Nous distinguerons des axes sémantiques génériques fermés dont les valeurs de sèmes sont prédéterminées, et un axe sémantique spécifique ouvert dont les valeurs de sèmes sont à déterminer en fonction de chaque sémème. Nous proposerons différentes représentations des axes et des sèmes.
Il s'agit d'axes de généralité décroissante dont les valeurs désignent un genre entier. Il y a des axes macrogénériques et des axes microgénériques.
Axes sémantiques macrogénériques
Ces axes correspondent à des valeurs générales de sèmesdu type [animé].
S-I : [humain] vs 229 [non humain]
Il ne s'agit pas d'un axe distinctif — d'où sa notation « -I » — puisqu'il ne peut prendre ici qu'une valeur — [humain] — du fait de la restriction du champ sémantique aux changements hors norme du type humain.
S0 : [action] vs [état]
Cet axe se subdivise en un niveau principal, binaire — [action] vs [état] —, et deux niveaux secondaires.
Au premier niveau secondaire, le sème [action] se divise en deux valeurs : [ce que fait qqn et ce par quoi il réalise une intention ou une impulsion] 230 et [fait de produire un effet, manière d'agir sur qqn ou qqch.]. Le sème [état] — ou [manière d'être (physique, intellectuelle, morale)] — se divise en plusieurs valeurs : [état physique], [état affectif], [état psychique], [état psychologique] etc. ; [caractère d'une personne].
Au deuxième niveau secondaire le sème [ce que fait qqn et ce par quoi il réalise une intention ou une impulsion] se divise en plusieurs valeurs : [action de (+ verbe actif)] ;[acte], [idée], [parole], [action], [attitude], [conduite] etc. ; [caractère de ce qui], [état de ce qui]. Le sème [fait de produire un effet, manière d'agir sur qqn ou qqch.] se divise en deux valeurs : [fait de (+ verbe actif)] et [manière de (+ verbe actif)].
Il s'agit bien d'un axe distinctif dont les valeurs correspondent en fait aux locutions relationnelles dont nous avons déjà parlé 231 . Nous avons cependant le choix de faire apparaître cet axe soit au début du travail de décomposition des sèmes, soit à chacun des paliers correspondant aux niveaux des différents axes. La première solution privilégie la différenciation des lexèmes en les isolant par un élargissement de la structure sémantique qui se trouve doublée 232 . La deuxième solution privilégie au contraire la compréhension de la structure elle-même en la resserrant et la superposant, les lexèmes se trouvant regroupés 233 .
Il y a un avantage certain dans la simplification et la compréhension de la structure sémantique à adopter la deuxième solution lorsque les sèmes de cet axe macrogénérique sont nombreux ou d'un nombre indéterminé comme c'est le cas ici pour [action] et [état] dans leur développement secondaire 234 .
Ainsi cet axe « S0 » est à la fois premier et ultime. Premier car il représente la nature du concept — nature ou état — correspondant au signifié associé au lexème. Et ultime car il permet de différencier en dernier lieu des lexèmes aux sémèmes identiques par ailleurs. Et c'est en cela qu'on peut rapprocher les sèmes de cet axe des traits de sélection définis par Jacqueline Picoche comme des traits de nature à la fois syntaxique et sémantique 235 qui interviennent à la fin de la décomposition en sèmes après l'utilisation des traits inhérents, de nature uniquement sémantique. En effet ces traits de sélection ont la particularité d'intervenir à tous les niveaux de la structure sémantique sans être rattachés à un axe particulier.
C'est pourquoi nous intégrerons maintenant les deux sèmes principaux de cet axe « S0 » dans la définition même du champ générique qui devient : ''changements humains hors norme : actions et états''. Ceci afin de signifier que c'est cet axe qui intervient en dernier lieu à chaque niveau de la structure sémantique pour différencier des lexèmes possédant par ailleurs des sèmes identiques.
Axes sémantiques mésogénériques
Ces axes définissent des valeurs de sèmes correspondant à des valeurs intermédiaires du type [transport].
SI Axe du point de vue et de la connotation
L'axe SIcombine celui du point de vue qui peut prendre deux valeurs — [social], [médical] — et de la connotation qui peut en prendre trois — [neutre] 236 , [péjorative], [méliorative]. Sur les six combinaisons possibles des sèmes de ces deux axes, seulement trois sont en fait actualisés, ce qui nous a poussé à les regrouper sur un même niveau 237 : [point de vue médical et connotation neutre], [point de vue social et connotation péjorative], [point de vue social et connotation méliorative].
Les trois sèmes produits par cet axe sont définis par François Rastier comme des sèmes afférents socialement normés. Ils entrent dans une description des sémèmes qui font partie d'un système linguistique pris au sens large et comprenant, à côté du système fonctionnel de la langue, des normes socialisées. Nous nous attachons en effet ici à décrire un sociolecte 238 .
SII Axe du sujet : [plan de la morale] vs [plan moral]
La raison de cet axe SII est dans la confusion véhiculée par l'adjectif « moral » qui peut avoir le double sens de « qui est conforme aux moeurs, à la morale » et « relatif à l'esprit, à la pensée ».
De ce fait, la langue introduit du flou, là où le système semble bien marquer le partage entre ce qui, au niveau du sujet lui-même par rapport à son comportement, tient à la morale et est de l'ordre de l'éthique, du bien et du mal, et ce qui tient à la raisonet est de l'ordre du jugement, du bon et du mauvais.
Cet axe binaire SII prend en fait des valeurs particulières selon les sèmes auxquels celles-ci se rattachent au niveau de l'axe supérieur SI. Ainsi au sème [point de vue médical et connotation neutre] de l'axe SI se rattachent les valeurs [affectation de la conduite : la maladie] et [affectation de la raison : l'irrationnel] de l'axe SII; au sème [point de vue social et connotation péjorative] de SI se rattachent les valeurs [manquement à la morale] et [maladresse ou manquement à la raison] de SII ; et enfin au sème [point de vue social et connotation méliorative] de SI se rattachent les valeurs [manquement à la morale : la jeunesse] et [manquement à la raison : l'irrationnel] de SII.
Axes sémantiques microgénériques
Ces axes correspondent à des valeurs de sèmes minimales de faible généralité du type [ferré]. Il en existe un seul :
SIII Axe des conséquences :[non respect (absence de contraintes)] vs [usage trop modéré (mou) ou excessif (vif)] 239
Cet axeSIII est celui des conséquences, extérieures ou intérieures. Il rend compte des manifestations des changements hors norme, qui peuvent prendre, sur le plan de la morale, la forme d'un « non respect » de la nature ou des règles sociales, ou d'un « usage trop modéré (ou mou) ou excessif (ou vif) » des inclinations et des désirs. Elles peuvent aussi prendre, sur le plan moral, la forme d'un « non respect » du bon sens, ou d'un « usage trop modéré (ou mou) ou excessif (ou vif) » des sentiments.
Cet axe comprend deux niveaux, le premier étant celui de valeurs de sèmes génériques et le deuxième de valeurs de sèmes spécifiques.
Nous dénommons les axes sémantiques relativement aux valeurs qu'ils prennent : ici il s'agit de sèmes génériques.
Abréviation de versus, marquant l'opposition.
Ces définitions des valeurs de sèmes sont tirées des définitions du Petit Robert.
Voir dans cette partie, le chapitre « 2.2.2.2— Identification des lexèmes et des sémèmes ».
En effet, si l'on prend par exemple la représentation de la structure en arbre, celle-ci est la même sous le sème [action] et sous le sème [état] : il faudrait donc la représenter deux fois et disperser les lexèmes des deux côtés, après une différenciation faite « a priori ».
En effet ici les deux structures qui étaient séparées sous les sèmes [action] et [état] sont superposées pour n'en faire plus qu'une. Les lexèmes se trouvent donc regroupés, la différenciation se faisant, « a posteriori », à chacun des niveaux entre [action] et [état].
Avec deux sèmes on a deux fois la même structure. Avec x sèmes, on a x fois la même structure.
« Courir aurait parmi ses traits inhérents [mouvement] [rapide], avec de plus le trait de sélection [exige un sujet animé, pourvu de pattes]. » Picoche, 1977, p. 58.
Il s'agit d'une absence de connotation.
Ces deux axes interfèrent fortement l'un sur l'autre : en effet le sème [point de vue médical] exclut les sèmes [connotation méliorative] et [connotation péjorative], de même que le sème [point de vue social] exclut le sème [connotation neutre].
« Si l'on veut décrire le système linguistique au sens large, qui comprend, outre le système fonctionnel de la langue, des normes socialisées à l'oeuvre dans les textes, on doit retenir, avec les sèmes inhérents, les sèmes afférents socialement normés. » Rastier, 1996,p. 63.
De ce point de vue la connotation, comme sens particulier d'un mot qui vient s'ajouter à son sens ordinaire, fait bien partie, dans le cas qui nous intéresse, du sémème comme trait distinctif.
Les expressions entre crochets « […] » correspondent aux valeurs de sèmes rattachées au sème [point de vue social et connotation péjorative]. Entre parenthèses « (…) » sont données les expressions qui correspondent aux valeurs de sèmes rattachées aux sèmes [point de vue médical et connotation neutre] et [point de vue social et connotation méliorative].