2.2.2. Connaissances motrices

Action et imagerie : mêmes structures impliquées

Decety a réalisé de nombreux travaux sur l’imagerie motrice afin de montrer la similarité des processus impliqués dans l’action et l’imagerie motrice et ceci à l’aide de techniques aussi diverses que le chronométrie mentale 1 , l’étude des réponses autonomes ou la mesure du flux sanguin dans les régions cérébrales.

Dans une première expérience utilisant la chronométrie mentale (Decety et Michel, 1989), il était demandé aux sujets de réaliser deux tâches graphiques : dessiner un cube et écrire une phrase en utilisant soit la main droite (dominante), soit la main gauche. Les résultats montrent que les temps nécessaires pour exécuter la tâche physiquement ou pour l’exécuter mentalement sont identiques. De plus, la tâche exécutée mentalement de la main gauche est plus lente que la tâche exécutée mentalement de la main droite et ce dans les mêmes proportions que lors de l’exécution physique de l’action.

Dans une seconde expérience (Decety, Jeannerod et Prablanc, 1989), les sujets, yeux bandés, devaient soit marcher, soit s’imaginer marcher jusqu’à une cible. Les temps pour arriver jusqu’à la cible sont les mêmes quelle que soit la condition, imagerie ou réel. De plus, lorsque la cible s’éloigne, le temps pour l’atteindre augmente aussi dans les deux conditions (ceci réplique les résultats trouvés dans les expériences de Scanning menées en imagerie visuelle). Ces résultats montrent bien que les traitements impliqués dans l’imagerie motrice sont les mêmes que dans la réalité.

En étudiant les réponses du système autonome, l’hypothèse de Decety était la suivante : si l’imagerie motrice implique des processus impliqués dans la programmation motrice, l’activation neuro-végétative doit être proportionnelle à l’effort imaginé. Cette hypothèse a été validée dans une expérience de 1991, qui a montré que le rythme cardiaque et l’activité respiratoire augmentaient en condition d’imagerie avec le degré d’effort imaginé. Wang et Morgan (1992) ont confirmé les résultats précédemment obtenus par Decety. Dans une expérience où les sujets devaient imaginer soulever des haltères, les résultats ont montré que l’imagerie motrice engendrait une augmentation importante de la ventilation ainsi qu’une augmentation significative de la pression systolique. Ainsi, des gestes imaginés ou réalisés demandent non seulement le même temps pour être exécutés, mais ont également des effets similaires sur les paramètres végétatifs comme le rythme cardiaque ou la respiration.

Enfin, pour finir sur les travaux de Decety, ce dernier a montré (Decety et al., 1988), grâce à la mesure du flux sanguin dans les régions cérébrales, que les mêmes activations cérébrales sont générées pendant une tâche de mouvements graphiques (écrire un, deux, trois, etc.), et dans une activité d’imagerie de ces mêmes mouvements.

Ce constat rejoint les travaux de Beisteiner et al. (1995) qui ont montré que les structures impliquées par l’action et l’imagerie motrice sont les mêmes. Hollinger et al. (1999) est lui aussi arrivé à la conclusion d’une communauté de structures impliquées dans l’exécution et l’imagination ; ces résultats ont été obtenus en utilisant un EEG 2 et en étudiant les mouvements de saccades oculaires. Par ailleurs, les sujets avaient pour tâche, dans une première phase, d’observer et de mémoriser le mouvement d’un point exécutant quatre sauts sur l’écran d’ordinateur. Dans une seconde phase, le sujet devait soit bouger les yeux comme la séquence, soit imaginer bouger les yeux comme la séquence, soit imaginer le début de la séquence. Les résultats montrent qu’il n’y a pas de différence entre l’activité électrique mesurée pendant l’exécution volontaire des mouvements des yeux et leur simulation ; ce qui suggère que ce sont les mêmes structures cérébrales qui sont impliquées dans les deux cas. Cette expérience réplique l’expérience en TEP 3 réalisée par Lang et al. (1994) qui avaient trouvé les mêmes résultats dans une tâche où les sujets devaient soit exécuter, soit imaginer des saccades horizontales. Cette conclusion de mécanisme commun a aussi été retrouvé par Stippich et al. (2002) dans une étude en IRMf 4 .

Avec une autre technique, celle des stimulations magnétiques transcraniennes 5 (TMS pour Transcranial Magnetic Stimulation), Abbruzzese et al. (1999) ont montré une similarité entre l’inhibition cortico-cortical pendant une contraction volontaire et pendant une imagerie motrice, ce qui suggère là encore des mécanismes identiques dans les deux phénomènes (voir aussi les travaux de Fadiga et al. 1999).

Ainsi, l’ensemble des travaux cités précédemment (auxquels nous pouvons ajouter ceux de Jeannerod, 1995, 2001 ; Jeannerod et Frak, 1999 ; Jeannerod et Decety, 1995 ; Papaxanthis et al., 2002 ; Johnson et al., 2002) montrent que lorsque les participants répètent mentalement une action, les activités neuronales impliquées sont similaires à celles impliques pendant l’exécution motrice de ces mêmes actions. Il semble donc qu’il y ait une similarité des processus impliqués dans les processus de perception et de manipulation.

Notes
1.

c’est-à-dire la comparaison entre le temps mis à réaliser mentalement un mouvement et le temps mis à le réaliser réellement.

2.

L’électro-encéphalographie est la mesure de l'activité électrique du cerveau en appliquant des électrodes sur le cuir chevelu. Le tracé résultant est appelé électro-encéphalogramme (EEG).

3.

TEP pour Tomographie à Emissions de Positon. Cette technique est un examen d’imagerie médicale mesurant l’émission photonique après désintégration de positons produisant une image en 3 dimensions.

4.

L’Imagerie par Résonance Magnétique fonctionnelle (IRMf) est une application de l'imagerie par résonance magnétique à l'étude du fonctionnement du cerveau. Elle consiste à alterner des périodes d'activité (par exemple bouger les doigts de la main droite) avec des périodes de repos, tout en acquérant des images de l'intégralité du cerveau toutes les 3 secondes.

5.

La Stimulation Magnétique Transcranienne consiste à appliquer une impulsion magnétique sur le cerveau à travers le crâne de façon indolore en plaçant une bobine à la surface de la tête. Ces champs magnétiques induisent un champ électrique qui modifie l'activité des neurones situés dans le champ magnétique de la TMS. La TMS est utilisée comme outil de recherche en neurosciences cognitives. Dans ce cas, la TMS est considérée engendrer une lésion artificielle de la zone visée par le champ magnétique. En observant les modifications des performances cognitives, des informations sur le rôle fonctionnel de la région soumise au champ magnétique peuvent être déduites.