2.3. Des connaissances sensorielles et motrices : les travaux en neuropsychologie

Peu de travaux dans le domaine de la neuropsychologie apportent des arguments directs en faveur de l’hypothèse de connaissances sensorielles et motrices. La raison en est certainement que la position dominante en neuropsychologie concernant la mémoire est encore l’approche structurale classique. Ainsi très peu de travaux ont jusqu’à présent essayé de valider l’hypothèse défendue dans cette thèse. On peut toutefois relever un certain nombre d’études qui peuvent être interprétées dans ce sens.

Ainsi, Tranel, Damasio et Damasio (1997) ont testé 116 patients ayant une lésion cérébrale unilatérale dans une tâche d’identification visuelle de trois types de stimuli : des visages de personnes célèbres, des outils et des animaux. Les résultats ont mis en évidence une récupération des connaissances de différentes catégories conceptuelles qui dépend de réseaux neuronaux distincts. En effet, la reconnaissance des stimuli de type « visage connu » semble perturbée lors d’une lésion temporale droite, celle des outils lors d’une lésion dans la jonction occipito-temporo-parietal gauche et enfin la perception des animaux est perturbée lors d’une lésion occipito-temporal-droite ou occipital gauche. Ainsi, différents systèmes neuronaux sont impliqués en fonction des catégories testées. Or nous avons justement vu précédemment que la dissociation catégorielle peut avoir pour origine des composants perceptivo-moteurs spécifiques.

La recherche de Buxbaum et al. (2002) apporte des arguments plus directes en faveur de notre hypothèse. Les auteurs ont testé deux patients apraxiques (JD et WC) afin de mieux comprendre les connaissances de ces patients sur la fonction et la manipulation d’objets. Les patients ont passé la version imagée d’un test élaboré initialement par Buxbaum et Saffran (Function and manipulation triplets test, 1998) dans lequel il leur était demandé de regarder trois images d’objets et de sélectionner les deux qui étaient les plus similaires selon un critère spécifié. Ce critère pouvait être soit la fonction de l’objet (par exemple : tourne disque, radio, téléphone), soit la manipulation (par exemple : machine à écrire, piano, fourneau), soit la fonction et la manipulation ensemble (par exemple : rouleau, pinceau, tournevis). Les performances des deux patients sont moins bonnes dans la condition où le critère est la manipulation par rapport à la condition où le critère est la fonction. Leurs performances, dans la condition où la fonction et la manipulation sont ensembles les critères, sont intermédiaires. Cette relation étroite entre l’apraxie et le déficit concernant les connaissances sur la manipulation suggère, selon les auteurs, que les représentations sensorielles et motrices sont impliquées non seulement dans la compréhension et la production de mouvements volontaires mais aussi quand le participant pense à eux.

Enfin, Servos et Goodale (1995) se sont intéressés à un patient (DF) atteint d’une agnosie visuelle. Ils ont montré que la perception et l’imagerie sont sous-tendues par des mécanismes communs (voir aussi Bisiach et Luzzati 1978 ; Farah, Soso, et Dasheiff, 1992).

Ainsi, il est possible de trouver des travaux en neuropsychologie, même s’ils sont encore peu nombreux, qui corroborent notre hypothèse. Il semble justifié de penser que, si de prochaines recherches dans ce domaine s’inscrivent dans cette perspective théorique, d’autres arguments pourront être avancés.