3.1. L’émergence des connaissances dans le modèle de Versace, Nevers et Padovan (2002)

Comme nous l’avons déjà vu, ce modèle est un modèle épisodique de la mémoire. Il postule l’existence d’une mémoire unique stockant des traces épisodiques, multidimensionnelles et distribuées. Distribuées puisque les traces mnésiques stockées dans cette mémoire ne sont pas localisées ni indépendantes les unes des autres, mais distribuées sur un ensemble de composants ou modules. Ce serait l’ensemble du cerveau qui serait mis en jeu dans la constitution, le stockage et la récupération des connaissances.

Les traces sont multidimensionnelles car chacun des modules code de manière distribuée les différentes composantes, ou dimensions, associées à chaque trace. Ces dimensions sont essentiellement sensorielles, motrices et émotionnelles. Ainsi dans chacune des traces seraient codés les aspects sensoriels, moteurs et émotionnels. Enfin, les traces sont épisodiques puisque les traits codés au niveau de chacune des dimensions ne sont pas des invariants mais dépendent de nos expériences passées. Chacune des traces reflète le contenu de nos expériences passées.

Figure 20 : Architecture d’un modèle épisodique et multidimensionnel de la mémoire à long terme
Figure 20 : Architecture d’un modèle épisodique et multidimensionnel de la mémoire à long terme

Ainsi, dans ce modèle de Versace, Nevers et Padovan (2002) une trace correspond à une synchronisation d’activations au sein des différentes dimensions qui la constituent, ou du moins à l’impact à long terme de cet état d’activation. Les connaissances n’auraient pas d’existence réelle en mémoire, mais émergeraient des interactions entre l’individu et son environnement, donc du fonctionnement cognitif (connaissances fonctionnelles et situationnelles). Plus précisément, la confrontation avec l’environnement se traduirait très rapidement par des activations en parallèle dans de nombreuses structures codant les dimensions sensorielles des objets. Ces premières activations se propageraient ensuite, en cascade, vers d’autres composants en rapport avec les autres propriétés de l’environnement (dont les composants moteurs et affectifs). Ces activations précoces, spécifiques aux propriétés élémentaires des objets, seraient suivies par des intégrations de plus en plus poussées, intra et inter-modales, qui permettraient un accès à des connaissances de plus en plus élaborées et unitaires en rapport avec l’environnement présent.

On voit très clairement ici que les connaissances, qu'il s'agisse de souvenirs ou de connaissances catégorielles, n’ont pas d’existence indépendamment des situations dans lesquelles elles sont impliquées. Ces connaissances sont toujours créées ou recréées dans le cadre des interactions entre l’individu et son environnement. Elles sont issues non seulement des propriétés objectives des situations, mais aussi du sujet lui-même (de ses expériences antérieures, de son état affectif, des objectifs qu’il s’est fixés, et donc des actions qu’il entreprend pour atteindre ces objectifs). Ce n’est pas le cas dans les modèles classiques structuraux de la mémoire, dans lesquels seules les connaissances de la mémoire dite épisodique sont supposées être dépendantes de la situation d’encodage.

Nous nous intéresserons plus particulièrement dans ce troisième chapitre d’une part à la nature situationnelle des connaissances et d’autre part aux mécanismes d’activation et d’intégration des dimensions sensori-motrices des traces, en présentant des travaux ou modèles de la littérature qui décrivent des mécanismes similaires ou qui défendent des points de vue proches.