Pour Michel Foucault le « grand renfermement » est un phénomène qui n'est pas apparu du jour au lendemain ; mais il a fallu « une sensibilité sociale, commune à la culture européenne, qui a brusquement atteint son seuil de manifestation dans la seconde moitié du XVIIe siècle. » Ce geste qui enferme « organisait en une unité complexe une nouvelle sensibilité à la misère et aux devoirs de l'assistance, de nouvelles formes de réaction devant les problèmes économiques du chômage et de l'oisiveté, une nouvelle éthique du travail, et le rêve aussi d'une cité où l'obligation morale rejoindrait la loi civile, sous les formes autoritaires de la contrainte. » 73
La pratique de l'internement correspond à l'émergence d'une nouvelle attitude face à la misère, où celle-ci « glisse d'une expérience religieuse qui la sanctifie à une conception morale qui la condamne. » 74 Le misérable, nous dit Michel Foucault, cesse d'être sur la terre « l'invisible représentant de Dieu » pour devenir « sujet moral. » 75 Ce travail a commencé à la Renaissance et s'achève avec l'internement.
Seulement, en même temps que la misère, la folie se trouve également désacralisée au XVIIe siècle car elle participait aux mêmes « pouvoirs obscurs » : « Si la folie est comme désacralisée, dit Michel Foucault, c'est d'abord parce que la misère a subi cette sorte de déchéance qui la fait percevoir maintenant sur le seul horizon de la morale » 76 . La folie se trouve ainsi elle-même liée à la morale et désormais le fou sera vu sur « fond d'un problème de police, concernant l'ordre des individus dans la cité. » 77
A partir de l'âge classique, la folie sera perçue à travers une condamnation éthique « sur l'horizon social de la pauvreté, de l'incapacité au travail, de l'impossibilité de s'intégrer au groupe. » 78 Et la pratique de l'internement sera possible car une « sensibilité nouvelle est née » à l'égard de la folie : « non plus religieuse mais sociale. »
C'est donc là, avec l'internement, que la folie se trouve exclue de la raison — ou liée à la raison dans l'enfermement et non plus la liberté — et liée à la morale 79 . L'histoire de la déraison peut alors commencer.
Foucault, 1987, p. 66-67.
Foucault, 1987, p. 69-70.
« Mais en reprenant à leur compte toute cette population de pauvres et d'incapables, l'État ou la cité prépare une forme nouvelle de sensibilité à la misère : une expérience du pathétique allait naître qui ne parle plus d'une glorification de la douleur, ni d'un salut commun à la pauvreté et à la charité, mais quin'entretient l'homme que de ses devoirs à l'égard de la société et montre dans le misérable un effet du désordre et un obstacle à l'ordre. »
« Désormais, la misère n'est plus prise dans une dialectique de l'humiliation et de la gloire ; mais dans un certain rapport du désordre à l'ordre quil'enferme dans la culpabilité. »
Foucault, 1987, p. 73.
« Voilà le premier des grands anneaux dans lequel l'âge classique va enfermer la folie. » Foucault, 1987, p. 74.
« Le misérable ne pouvait être sujet moral que s'il cessait d'être sur terre l'invisible représentant de Dieu. Jusqu'à la fin du XVIIe siècle, ce sera encore l'objection majeure pour les consciences catholiques. » Foucault, 1987, p. 73.
Foucault, 1987, p. 74.
Foucault, 1987, p. 90.
« La folie est ainsi arrachée à cette liberté imaginaire qui la faisait foisonner encore sur le ciel de la Renaissance. [...] Mais à moins d'un demi-siècle, elle s'est trouvée recluse, et, dans la forteresse de l'internement, liée à la Raison, aux règles de la morale et à leurs nuits monotones. »
Foucault, 1987, p. 91.