Roland Jacquard affirme que c'est la société qui impose à la folie ses limites en définissant les normes de pensée et de comportement : les symptômes de la maladie mentale s'opposent toujours à la norme sociale car ils sont déterminés par rapport à celle-ci 42 .
Ainsi l'auteur oppose dans l'histoire de l'humanité l'attitude des sociétés de « l'Âge Théologique » qui ont une conception primitive de la folie et en font une « des catégories du sacré » : soit religieux, soit démoniaque 43 , à l'attitude des sociétés de « l'Âge de raison » qui ont une conception scientifique du monde et où les fous ne sont plus considérés « comme des possédés du démon mais comme des personnes dangereuses ou improductives au même titre que les criminels, les débauchés et les miséreux », avec lesquels ils seront internés. 44
Les morales sous-jacentes à ces deux attitudes opposées sont bien différentes. Roland Jacquard cite Thomas Szasz 45 . Dans le premier cas « être humain signifiait admirer Dieu (Jésus) » et « être vertueux signifiait être un chrétien d'une fidélité à toute épreuve (un saint) », alors que dans le second « être humain signifie admirer la Science (la Technologie, le Progrès) » et « être vertueux signifie être en bonne santé (heureux). » De même dans le premier cas « être mauvais signifiait être hérétique (une sorcière) », alors que dans le second être mauvais signifie « être mentalement malade (malheureux) » 46 .
Roland Jacquard conclut qu'il s'agissait dans les deux cas pour « l'idéologie dominante de fabriquer son propre contradicteur » (la Sorcière — le Fou) de manière à renforcer son pouvoir en remportant une victoire sur celui-ci (l'Inquisition et le Bûcher — la Psychiatrie et l'Asile) 47 .
Jacquard, 1992, p. 11-12.
« Encore dans le Nouveau Testament, nous voyons la folie considérée comme une possession par de mauvais esprits qu'il faut chasser du corps du malade pour le guérir. » Jacquard, 1992, p. 12.
« On a l'habitude de dire que le fou du Moyen Âge était considéré comme une personne sacrée, parce que possédé. Rien n'est plus faux. (C'est nous qui regardons « les possédés » comme des fous — ce qui est un postulat — et qui supposons que tous les fous du Moyen Âge étaient traités comme des possédés — ce qui est une erreur). S'il était sacré, c'est avant tout que, pour la charité médiévale, il participait au pouvoir obscur de la misère. » Foucault, 1987, p. 74.
La misère a une « positivité mystique » au Moyen Âge. Elle est à la fois une glorification de la douleur, la promesse par Dieu d'une gloire future à celui qui souffre et l'assurance pour la Charité d'un salut pour la Pauvreté secourue. Foucault, 1987, p. 67.
Jacquard, 1992, p. 12.
Né en 1920 en Hongrie, Thomas Szasz est américain. Psychiatre et psychanalyste, il est l’inventeur de l’antipsychiatrie. Pour lui le concept de maladie mentale est un mythe, admettant l’importance des conflits moraux et éthiques.
Jacquard, 1992, p. 13.
Jacquard, 1992, p. 14.