plaine du Forez. Il y a là des voies ferrées peu utilisées ! Donc ça ne veut pas dire qu’il faudra toujours créer de nouvelles voies de tram. En ville, sur le sud-est, je ne pense pas que le tram soit forcément la meilleure hypothèse de travail. En revanche, on peut voir un mode de transport en site propre. Et puis on peut pousser les industriels à innover : le trolleybus a sa qualité énergétique, de propreté dans la ville, qui lui permettrait d’être un bon compromis entre le tram et le bus.

Donc jusqu’en 2010, je pense qu’il faut organiser le réseau et le stabiliser, en lui donnant le maximum de rentabilité, faire que les gens l’utilisent le mieux. Peut-être remonter certaines lignes du réseau, améliorer certains services. C’est valoriser le réseau. Et pendant ce temps, réfléchir à l’avenir, les lignes à faire. Il y a une extension possible après Châteaucreux, vers le Technopôle. Ce sont des hypothèses, pas encore tranchées. Il y a le site propre de la Métare. Faut-il organiser avec le Conseil général l’accès vers la plaine du Forez ? Le PDU esquisse tout ça, il faudra remettre les gens au travail, pour qu’ils nous fassent des propositions concrètes.