2— Méthodologie

L'expression de « champ lexical sémantique » est utilisée par Jacqueline Picoche pour désigner un ensemble structuré de mots faisant partie de séries ouvertes et envisagés toujours dans le rapport signifiant (Sa)/signifié (Sé) 96 . Les champs lexicaux sémantiques se partagent en champs sémasiologiques, procédant d'une démarche qui consiste à partir du Sa pour aller vers le Sé, et en champs onomasiologiques, procédant d'une démarche inverse et complémentaire qui consiste à partir du Sé pour aller vers le Sa.

L'analyse lexicologique de la folie et de la déraison en langue sera ainsi menée dans une perspective synchronique au XXe siècle, du point de vue d'une double démarche à la fois onomasiologique et sémasiologique.

La démarche onomasiologique que nous aborderons en premier nous permettra de considérer le champ générique 97 englobant folie et déraison et dont l'unité sera définie à partir d'une notion très précise servant d'archisémème dans la terminologie phonologique que nous adopterons 98 . Nous serons ainsi amené à présenter un ensemble de mots dont le Sé a en commun la même notion et qui nous permettra de découvrir les parasynonymes de folie et de déraison. La démarche sémasiologique que nous aborderons ensuite nous conduira à étudier la polysémie de folie (un seul Sa pour plusieurs Sé) et la monosémie très particulière de déraison (un seul Sa pour un seul Sé).

D'un point de vue méthodologique nous partirons des dictionnaires en étudiant les gloses et les citations données en exemple. Par ailleurs nous nous placerons chaque fois dans une perspective structurale en présentant dans le détail une analyse componentielle, appelée aussi analyse sémique 99 . L'analyse sémique permet la recherche des sèmes — ou traits sémantiques pertinents — à partir de la comparaison des différents Sé d'un même Sa (polysémie) ou de plusieurs Sa. L'ensemble des sèmes constitue le sémème d'un mot.

Cependant chemin faisant deux questions de fond se poseront : y a t-il un ordre de travail qui ferait qu'il est plus intéressant de commencer par l'analyse onomasiologique, puis d'utiliser les résultats obtenus pour mener l'analyse sémasiologique, plutôt que de faire l'inverse 100 ? et est-il possible de construire un champ de référence en langue invariant indépendant de la période du champ contextuel correspondant étudié ?

Il reste que l'intérêt de lier onomasiologie et sémasiologie dans une étude est bien présent, ne serait-ce que pour répondre à l'une des critiques que l'on a pu faire à propos de l'analyse componentielle dans la structuration des champs génériques et qui est de « faire éclater le signe lexical polysémique en plusieurs signes disjoints dont on ne voit pas l'unité » 101 . De plus onomasiologie et sémasiologie renvoient aux deux facettes du signe lexical, le signifiant et le signifié, puisque le premier organise à partir d'une notion les signes considérés en tant que lexèmes, tandis que le second organise à partir d'un mot les signes considérés en tant que sémèmes. Le lien entre les deux analyses est réalisé par la décomposition en sèmes au niveau des axes sémantiques qui structurent le champ lexical considéré.

Avant cela il s'agira de présenter dans cette partie de méthodologie l'analyse componentielle et les définitions de dictionnaire qui serviront ensemble de base au travail en langue. Cependant l'analyse componentielle qui participe à la structuration des champs lexicaux sémantiques peut se réaliser soit d'un point de vue onomasiologique comme c'est couramment le cas, soit d'un point de vue sémasiologique, avec le choix d'un ordre dont nous verrons l'importance. Nous aborderons aussi les problèmes liés à la polysémie et la construction de systèmes invariants.

Notes
96.

« Il semble abusif de réserver les expressions de champ lexical ou de champ sémantique à l'une ou l'autre des sous-catégories. » Picoche, 1977, p. 68.

97.

C'est Jacqueline Picoche qui propose d'adopter l'expression de « champ générique » afin d'éviter d'utiliser celle de « champ notionnel », ambiguë car pouvant désigner également un champ associatif. Picoche, 1977, p. 69.

98.

Dans la terminologie logique est utilisée l'expression « genre prochain. »

99.

« Analyse componentielle » est d'origine américaine et signifie « analyse en composants » (de l'anglais components). En France on utiliserait plutôt « analyse sémique ». Nous emploierons indifféremment les deux.

100.

On peut déjà dire que la logique voudrait que l'on commence par décrire le tout pour arriver aux parties plutôt que de décrire d'abord les parties pour arriver au tout.

101.

Picoche, 1977, p. 108.

L'auteur précise que la technique du champ générique a donc pour contrepoids nécessaire celle du champ sémasiologique.