Si François Rastier fait bien la distinction entre une perspective onomasiologique et une perspective sémasiologique concernant l'analyse sémique il regrette un manque de clarté sur la position de chacun conduisant à des ambiguïtés de vocabulaire. Il note ainsi des « discordances terminologiques entre Greimas et Pottier » dues, en partie, au choix différent de perspective : « Greimas adopte une perspective sémasiologique et traite du problème de la polysémie, alors que la perspective onomasiologique est une constante dans la réflexion de Pottier. » 141
François Rastier rejette la perspective sémasiologique sur la base que les traits sont définis à partir d'un ensemble de contenus constitué en fonction de critères d'expression : « Cette perspective nous paraît inacceptable : aucun principe théorique ne permet d'admettre que la constitution d'une microsémantique soit subordonnée à un critère relevant d'un autre niveau et non pertinent de ce fait. » Et d’avouer sa préférence pour une perspective onomasiologique : « On conviendra que pour définir les deux sémèmes manifestés par chinois, il demeure plus rationnel et plus économique de distinguer /passoire/ des autres ustensiles de cuisine, et /citoyen de la R.C.P./ des autres citoyens, plutôt que d'interdéfinir le citoyen et la passoire… » 142
C'est d'un point de vue rationnel que nous pensons qu'il convient d'aborder en premier lieu l'étude onomasiologique, avant d'envisager en second, plus largement, l'étude sémasiologique d'un ou plusieurs mots polysémiques appartenant au champ onomasiologique traité. En effet les sémèmes des mots polysémiques auront été étudiés parmi les mots retenus dans le champ onomasiologique. Il ne reste ensuite plus qu'à les extraire avec les axes et les sèmes pour structurer le mot polysémique. Il paraît logique d'utiliser la structure générale à laquelle appartiennent les termes polysémiques afin de traiter leur structure particulière. Ainsi une analyse onomasiologique large d'un champ générique devrait toujours pouvoir précéder une analyse sémasiologique de termes polysémiques particuliers appartenant au champ étudié. Outre que les sémèmes des mots y auront déjà été traités, l'analyse y gagnera en valeur du fait du recul pris.
Ainsi selon nous il faut aborder la sémasiologie à partir de l'onomasiologie. Une telle façon de procéder nous permettra de nous rapprocher des résultats obtenus avec la méthode du signifié de puissance issue de l'école guillaumienne et développée par Jacqueline Picoche dans le travail qu'elle a mené sur la polysémie.
« La technique du champ générique, explique Jacqueline Picoche, a pour inconvénient de faire éclater le signe lexical polysémique en plusieurs signes disjoints dont on ne voit pas l'unité. Elle a donc pour contrepoids nécessaire celle du champ sémasiologique. Ceci dit, elle présente deux avantages majeurs. Outre que c'est une des principales procédures d'analyse des polysémies, elle montre clairement les éléments de choix qui s'offrent au locuteur pour l'expression d'une notion donnée. » 143 L'auteur avoue ici que l'analyse sémique qui permet de traiter les champs génériques est aussi une technique qui permet de traiter la polysémie. Cependant dans son livre Précis de lexicologie française, il commence par parler de sémasiologie à la manière générativiste avant d'en venir à l'onomasiologie à la manière structurale de l'analyse sémique et à la citation donnée plus haut qui conclut cette partie, après un passage par le signifié de puissance à la manière guillaumienne qui permettrait de résoudre les problèmes liés à la polysémie. Or un ordre inverse dans la présentation des choses, l'onomasiologie avant la sémasiologie, toutes les deux à la manière structurale de l'analyse sémique, aurait sans doute orienté les conclusions de l'auteur dans un sens différent où signifié de puissance et analyse sémique se complètent dans le traitement des polysèmes.
Rastier, 1996, p. 49.
Rastier, 1996, p. 48.
Picoche, 1977, p. 108.