1.1.2.1— Baroque et classicisme

À la suite de la présentation des éditions et des genres dramatiques dans le cadre des problèmes liés aux textes, l'on est naturellement amené à se poser une question concernant l'appartenance respective des deux principaux genres dramatiques que sont la comédie et la tragédie, aux deux grands styles artistiques opposés que sont le baroque et le classicisme.

Tout d'abord la comédie est baroque. La comédie est baroque car elle procède de l'illusion qui brouille les repères du vrai et du chimérique. On peut citer quelques procédés du genre portant sur la structure de la pièce : échange des rôles par le truchement du déguisement qui permet malentendu et quiproquos ; stratagème farcesque par le biais de la ruse, la tromperie, et le mensonge ; théâtre dans le théâtre par un système d'enchâssement. D'autres procédés portent encore sur le langage avec les sous-entendus, les demi-mots, et les doubles sens, où un code que d'autres ignorent est détenu par certains personnages, mais aussi avec le malentendu et le quiproquo, où deux personnages parlent en décalage sans se comprendre 462 .

Mais la comédie est encore baroque car elle procède de l'excès, de l'outrance, et de l'invraisemblance 463 . Ainsi il y a des procédés qui portent sur la structure : rupture et contre-pied par l'enchaînement de scènes comiques, sombres, informatives, surprenantes, de ballets, etc. ; rebondissement, retournement, et reconnaissance ; fin heureuse. Il y a aussi d'autres procédés qui portent sur le langage avec le coq-à-l'âne et la répétition de mots par exemple.

La tragédie à l'opposé est classique. Elle s'oppose à tout ce qui précède dans la mesure où les procédés qu'elle utilise semblent obéir plus strictement à des règles fixées dès 1630 464 , dont celles des unités de lieux, de temps, et d'action, avec la recherche d'une intrigue simple et vraisemblable dans les limites des bienséances, d'une action concentrée, etc.

Mais la tragédie est encore classique en ce qu'elle défend l'utilité morale du théâtre avec la mise en scène d'un destin individuel exemplaire : à la fin l'ordre triomphe et les normes morales ne sont pas remises en cause. Ce n'est pas le cas pour la comédie où, comme l'explique Christian Biet, le spectateur reste à la fin de la pièce, malgré un retour à l'ordre normal, « en proie au doute sur cette harmonie et sur toute vérité 465  ».

Notes
462.

Biet, juin 1995, p. 18-19.

463.

La comédie reprend les outrances de la tragi-comédie dont elle est l'héritière et qui était le genre nouveau avec la pastorale au début du XVIIe siècle avant Corneille, en réaction à la vieille tragédie.

« Un autre trait marquant du nouveau théâtre [à côté du foisonnement des genres], souligne Annie Ubersfeld, est le goût de l'action, de l'événement brutal avec tous ses excès de sang et d'horreur, ou de sentimentalité déchaînée. » Ubersfeld, 1966, p. 222.

« La recherche de l'intensité des effets de détails, explique de son côté Robert Garapon, se manifeste d'abord par le goût du spectacle pour lui-même [...] Surtout les spectacles violents et propres à faire frémir sont inlassablement prodigués : les duels sur le théâtre sont monnaie courante, de même que les meurtres ou les suicides ; dans plusieurs pièces, le spectateur assiste à des tentatives de viol, à des crises de « furie », c'est-à-dire de folie furieuse, à des préparatifs de supplice. Cette recherche de l'intensité et de la surprise apparaît aussi dans le choix des personnages portés à la scène : ils sont souvent d'un redoutable violence, habités par une passion démesurée, voire monstrueux : [...] ainsi des amoureux désespérément tendus vers la satisfaction de leur désir, des scélérats qui reculent les bornes de la perfidie, des malheureux victimes de sentiments contre-nature, des héros invincibles et toujours disponibles pour de nouveaux miracles de valeur, des virtuoses de l'énergie et de la force d'âme, ou à l'inverse, des fanfarons et des fous. » Garapon, 1982, p. 24-25.

Robert Garapon définit également le baroque comme outrance ainsi : «Si j'avais à donner une définition de l'art baroque (notion dont on a quelque peu abusé ces dix dernières années), je dirais précisément qu'il consiste en la volonté tenace de donner à chaque élément la plénitude de sa force expressive, dût l'impression produite par l'ensemble perdre de sa puissance et de sa netteté. » Garapon, 1982, p. 24-25.

Voir aussi Robert Garapon, « Le théâtre comique : du baroque au classicisme », XVIIe siècle, 1963, n°20.

464.

Ces règles qui fondent la renaissance de la tragédie, Georges Couton les énumère pour Corneille : 1/La finalité de la tragédie : instruire et régler les mœurs, mais aussi plaire ; 2/Les formes : cinq actes en alexandrin, les récits remplaçant les spectacles ; 3/Les trois unités : unités de lieu, de temps, et d'action ; 4/Le respect des bienséances ; 5/ Le respect du vraisemblable. Couton, 1990, p. 35-49.

465.

« Même la comédie de mœurs du XVIIe siècle, qui s'appliqua à dénoncer les travers sociaux bien plus encore que ne le faisait la comédie de caractère du siècle précédent, ne put proposer une norme finale où tout se terminerait bien sans que rien ne vienne gêner le plaisir des mariages qui clôturent le texte ou le contentement qui consiste à punir les méchants. » Biet, juin 1995, p. 7.