Introduction générale

La vie et l'œuvre de Pierre Corneille sont marquées par les ruptures : ruptures dans la carrière théâtrale, rupture dans le choix des genres théâtraux, rupture dans l'esthétique littéraire adoptée.

Ainsi tout d'abord la carrière théâtrale de Corneille dure quarante-six ans, de la saison 1 1629-30 avec Mélite 2 à celle de 1674-75 avec Suréna : il a vingt-trois ans lorsque est jouée sa première pièce et soixante-huit lors de la création de la dernière. Entre ces deux dates extrêmes on peut distinguer deux périodes : une première période de 1629-30 à 1651-52 — soit vingt-trois ans — marquée par son entrée dans le théâtre et son retrait après l'échec de Pertharite, et une seconde période de 1652 à 1674-75 — soit vingt-trois ans — marquée par son retour et sa retraite définitive après l'échec de Suréna. Ensuite on peut remarquer que la première pièce de Corneille est une comédie et est tout de suite un succès, alors que la dernière est une tragédie et est un échec. Enfin on peut dire que ses premières créations sont baroques tandis que les dernières sont classiques.

La première période de la carrière théâtrale de Corneille commence par une époque de dix ans, de 1629-30 à 1638-39, pendant laquelle Corneille va écrire dix pièces de théâtre à succès à l'esthétique baroque 3  : essentiellement des comédies — sept —, deux tragi-comédies — Clitandre et Le Cid— et une tragédie — Médée. Le Cid qui clôt cette époque est joué en 1637 et Horace qui ouvre la suivante en 1640 : soit deux saisons d'interruption pendant lesquelles se développe la querelle du Cid 4 . L'époque suivante dure treize ans, de 1639-40 à 1651-52, pendant laquelle il écrit une série d'œuvres tragiques 5 à l'esthétique différente, classique 6 — onze —parmi lesquelles viennent se glisser deux comédies — Le menteur et La suite du menteur. D'une époque à l'autre le rapport entre les comédies et les tragédies s'est inversé et à la fin de cette première période Corneille est devenu un auteur tragique dont la gloire est grande auprès du public 7 .

La deuxième période commence par une époque de six ans, de 1652 à 1658-59. Corneille a quitté le théâtre et s'est démis de ses charges — procureur aux États de Normandie pendant la Fronde. Il se consacre à une traduction en vers de L'Imitation de Jésus-Christ qui paraîtra en 1656. Ce n'est qu'en 1658-59 avec Œdipe, à la demande de l'intendant des finances Fouquet, qu'il réapparaît au théâtre pour une époque de dix-sept ans qui se termine en 1674-75. Sa gloire pendant toute cette époque n'est plus la même et ses tragédies seront souvent reçues avec froideur 8 . L'échec de Suréna le décidera à la retraite définitive.

L'on peut s'interroger sur les raisons de ces ruptures successives : passages du succès à la gloire puis au silence pour finir par une incompréhension avec le public, passage de la comédie à la tragédie, et passage du baroque au classicisme. Et essayer de trouver des explications.

Concernant la carrière théâtrale de Corneille tout d'abord, au XVIIe siècle déjà, les critiques ne s'entendent pas sur la lecture de son œuvre ; Saint-Évremond dira : « Corneille enlève l'âme et laisse à Racine le faible avantage qu'il gagne l'esprit », tandis que Longepierre dira de Corneille le contraire : « Le coeur se refroidit tandis que l'esprit s'échauffe ». Paul Bénichou explique cette discordance en affirmant que ces sentiments correspondent en fait à deux moments successifs séparés par l'accession au pouvoir en 1661 de Louis XIV, libéré de la tutelle de Mazarin par la mort de celui-ci, et qui va désormais assumer la direction effective du Royaume. Cet événement est proche du retour au théâtre de Corneille et de son discrédit auprès du public. C'est que les temps ont changé : la Fronde est terminée et l'aristocratie a été vaincue ; le temps de Louis XIII à « l'atmosphère d'orgueil, de gloire, de romanesque et de générosité aristocratique » où baigne l'« enthousiasme cornélien » a laissé la place à celui de Louis XIV où le « sublime cornélien » est déjà « archaïque » 9 . D'ailleurs sans doute Corneille sentait-il déjà en 1660 10 ce décalage entre lui et son public puisqu'il décide de corriger l'ensemble de ses œuvres, d'y ajouter trois discours sur la tragédie et des examens pour chacune des pièces. Mais ce sont surtout les pièces de 1629 à 1637 qu'il a réécrites, c'est-à-dire essentiellement des comédies, de Mélite au Cid compris.

Concernant les genres et l'esthétique du théâtre de Corneille ensuite, il est intéressant de rapprocher la date de l'accession au pouvoir de Louis XIV de celle qui marque le début de la période classique qui s'étend de 1661 à 1685 11 . Paul Bénichou affirme qu'après 1660 l'on passe d'une « littérature du sublime, du brillant, du romanesque » — « le temps des beaux sentiments, des romans, des poèmes héroïques et de la poésie brillante » —, c'est-à-dire du beau pendant le temps de l'agitation aristocratique, à une littérature de la « nature et de la vérité » — « le triomphe de la raison et de la nature » —, c'est-à-dire du vrai pendant le temps de la royauté sous Louis XIV 12 . Auparavant de 1570 à 1650 s'est développée une littérature préclassique : le baroque 13 . La première période de Corneille (1629-1652) correspond donc à la transition en littérature du baroque au classicisme. En 1642 la France est d'ailleurs partagée entre les deux 14 et Corneille l'est aussi : en 1648, puis surtout en 1660 où il décide de réécrire ses premières œuvres jusqu'au Cid compris — essentiellement des comédies — pour gommer ce qui n'est plus à la mode classique. « En une génération, dit Georges Couton, le langage, les modes, les bienséances ont changé ; l'auteur lui-même, passant de sa vingt-cinquième à sa cinquantième année, est à la fois un autre et lui-même, et sa vision du monde s'est modifiée. [...] Corneille est plus soucieux des règles, même si — à l'occasion — il les contourne plus qu'il ne les respecte, plus respectueux des bienséances. Le langage reste vigoureux. Il le sera toujours parce que la pensée est ferme, mais il est moins dru, moins vert. Corneille devient classique. Les œuvres anciennes seront ramenées, par le jeu des corrections, à plus de pudeur. » 15 En faisant ces corrections Corneille s'adapte aux impératifs esthétiques de la seconde moitié du XVIIe siècle, qui renvoient à la régularité classique : respect des bienséances mais aussi séparation des genres. Ainsi, pris dans ces évolutions, Corneille a en effet également éprouvé le besoin de changer de genre théâtral et de passer de la comédie à la tragédie pour être plus en rapport avec son temps. Plus en rapport aussi avec la politique de Richelieu, car si le but de Corneille est de plaire au public parfois au mépris de certaines règles 16 , il est aussi de servir celui qui oriente le théâtre vers un renouveau de la tragédie et l'expression d'une nouvelle morale 17 .

* *

En étudiant un auteur comme Corneille il faut s'attendre à répéter ce que d'autres critiques ont déjà dit, parfois de manière contradictoire. Ainsi nous ne sommes pas les premiers à observer ce phénomène de rupture, notamment dans la première période de la carrière théâtrale de Corneille qui apparaît de ce point de vue comme la plus passionnante. Rupture entre le baroque et le classicisme d'abord avec des critiques qui ne voient qu'une continuation 18 là où d'autres voient une évolution 19 . Rupture entre les comédies et les tragédies ensuite avec des critiques qui essaient de trouver une explication dynamique, les comédies préfigurant les tragédies 20 , là où d'autres pensent qu'il faut étudier chaque pièce séparément sans rechercher une cohésion qui n'existe peut-être pas 21 .

Devant ces attitudes opposées — qui ne le sont qu'en apparence si l'on garde à l'esprit que le passage de l'une à l'autre forme dramatique, de l'une à l'autre esthétique, s'est fait progressivement et par chevauchement — notre but ne sera pas de proposer d'emblée une nouvelle explication mais bien plutôt de s'interroger d'abord sur la façon dont se sont faites ces ruptures dans la première période de la vie de Corneille en essayant de les décrire.

Pour cela, loin de tout esprit de « systématisation » visant à appliquer à l'œuvre de Corneille des grilles de lecture sociales, philosophiques ou morales, nous avons choisi d'étudier les pièces de façon empirique au travers d'une analyse objective soutenue par l'observation de faits de langage, plus précisément de faits lexicaux. Et comme en biologie l'on utilise le marquage radioactif des molécules pour étudier leurs propriétés ou suivre leur métabolisme, nous nous intéresserons de même à deux marqueurs « pertinents » qui nous permettront d'observer les transformations du théâtre de Corneille : le couple lexical folie-déraison et le champ conceptuel correspondant 22 .

Autrement dit est-il possible de donner une description stylistique, au travers de la description du couple lexical folie-déraison et du champ conceptuel correspondant, des transformations de genre et d'esthétique du théâtre de Corneille telles qu'elles sont apparues dans la première période de son œuvre couvrant les années 1629-30 à 1651-52 ?

Les raisons du choix de ces deux marqueurs sont de deux ordres.

Tout d'abord l'évolution du couple folie-déraison semble bien suivre l'évolution de l'œuvre de Corneille telle que nous l'avons décrite. Ainsi une première lecture des pièces laisse apparaître clairement que le mot folie apparaît le plus souvent dans les comédies avant Le Cid non compris, mais très rarement dans les tragédies après Le Cid.

Mais surtout ensuite la folie entretient des liens forts avec la comédie et le baroque tandis que la déraison entretien des liens avec la tragédie et le classicisme. D'un côté c'est Michel Foucault qui associe la folie au baroque et qui parle de « jeux d'un âge baroque » pour ces œuvres littéraires datant de la fin du XVIe siècle au début du XVIIe siècle où la présence de la folie est multiple : « Un art qui pour maîtriser cette raison qui se cherche reconnaît la présence de la folie, de sa folie, la cerne, l'investit pour finalement en triompher. » 23 D'un autre côté c'est Henri Peyre qui voit dans le classicisme la domination de l'esprit d'analyse du héros : selon lui en effet le rôle des règles a contribué à « intérioriser l'action des pièces », et « Les personnages tragiques sont des fauves en cage impuissants à fuir leur proie ou à se fuir eux-mêmes » 24 . L'on est alors plongé en plein dilemme cornélien frappant les personnages principaux et les menant à la limite de la déraison.

Il s'agit là d'une double hypothèse dont nous nous appliquerons à montrer le bien fondé par une étude des pièces qui précédera leur analyse lexicologique. En effet l'analyse lexicologique elle-même ne prendra de sens au niveau général du théâtre de Corneille, ne sera pertinente pour rendre compte de l'évolution de celui-ci, qu'avec la réalité de cette hypothèse.

Ainsi dans la première partie l'analyse historique de la folie et de la déraison précédera l'analyse lexicologique en langue. Ainsi dans la deuxième partie la vérification, au travers de textes tout d’abord pris séparément, du fait que la folie chez Corneille est liée à la comédie et au baroque, à une forme d'extériorisation, tandis que la déraison est liée à la tragédie et au classicisme, à l'intériorisation des sentiments, précédera la description en contexte syntagmatique 25 du couple lexical folie-déraison et de son champ générique. Ainsi toujours dans la deuxième partie, en conclusion la description dans son évolution du passage de la folie à la déraison, au travers de textes maintenant pris comme un ensemble, précédera celle du couple lexical folie-déraison et de son champ générique en contexte diachronique.

L'évolution qui conduit au passage d'un genre ou d'une esthétique à l'autre occupe toute la première période marquée par la rupture de 1637 26 . La période retenue est large car les choses ne sont pas aussi tranchées comme l'on a pu le faire remarquer plus haut : le baroque ne disparaît pas avec le classicisme comme la folie ne disparaît pas avec la déraison, et des tragédies apparaissent au milieu des comédies comme des comédies apparaissent au milieu des tragédies. C'est ce qui rend le classicisme et la folie plus subtils, c'est ce qui rend aussi Corneille plus « frémissant de vie. » 27

Michel Foucault nous livre quelques éléments de réflexion sur cette période. Pour lui, 1656 — quatre ans après la retraite provisoire de Corneille — est une date essentielle : il s'agit du décret de fondation de l'hôpital général à Paris qui marque le partage entre une folie liée aux « expériences majeures de la Renaissance » et une folie « maîtrisée » 28 . En plein XVIIe siècle la folie devient le monde de l'exclusion alors qu'avant elle circulait librement ; au début du siècle même, le monde est encore « étrangement hospitalier à la folie : elle est là, au coeur des choses, signe ironique qui brouille les repères du vrai et du chimérique » 29 (l'illusion baroque), comme elle est au cœur de l'œuvre de Corneille. En un demi-siècle, la folie se retrouve recluse, « arrachée à cette liberté imaginaire » de la Renaissance, et l'internement représente le moment où la folie est perçue par rapport à la pauvreté et l'incapacité au travail ; c'est-à-dire qu'en un demi-siècle elle s'est trouvée liée à des règles morales et à la raison 30 (rationalisme classique). Il pourra alors être question de déraison comme ce sera le cas à partir de 1637 dans l'œuvre de Corneille même si ce mot n'existe pas dans son vocabulaire comme il est pratiquement inexistant dans les dictionnaires de la fin du siècle. Mais elle est pourtant bien là.

* *

Nous plaçant dans une démarche lexicologique, d'étude scientifique du lexique, les aspects méthodologiques occuperont une place importante : nous essaierons de décrire puis d'appliquer une méthode linguistique opérante dans le cas présent mais également utilisable pour d'autres textes et d'autres auteurs.

L'étude lexicologique, qui rend compte de l'organisation des mots du lexique d'une langue en un système, un ensemble structuré d'éléments, système lexical sémantique 31 , pour reprendre l'expression de Jacqueline Picoche, permet deux choses.

Tout d'abord, elle permet la comparaison, sur un plan synchronique, des deux systèmes lexicaux sémantiques qui existent au niveau d'une langue : un système profond appelé « système en langue » car artificiel 32 et un système superficiel appelé « système en contexte » car utilisé couramment pour parler ou écrire. Ces deux systèmes ne sont pas distincts, mais forment au contraire une structure commune, permettant l'écriture et la compréhension des textes.

Ainsi il existe deux niveaux de signification : un niveau profond correspondant au système en langue et un niveau de surface correspondant au système en contexte. Le problème est que nous n'avons qu'une connaissance intuitive du niveau profond correspondant au système en langue (définitions précises des mots correspondant à une décomposition fine de leur sens en sèmes et organisation en système), et que nous n'utilisons que notre compétence dans la langue concernée (notre éducation nous a permis d'intérioriser nos propres définitions des mots et notre propre système sémantique) pour notre compréhension ou notre expression, compétence qui trouve son émanation dans le niveau de surface ou système en contexte. C'est cependant la corrélation qui existe entre le niveau profond, commun à tous les locuteurs 33 , et le niveau de surface, particulier à chaque locuteur, qui permet la communication, malgré certaines incompréhensions et des pertes de sens. Dans ce cadre, les particularités de chaque écrivain par rapport au système commun, principalement d'un point de vue synchronique, peuvent être intéressantes à mettre en évidence.

Ensuite l'étude lexicologique doit également permettre la comparaison de deux ou plusieurs systèmes en discours, puisque, à partir de ce qui vient d'être dit, si le système en langue ne peut varier, il existe par contre en principe autant de systèmes en discours que de locuteurs. Il est ainsi possible de comparer deux styles d'écrivains, d'un point de vue synchronique, qui font chacun un usage particulier de la langue. Mais il est aussi possible, pour un même écrivain, d'étudier ses variations de style, principalement d'un point de vue diachronique, sur toute ou une partie de son œuvre.

Dans les deux cas présentés — comparaison des systèmes lexicaux sémantiques en langue et en contexte, et comparaison des systèmes en discours — le système en langue sert de base à l'étude lexicologique. C'est pourquoi l'étude que nous ferons de la folie et de la déraison, pris comme sous-systèmes, ou champs 34 , d'un système général englobant le lexique de la langue ou le vocabulaire d'un auteur, portera dans un premier temps sur une structuration en langue, et dans un deuxième temps sur une structuration en contexte dans l'œuvre de Corneille, dans ce dernier cas successivement d'un point de vue synchronique sur des œuvres prises séparément, puis d'un point de vue diachronique sur les mêmes œuvres prises comme un ensemble. Cependant une question de fond se posera : est-il possible de construire un champ de référence en langue invariant opérant quelle que soit la période du champ contextuel correspondant étudié ? C'est une étude lexicologique diachronique de folie et déraison qui nous permettra de répondre.

Nous utiliserons par ailleurs une même méthode d'analyse pour les champs lexicaux sémantiques 35 se rapportant à la folie et à la déraison en langue et en contexte. Cette méthode reposera sur une double démarche : une démarche onomasiologique allant du signifié vers le signifiant, et une démarche sémasiologique allant en sens inverse du signifiant vers le signifié. La première démarche permettra de mettre en évidence le champ onomasiologique à plusieurs mots dont le signifié a en commun le même genre prochain de folie et de déraison, à savoir le champ générique de la folie et de la déraison. La deuxième démarche permettra d'étudier les champs sémasiologiques à un mot de folie et de déraison, ainsi que ceux à plusieurs mots de leurs familles synchroniques et historiques. Auparavant cependant il nous faudra parler de méthode en soulignant l'importance de commencer par l'analyse onomasiologique, puis d'utiliser les résultats de celle-ci pour mener l'analyse sémasiologique, plutôt que de faire l'inverse.

Il reste enfin à définir précisément le corpus d'étude. Il nous semblait difficile de traiter l'ensemble des comédies et des tragédies de la première période de Corneille, depuis Mélite jusqu'à Pertharite, de la même manière : ce travail aurait été d'une ampleur trop considérable. Aussi avons-nous choisi de ne travailler que sur quatre pièces de Corneille : Mélite, Clitandre, Le Cid, et Horace 36 pour couvrir la période allant de 1629 à 1652.

Ainsi notre travail reposera sur la description de plusieurs champs lexicaux sémantiques. Un champ onomasiologique générique unique recouvrant la notion de folie et de déraison et un champ sémasiologique double correspondant au couple lexical folie-déraison. Ceci dans Mélite, Clitandre, Le Cid, et Horace, et avec la visée de mettre en évidence la rupture de genre et d'esthétique dans la première période de l'œuvre de Corneille.

L'étude se divisera en deux parties.

La première partie sera consacrée à une analyse historique de la folie et de la déraison, suivie d'une analyse lexicologique en langue menée du point de vue d'une double démarche, onomasiologique dans une perspective synchronique au XXe siècle, puis sémasiologique à la fois dans une perspective diachronique afin de démontrer l'invariance des champs élaborés, et synchronique au XXe siècle. La deuxième partie consistera, après une présentation de chacune des quatre pièces de Corneille : Mélite, Clitandre, Le Cid, et Horace, mettant en lumière les relations entre la folie et la déraison d'un côté, et les notions de genre et d'esthétique de l'autre, en une application du système élaboré en langue aux quatre pièces prises séparément dans une perspective contextuelle syntagmatique à la fois onomasiologique et sémasiologique. La conclusion à cette seconde partie permettra de décrire tout d'abord dans son évolution le passage de la folie à la déraison, puis la mise en place d'une application dynamique du double système lexicologique aux quatre pièces prises cette fois ensemble dans une perspective contextuelle paradigmatique à la fois onomasiologique et sémasiologique.

Notes
1.

« Nous comptons, on le voit, en saisons dramatiques et non point en années civiles. » Couton, 1980, p. LXX.

2.

« Admettons que Mélite ait été joué pendant la saison 1629-30 ; fournir plus de précision serait hasardeux. » Couton, 1980, p. LXX.

3.

« Dans l'ensemble, la critique contemporaine reconnaît une présence baroque dans les premières œuvres de Corneille. » Sweetser, 1977, p. 22.

Nous reviendrons plus loin sur le point de vue contradictoire de la critique.

4.

« Corneille songeait-il dès le milieu de 1637 à une pièce nouvelle pour la saison suivante ? On le croirait. Cela serait très normal et correspondrait à la cadence ordinaire de sa création. Cette pièce éventuelle était-elle Horace ? Nous ne le savons pas. Mais la querelle du Cid se développait, devenait injurieuse, scandaleuse et assez écœurante. Surtout la condamnation formelle, quoique courtoise, contenue dans Les Sentiments de l'Académie, de la tragi-comédie du Cid laissait le poète très hésitant quant à son art. De pièce nouvelle il ne sera pas question de deux ans. » Couton, 1980, p. 1534-35.

5.

C'est pour certaines de ses œuvres tragiques que les critiques modernes parlent de « chefs d'œuvres ». Ainsi Paul Bénichou cite Horace, Cinna, Polyeucte, La mort de Pompée, Rodogune et Nicomède. Bénichou, 1990, p. 588.

6.

« Horace marquerait la création d'une nouvelle forme. » Sweetser, 1977, p. 20.

7.

« Cette gloire et l'enthousiasme du public pour ses ouvrages étaient immenses, si nous en croyons les témoignages de l'époque ». Bénichou, 1990, p. 588.

8.

« Le poète ne retrouvera plus les succès d'autrefois. Un divorce s'est produit entre lui et le public ; c'est une nouvelle génération ». Mantéro, 1966, p. 229.

9.

Bénichou, 1970, p. 17-18.

10.

« L'intérêt de l'édition de 1660 est capital. Corneille vient de passer plusieurs années dans la retraite. Il a réfléchi sur son art, d'où un grand travail doctrinal et critique. [...] Pour les premières pièces au moins, entre l'original et le texte de 1660, s'est écoulé le temps d'une génération. » Couton, 1980, p. XCII.

11.

Peyre, 1990, p. 966.

12.

Bénichou, 1970, p. 9-10.

13.

Mignot, juin 1992, p. 42.

D'autres dates sont parfois proposées pour la délimitation de la période baroque. Ainsi Claude-Gilbert Dubois donne 1598-1630 (Dubois, juin 1992, p. 37).

14.

Peyre, 1990, p. 966.

15.

Couton, 1980, p. XCII-XCIV.

16.

« Pour Corneille, empirique, pragmatiste, les règles sont, ne sont que, des recettes pour plaire. » Couton, 1990, p. 37.

17.

Jacques Maurens explique le changement d'orientation de Corneille vers 1635-36 : après les comédies, il se tourne du côté de la tragédie et des thèmes susceptibles de plaire à Richelieu.

« [Dans les comédies] Corneille suit tout simplement les suggestions de son « sens commun », en raillant les excès du dandysme et du snobisme ; il n'en sera que plus capable de dire le bon usage de la raison, sur lequel il s'accordait, d'en doutons pas, avec la majorité de ses contemporains.

« Le moment semble venu en 1634 ; Corneille a fait le tour de son unique sujet comique ; sous l'impulsion de Richelieu, le théâtre s'oriente vers l'expression des idées politiques et morales ; la tragédie renaît. [...] Corneille s'apprête à devenir un écrivain engagé.»

Maurens, 1966, p. 196-197.

Voir aussi le travail de Georges Couton qui a montré notamment qu'Horace répondait aux idées politiques de Richelieu. Couton, 1980, p. 1546, 1548.

18.

« Jean Rousset choisit l'œuvre de Corneille comme exemple d'une œuvre dramatique relevant, par certains aspects du moins, d'une esthétique baroque définie essentiellement par la métamorphose et le mouvement. [...] M. Rousset entend-il suggérer que la structure des chefs-d'œuvre ne diffère pas essentiellement de celle des comédies, et relève de la même esthétique ? » Sweetser, 1977, p. 20-21.

19.

« Raymond Lebègue souligne, de son côté l'outrance baroque dans le caractère du jeune Horace et dans celui de Camille ; pourtant il perçoit une évolution de Corneille du baroque au classique tel qu'il se définit vers 1640 : respect des unités, progrès des bienséances, élimination de l'horreur matérielle, tout en admettant que les personnages « hors nature, les monstres d'orgueil ou de vengeance » persistent jusqu'à Attila. » Sweetser, 1977, p. 23.

20.

« Dans son étude ultérieure sur Polyeucte, M. Rousset s'efforce de montrer que le dramaturge utilise dans un de ses chefs-d'œuvre un schéma utilisé précédemment dans les comédies, dans la Galerie du Palais en particulier, puis dans la tragi-comédie du Cid. » Sweetser, 1977, p. 21.

Voir aussi le travail de Bernard Dort sur le héros cornélien préfiguré dans Alidor de la Place Royale. Dort, 1972.

21.

« Selon Jacques Maurens, il y aurait deux mondes bien définis dans l'œuvre cornélienne et il serait vain de vouloir à tout prix trouver une préfiguration de l'univers sérieux des tragédies dans certaines comédies, La Place royale en particulier, pour établir l'unité de l'œuvre. » Sweetser, 1977, p. 9.

22.

« Champ conceptuel » est à prendre au sens que nous donnerons par la suite lors de l'analyse lexicologique, en reprenant la terminologie de Jacqueline Picoche, à « champ générique » : « Ensemble de mots dont le signifié a en commun un même genre prochain. » Picoche, 1977, p. 67.

Nous avons écarté le couple folie-raison dont les deux éléments ne font pas partie du même champ conceptuel.

23.

Foucault, 1987, p. 47.

Henri Peyre associe baroque et instabilité. « Le baroque chérit les images de flux, de courbe, de volutes et en général d'instabilité ». Peyre, 1990, p. 966.

24.

Peyre, 1990, p. 967. « Ces héros des tragédies et des romans classiques sont de lucides analystes de leur cœur. L'intellectualité est présente chez ces passionnés qui tiennent à voir clair en eux-mêmes.»

Georges Couton dit à peu près la même chose : « La tragédie cesse donc d'être simplement déploration ou action pour devenir la peinture d'un double crise : celle qui oppose les uns aux autres les protagonistes, celle surtout qui fait se heurter passions et nature, devoir et amour en chacun d'eux. L'apport particulier, personnel, de Corneille à la tragédie réside, selon nous, dans cette intériorisation des conflits, et cela dès Le Cid. » Couton, 1990, p. 44.

25.

Nous opposons le contexte synchronique correspondant à un corpus restreint à une période précise limitée, à un texte clos, au contexte diachronique correspondant à un corpus élargi à une période longue dans le temps, à un ensemble de textes.

26.

Nous parlons de rupture avec Le Cid, mais là encore les choses ne sont pas tranchées. Le Cid est rattaché à la première époque de Corneille qui comprend essentiellement des comédies. Cependant la pièce pour certains critiques, dont Georges Couton qui considère qu'un « écrivain nouveau est né », se rapproche déjà de la seconde époque qui comprend essentiellement des tragédies : « L'apport particulier, personnel, de Corneille à la tragédie réside, selon nous, dans cette intériorisation des conflits, et cela dès Le Cid. C'est une grande et féconde nouveauté » — Couton, 1990, p. 44 — cependant que pour d'autres, c'est Horace qui introduit véritablement une nouvelle forme : « Les première comédies, Clitandre, Médée, L'Illusion comique sont aujourd'hui rattachées à une esthétique baroque dont certains traits persisteraient dans la tragi-comédie du Cid et même après, tandis qu'Horace marquerait la création d'une nouvelle forme. » (Sweetser, 1977, p. 20). Ce que l'on retiendra c'est que c'est bien entre Le Cid et Horace que se produit une transformation : cela nous servira pour le choix du corpus.

27.

« Le baroque et le précieux, la passion et la ferveur persistent derrière l'apparence de bienséance un peu compassée don on revêt le classicisme.» Peyre, 1990, p. 966.

« La notion étroite du classicisme inculquée par quelques manuels [...] expulse ce qui était cornélien, pascalien, libertin ou fiévreux. C'est dans ce classicisme frémissant de vie que tant de modernes ont trouvés, non pas des modèles figés, mais un stimulant.» Peyre, 1990, p. 969.

28.

Foucault, 1987, p. 18.

29.

Foucault, 1987, p. 55.

30.

Foucault, 1987, p. 90-91.

31.

Les systèmes définis sont « lexicaux puisque nous décidons de n'y faire rentrer que des mots faisant partie de séries ouvertes. Ils sont sémantiques en ce que, d'une manière ou d'une autre, on y envisage toujours le rapport entre signifiant et signifié. » Picoche, 1977, p. 68.

32.

« Une langue reconstruite ». Le dictionnaire ne reflète par la réalité de la langue mais renvoie l’image que cette société s'en fait et retouche cette image. Baylon, Fabre, 1989, p. 226.

33.

Dans le sens où le système en langue, qui est construit, est posé comme appartenant à la collectivité et mis à la disposition de chacun, notamment au travers des dictionnaires qui servent de référence. Encore faudrait-il que chaque dictionnaire donne la même idée de ce système.

34.

En ce qui concerne la notion de champ, là où Jacqueline Picoche parle globalement d'ensemble structuré d'éléments linguistiques, François Rastier précise : ensemble structuré de taxèmes, les classes minimales nécessaires. La notion générale de champ nous apparaît suffisante ici, précision faite qu'il s'agit d'ensembles faisant partie d'un système général.

Il s'agit du champ dérivationnel de Georges Mounin. Picoche, 1977, p. 69.

35.

« Devant cette confusion, Jacqueline Picoche, auteur d’une pénétrante étude sur les champs à laquelle nous renvoyons, s’est trouvée amenée à évoquer les « champs lexicaux sémantiques » (sic), expressionque, consciente de la difficulté, elle a tout de suite abandonnée au profit de champ générique, ce qui est beaucoup plus clair […] » Baylon, Mignot, 2000, p. 115.

Il semble qu'il y ait ici une confusion de la part des deux auteurs. En effet Jacqueline Picoche ne fait pas de « champ générique » le synonyme de « champs lexicaux sémantiques ». Il ne s'agit pas de la même chose. « Champs lexicaux sémantiques » au pluriel est une expression qui désigne un ensemble de champs différents classés en deux catégories par Jacqueline Picoche, « champ générique » au singulier appartenant à la seconde. Tout d'abord des champs sémasiologiques concernant la monosémie, la polysémie, les familles historiques, et les familles synchroniques ; ensuite des champs onomasiologiques concernant les champs associatifs, les champs génériques, les grilles onomasiologiques, et les mots de même distribution. Picoche, 1977, p. 67.

36.

Les raisons du choix de ces quatre pièces. Mélite et Clitandre sont les deux premières œuvres du Corneille de la première époque : une comédie et une tragi-comédie qui deviendra ensuite une tragédie. Le Cid, qui clôt la première époque en engendrant du fait de sa nouveauté une querelle autour de lui, et Horace, qui débute la seconde, inaugurent un changement radical dans l'œuvre de Corneille : une tragi-comédie qui deviendra ensuite une tragédie, et une tragédie. Le passage est alors réalisé de la comédie à la tragédie, du baroque au classicisme. Voir également dans la deuxième partie le chapitre « 1.2.1.1— La délimitation du corpus ».