3.1.2.3— De cinq à dix-huit acceptions principales au XIXe siècle : le dictionnaire de Littré dans la moyenne avec onze

La différence entre les dictionnaires du XIXe siècle — Académie (1835), Boiste (1836), et Littré (1876) — est encore plus marquée du point de vue du nombre d'acceptions du mot folie : de cinq pour l'Académie 189 à dix-huit pour le dictionnaire de Boiste, en passant par onze pour le dictionnaire de Littré. Entre les manques du dictionnaire de l'Académie et les excès du dictionnaire de Boiste, se situe donc le dictionnaire de Littré sur lequel nous insisterons plus particulièrement.

Pour le premier sème principal — [folie] — le dictionnaire de Boiste propose « aliénation d'esprit », « dérèglement de raison », et « démence » ; le dictionnaire de l'Académie « démence, aliénation d'esprit »; et le dictionnaire de Littré « dérangement de l'esprit », « dans le langage médical, lésion plus ou moins complète et ordinairement de longue durée des facultés intellectuelles et affectives, sans trouble notable dans les sensations et les mouvements, et sans désordre grave ou même apparent des fonctions nutritives et génératrices », et « par exagération, absence de raison, extravagance, manque de jugement » Hormis le dictionnaire de Boiste, les deux autres dictionnaires quittent la raison pour revenir à l'esprit.

Seul le dictionnaire de Littré donne une définition médicale étendue ; depuis le dictionnaire de Richelet à la fin du XVIIe siècle, c'est le second développement purement médical de la folie. Mais surtout le dictionnaire de Littré est le premier depuis le XVIIe siècle à utiliser et à séparer clairement esprit, raison, et explication médicale de la folie. Le premier sens qu'il donne est « dérangement de l'esprit » où il mêle étrangement la folie pure (« accès de folie »), le grain de folie scientifique, et la passion amoureuse. Le deuxième sens est scientifique et le troisième sens avec raison a trait à la morale. Ainsi le XIXe siècle avec le dictionnaire de Littré sépare clairement ce que les autres siècles mêlaient à savoir la science (au travers de « manque », « dérèglement », « démence » ou « aliénation ») et la morale (au travers d'« esprit » et de « raison »).

Le deuxième sème principal — [conduite folle] — s'étoffe encore autour des deux sèmes secondaires distincts correspondant à deux acceptions :

Le troisième sème principal — [badinage] — continue lui aussi de s'étoffer : « gaieté vive dans laquelle on fait ou dit des choses propres à divertir » complété par « personnage fictif qu'on représente sous la forme d'une femme joyeuse avec une marotte et des grelots », « joyeuseté en paroles ou en actions » complété par « idées bizarres ou absurdes », « écart de conduite (faute de jeunesse) », « caricature, charge plaisante ; écrit plaisant qui a un caractère de charge, de caricature 192  » pour le dictionnaire de Littré ; « propos gais, sans suite, sans objet », « pl. débauche de jeunesse », « pl. excès », « pl. écarts de conduite », « pl. divertissements », « pl. réjouissances » pour le dictionnaire de Boiste.

Le dictionnaire de Littré ajoute le sens « folie d'Espagne, air qu'on dansait autrefois en Espagne avec des castagnettes du même nom » Il déplace le sens « maison de plaisance, d'ordinaire avec l'idée qu'on y a fait de foles dépenses » sous un homonyme de folie dont il fonde l'étymologie sur folea, « campagne ».

Notes
189.

L'article de l'édition de 1835 est le même que pour l'édition de 1798.

190.

Il est ici difficile pour l'adjectif folle de choisir entre « contraire à la prudence » et « excessif », d'où l'apparition du sens à la fois sous [imprudence] et [passion].

191.

A propos de l'amour, Littré fait la différence entre une « passion qui n'a pas le sérieux nécessaire » liée à « dérangement de l'esprit » et une « passion amoureuse » liée au « goût exclusif ».

192.

« Au XVIIe siècle, souligne Littré, on appelait folie les épigrammes ou les contes épigrammatiques. »