2.1.3. Travaux sur le langage

Les travaux de Zwaan et coll. tendent à montrer l’importance des dimensions sensorielles constitutives des traces mnésiques dans la compréhension de texte.

Zwaan, Stanfield, et Yaxley (2002) se sont intéressés à la forme et à l’orientation d’objets pendant la compréhension. Ils ont mis en évidence un effet de simulation perceptive pendant la compréhension. Les participants devaient lire des phrases à propos d’un animal ou d’un objet situé dans un emplacement particulier (par exemple : « aigle dans le ciel » vs. « aigle dans un nid »). Après avoir lu ces phrases, il leur était montré un dessin de l’objet en question et il leur était demandé, dans une première expérience, de décider si l’objet dessiné était mentionné dans la phrase ou pas et, dans une seconde expérience, de nommer l’objet. Dans ces deux expériences, les participants ont répondu plus rapidement lorsque la forme de l’objet dessiné correspondait à la forme de l’objet dans la phrase (aigle avec les ailes déployées ou non). Ces résultats suggèrent donc que, pendant la compréhension de phrase (activité généralement considérée comme utilisant des connaissances abstractives et conceptuelles), les participants utilisent des simulations perceptives telles que les décrit Barsalou. Ces simulations perceptives des situations décrites dans la phrase influencent ensuite la réponse des sujets dans la tâche de vérification d’objets ou de dénomination.

Zwaan, Madden, Yaxley et Aveyard (2004) postulent eux aussi que les connaissances sont des traces perceptives. La compréhension du langage nécessiterait l’activation de représentations perceptives dynamiques. Les participants entendaient une phrase impliquant le mouvement d’un objet se rapprochant ou s’éloignant du participant (par exemple : « les enfants vous jettent la balle » vs. « vous jetez la balle vers les enfants »). Cette phrase était suivie de deux images consécutives (séparées par un masque de 150 msec). Ces images pouvaient représenter deux objets identiques avec une différence de taille entre les deux qui générait l’impression d’un mouvement d’approche (lorsque la deuxième image était plus grande que la première) ou un mouvement d’éloignement (lorsque la seconde image était plus petite que la première). Les images pouvaient également représenter deux objets différents. La tâche du participant était de dire si ces objets étaient identiques ou différents.

Les résultats ont montré que, lorsque les objets étaient identiques, les participants étaient plus rapides lorsque le mouvement induit par les images était congruent avec le mouvement décrit dans la phrase. Il semble donc, d’après ces résultats, que la compréhension d’une phrase implique une simulation perceptive et dynamique de la situation décrite.

Parallèlement à ces travaux de Zwaan et al. (2002), Glenberg et Kaschak (2002) se sont intéressés à l’influence du mouvement dans une tâche où il était demandé aux participants de juger des phrases comme ayant ou non du sens. Les phrases correctes décrivaient une action impliquant un mouvement du bras qui se rapproche ou s'éloigne du corps. Par exemple, « ouvrir le tiroir » ou « mettre votre doigt sous votre nez » implique des actions du bras qui se rapproche du corps ; alors que « fermer le tiroir » ou « mettre le doigt sous le robinet » impliquent des actions du bras qui s’éloigne du corps. La réponse correspondant à ces phrases demandait elle-même un déplacement du bras vers le corps ou s'éloignant du corps. Le boîtier de réponse qui a été créé spécialement comportait trois boutons plus ou moins éloignés du sujet (près, milieu et loin) pour lui permettre de donner sa réponse. Chaque phrase était initiée en appuyant sur le bouton du milieu, le participant appuyait ensuite pour donner sa réponse, soit sur le bouton le plus loin (mouvement éloignant le bras de son corps), soit sur le bouton le plus près (mouvement rapprochant le bras de son corps). Les résultats montrent que la compatibilité entre le mouvement décrit dans la phrase et le mouvement à réaliser pour répondre améliore les performances du participant. Ces résultats constituent ainsi des arguments supplémentaires en faveur de l’idée de connaissances sensorielles et motrices.

Dans la même lignée,Kaschak, Madden, Therriault, Yaxley, Aveyard, Blanchard, et Zwaan (2005) ont mené des travaux pour valider cette même hypothèse de simulation perceptive de l’événement décrit dans la phrase. Leur objectif était de mieux comprendre comment se construisent ces simulations. Les sujets écoutaient et devaient juger des phrases qui décrivent un mouvement allant dans une direction particulière (la voiture s’approche de vous). Simultanément à la présentation auditive de cette phrase, ils voyaient des stimuli noirs et blancs qui engendraient la perception d’un mouvement dans la même direction ou dans une direction opposée à celle décrite dans la phrase. Les résultats montrent que lessujets sont plus rapides lorsque les phrases décrivent un mouvement dans le sens opposé à celui perçu visuellement. Ainsi, cette expérience, comme la précédente, suggère que les simulations relatives à la compréhension du langage ont un caractère perceptif dynamique dans leur élaboration. L’effet inhibiteur de la congruence des mouvements résulte d’après les auteurs, d’une « compétition » entre l’élaboration de la représentation mentale nécessaire à la simulation de la phrase et celle nécessaire à la simulation de l’objet perçu. Ils considèrent en effet que les régions cérébrales impliquées dans l’élaboration de ces représentations sont sous-tendues par les mêmes structures neuronales et donc que les représentations ne peuvent s’élaborer simultanément mais au contraire successivement.

Dans une étude réalisée en 2006, Kaschak, Zwaan, Aveyard et Yaxley ont eux aussi étudié à travers une série de trois expériences le lien entre perception et langage. D’après ces travaux, la compréhension de phrase peut être perturbée par la présentation visuelle d’un stimulus dans la même direction ou une direction opposée à la direction décrite dans la phrase. Dans la présente étude, Kaschak et al. ont montré l’influence d’un stimulus auditif sur la compréhension de phrase. Les participants à cette expérience devaient lire une phrase (présentée mot par mot) qui était accompagnée de la présentation d’un stimulus sonore (un bruit blanc) créé de manière à donner une impression de mouvement. Les résultats montrent que les réponses sont plus rapides lorsque le mouvement décrit dans la phrase diffère de celui suggéré par le bruit blanc.

Ainsi, face à un stimulus, les activations sont multiples, sensorielles, motrices et dynamiques. L’autre phénomène important mis en évidence par les travaux de Zwaan est celui de l’interaction entre les différentes dimensions activées ; ces processus d’interaction seront développés plus longuement dans le chapitre 3.