1.5. Synthèse de l’amorçage à court terme inter sensoriel

Quelle que soit l’expérience, nous avons toujours observé un effet principal du facteur « Catégorie », que ce soit pour les latences ou pour les pourcentages de bonnes réponses. Il apparaît dans la littérature que la catégorie des objets et celle des animaux sont assez distinctes parce que définies par des traits différents. Aussi, leur sensibilité à un amorçage intersensoriel n’est pas équivalent. En effet, de nombreux travaux ont mis en évidence un traitement spécifique des stimuli selon leur appartenance catégorielle. Grâce à l’étude de quatre patients, Warrington et Shallice (1984) ont mis en évidence un déficit spécifique à la catégorie « animal » alors que l’identification d’objets inanimés restait normale. Le déficit inverse a été observé par Warrington et McCarthy en 1983. Ces observations semblent montrer qu’il existe une distinction entre êtres vivants et objets inanimés ; cette distinction reposant sur le fait que les êtres vivants seraient stockés principalement sous forme de traits sensoriels et les objets inanimés de traits fonctionnels. Turnbull et Laws (2000) confirment cette hypothèse en étudiant le cas d’un patient souffrant d’un déficit de reconnaissance plus important pour les objets inanimés que pour les êtres vivants, cette différence étant due à une utilisation de propriétés structurales pour la reconnaissances des objets inanimés et sensorielles pour les êtres vivants. Enfin, Caramazza et Shelton (1998) proposent que la différence observée s’explique par le fait que les deux catégories ne se situent pas au même endroit de l’espace sémantique et que les exemplaires de la catégorie « vivants » possèdent beaucoup plus de propriétés en commun que ceux de la catégorie « inanimés ».

Lors de notre première expérience, sans film-interférent, nous avons pu observer un amorçage d’un son sur une image. En effet, lorsque le son-amorce est congruent avec l’image-cible, les performances des participants sont meilleures. Il est à noter que les performances des participants ne sont pas différentes entre la condition « non congruente » et la condition « bruit blanc ». Nous ne nous attendions pas à ces résultats, notre hypothèse étant que, dans la condition « non congruente », les performances des sujets allaient être moins bonnes que dans la condition « bruit blanc ». En effet, nous faisions l’hypothèse que, dans la condition « non congruente », le son allait activer toutes les connaissances relatives à ce son et notamment la dimension visuelle, l’image-cible présentée ensuite ne correspondant pas aux dimensions visuelles pré-activées, la réponse du participant devrait être ralentie. Cette hypothèse était aussi compatible avec la théorie de connaissances amodales ; selon cette conception, le son active une connaissance sémantique qui, si elle est non congruente avec la cible, ralentit les performances. Or, dans notre expérience, nous ne retrouvons pas de perturbation dans la condition « non congruente ». Cependant, si cette absence de différence entre la condition « non congruente » et la condition « bruit blanc » est difficilement explicable dans la conception de connaissances amodales, celle-ci peut tout à fait s’expliquer dans notre cadre théorique de connaissances multi-modales. En effet, que ce soit dans la condition « congruente » ou la condition « non congruente », le son présenté en amorce active des zones visuelles ; ces activations facilitent ensuite le traitement de la cible même si ce ne sont pas les mêmes représentations visuelles.

Afin de montrer que cet effet d’amorçage est de nature perceptive, nous avons, dans un premier temps, introduit au sein de l’expérience « contrôle » un 3ème bloc avec un changement de nature uniquement perceptive entre ce bloc et les blocs 1, 2. La comparaison des performances entre le bloc 3 et les deux autres blocs a toujours montré une baisse significative des performances dans le bloc 3. Ainsi, nous avons pu en conclure que notre amorçage était bien de nature perceptuelle.

Afin de confirmer cette première observation, nous avons mis en place trois autres expériences, toutes trois ayant pour objectif de montrer qu’une interférence visuelle pendant la présentation du son-amorce allait empêcher l’amorçage de s’exprimer car le film utilisé allait interférer avec la dimension visuelle pré-activée par le son-amorce. L’utilisation du premier et du second film-interférent s’est révélée inefficace. Comme nous l’avons déjà vu, ceci est sans doute dû à la nature de ces deux films puisqu’ils étaient du type masque-bruit. Le troisième film, qui s’apparentait lui à un masque pattern, a permis d’observer les effets attendus : l’analyse de variance n’a pas montré d’effet principal du facteur « Amorce ». Notre troisième film-interférent s’est donc révélé efficace puisqu’il n’a pas permis à notre amorçage de s’exprimer. Cependant, il est important de noter que même si nous n’obtenons plus d’effet principal du facteur « Amorce », nous retrouvons l’effet de ce facteur pour la catégorie des objets. Nous pouvons imaginer que le son présenté en amorce active de multiples dimensions notamment visuelles ou motrices ; les activations motrices pouvant à elles seules faciliter ensuite le traitement de l’image-cible. Dans ce cas, les activations motrices suffisant à faciliter le traitement de la cible, l’effet d’amorçage ne peut être supprimé par une simple interférence visuelle. Ainsi, se dégage de ces observations la difficulté de créer une interférence pour des stimuli visuels, sauf pour la catégorie des êtres vivants, qui, comme nous l’avons vu précédemment, sont particulièrement sensibles aux dimensions visuelles.

Pour conclure sur cette première série d’expérience concernant l’amorçage intersensoriel à court terme, il apparaît clairement que la présentation d’un son en amorce facilite le traitement d’une image-cible si celle-ci est congruente. Cet effet d’amorçage est dû à la nature perceptive des connaissances : face à un stimulus amorce (ici sonore), le participant active de façon automatique toutes les connaissances sensorielles et motrices liées à cet objet. Ces activations sont les mêmes que celles qu’elles seraient en présence de l’objet et facilitent le traitement de l’image-cible. Afin de montrer que cet amorçage est de nature perceptive et non pas sémantique comme pourraient le prétendre les défenseurs des connaissances amodales, deux types de vérifications ont été introduits : un changement perceptif entre le bloc 2 et le bloc 3 et la présentation d’une interférence visuelle pendant la présentation de l’amorce. Ces deux éléments nous ont permis de conclure à la nature perceptive de l’amorçage puisque ce dernier est perturbé par un changement perceptif et un masquage visuel.