1.1.1. Concept : Nœud dans un réseau

1.1.1.1. Le modèle de Collins et Quillian (1969)

Collins et Quillian se sont intéressés très tôt à la nature des connaissances. Le modèle (« Teachable Language Comprehender » – TLC –) de Collins et Quillian (1969) est une des premières tentatives de modélisation de la mémoire sémantique (cf. Figure 2). Ce modèle suppose que les connaissances (ou ici les concepts) sont représentées en mémoire sémantique comme des unités indépendantes (nœuds). Il existerait un réseau de relations hiérarchisées entre les concepts (du sur-ordonné – animal – à l’exemplaire – canari –). Chaque concept ou nœud est associé à un certain nombre de propriétés ou attributs, mais est aussi relié aux autres nœuds par des liens (arcs). La mémoire est ainsi l’ensemble de ces nœuds reliés entre eux.

Figure 2 : Illustration d'une structure hypothétique de la mémoire sémantique, Collins et Quillian (1969)

Ce modèle postule l’existence de deux type de nœuds : les nœuds « catégories » (type nodes) qui représentent les catégories et les nœuds « exemplaires » (token nodes) qui représentent les individus des catégories. Les relations entre les nœuds sont conceptuelles et de type « emboîtement » (inclusion) : les propriétés qui s’appliquent aux concepts sont stockées au plus haut niveau où elles sont généralement applicables, une propriété qui existe à un niveau donné étant implicitement associée aux nœuds de niveaux inférieurs. Ainsi, et en accord avec le principe d’économie cognitive, plutôt que de spécifier que « chaque oiseau a des ailes », la propriété est stockée une seule fois au niveau du nœud « oiseau ». Ceci permet de garder en mémoire de manière plus économique le fait que chaque oiseau possède la propriété « a des ailes ».

D'un point de vue fonctionnel, ce type de modèle décrit la récupération d'une information en mémoire sémantique par un processus de réactivation d'un lien déjà stocké. Par exemple, la vérification de l'énoncé « un canari est un oiseau » nécessiterait la récupération en mémoire d'un lien entre l'unité de connaissance concernant les oiseaux et l’unité correspondant au canari, puis la confrontation de ce lien avec celui proposé dans l'énoncé.

Collins et Quillian ont testé leur modèle grâce à une tâche de vérification d’énoncés en mémoire sémantique. Une phrase était présentée aux participants qui devaient déterminer le plus rapidement possible si la proposition était vraie ou fausse. Il pouvait s'agir d'énoncés d'inclusion d'ensembles tels que : « un serin est un animal », « un requin est un oiseau », « un poisson est un animal ». Ces énoncés pouvaient être également des énoncés de vérification de propriétés du type : « un requin peut chanter », « une autruche est jaune », « un saumon est comestible ». L’hypothèse était la même quel que soit le type d’énoncé : plus les deux concepts impliqués dans l’énoncé étaient à des niveaux hiérarchiques éloignés, plus le participant allait mettre de temps à répondre. Ainsi, il serait plus rapide de répondre à « un canari est jaune » car les deux nœuds font partie du même niveau hiérarchique par rapport à l’énoncé « un canari respire » qui dans ce cas là comprend des concepts ayant deux niveaux d’écart. Les hypothèses et ainsi le modèle de Collins et Quillian ont été validés. Ils ont observé que les temps de réponse augmentent avec la distance entre les deux concepts impliqués dans l’énoncé. En effet, comme le montre la figure suivante, les participants mettent 75 msec de plus lorsqu’ils doivent passer d’un niveau hiérarchique à un autre. De plus, ils montrent qu’en moyenne, 250 msec supplémentaires sont nécessaires pour vérifier une propriété par rapport aux inclusions dans un ensemble.

Figure 3 : Représentation graphique des temps de réponses obtenus dans une tâche de vérification d’énoncé (Collins
Figure 3 : Représentation graphique des temps de réponses obtenus dans une tâche de vérification d’énoncé (Collins et al. 1969)

Ce modèle, même s’il a permis d’expliquer de nombreux phénomènes, a été souvent revisité car des problèmes persistent. En effet, Conrad (1972) a montré que l’un des problèmes de ce modèle était lié au principe de l'économie cognitive dans le stockage des propriétés, c'est-à-dire que les propriétés sont seulement stockées avec le concept le plus général auquel elles s'appliquent. Selon Conrad, Collins et Quillian ont confondu le nombre de niveaux hiérarchiques séparant un concept et ses propriétés avec un autre facteur, en l’occurrence le degré d'association entre le concept et la propriété. Une expérience a été réalisée pour distinguer les effets du degré d'association du nombre de niveaux sur le temps de vérification. Les résultats ont montré que le temps de vérification n’augmente pas uniformément avec le nombre de niveaux hiérarchiques qui séparent concept et propriété mais plutôt qu’il augmente lorsque le degré d'association entre le concept et la propriété diminue.

Collins et Loftus (1975) ont aussi remis en question ce premier modèle de Collins et Quillian en réfutant l’idée d’une organisation hiérarchique.