L'on voit ainsi que la folie, baroque, entretient des liens privilégiés avec la comédie, elle-même baroque. De même la déraison, classique, est en relation privilégiée avec la tragédie, elle-même classique.
Mais il convient de faire une remarque concernant ces relations que nous avons fait apparaître. L'on ne peut ainsi omettre de parler de période : période où la folie circule librement et période où elle cède le pas à la déraison, mais aussi période baroque et période classique. Or concernant les périodes de la folie et de la déraison la date de partage est 1656 et concernant les périodes du baroque et du classicisme français la date de partage est 1660 — voire 1630 pour certains 483 . Et même si les dates sont très proches — 1656 et 1660 —, il y a un décalage, décalage accru par une étape de transition — les périodes n'étant pas imperméables à d'autres, elles peuvent être l'objet de superpositions entre elles 484 — où les lignes de partage folie-déraison et baroque-classicisme restent floues. C'est cette étape de transition qui nous intéresse à travers l'œuvre de Corneille dans la période qui précède sa retraite de 1652 et l'édition de ses œuvres de 1660, période qui s'étend de 1629-30 avec Mélite à 1651-52 avec Pertharite, et qui est marquée par la rupture de 1637 où Corneille écrit Le Cid qui ouvre l'ère des grandes tragédies classiques où les conflits seront intériorisés, après celle des comédies.
Si Michel Foucault insiste sur le partage conflictuel de la folie en un élément tragique et un élément critique entre le début du XVIe siècle et le début du XVIIe siècle, Annie Ubersfeld explique que pendant la première moitié du XVIIe siècle il y une « lutte extraordinairement confuse entre les éléments dits baroques et les éléments classiques, lutte d'autant plus confuse que beaucoup d'épisodes nous en sont mal connus, et qu'elle se déroule souvent à l'intérieur d'un même auteur, voire à l'intérieur d'une même œuvre » 485 . Le critique voit la concurrence de deux tendances : un tendance baroque qui est aristocratique et ultramontaine tournée vers l'univers intellectuel de la Contre-réforme et une tendance classique bourgeoise tournée vers l'humanisme antique et la vie nationale.
De la concurrence du baroque et du classicisme a pu naître une interrogation à propos de Corneille : Corneille est-il un baroque, n'est-il pas plutôt un classique? « Il faut y regarder de près » avoue Raymond Lebègue. « Ce qui, dans plusieurs des premières pièces, caractérise le mieux l'esprit baroque, c'est la démesure des passions et des volontés 486 . [...] Mais, peu à peu, Corneille se soumettra aux règles classiques. Il liera les scènes entre elles, et justifiera les entrées et les sorties des personnages. Il renoncera aux pointes. En rééditant ses premières œuvres il les soumettra aux bienséances 487 . »
Ce qui fait que dans les comédies de Corneille, mais aussi bien dans certaines tragédies, il peut y avoir des éléments baroques ; tout comme dans les tragédies, mais aussi dans certaines comédies, des éléments plus classiques. Mais ceci ne doit cependant pas remettre en cause le choix que nous avons fait de traiter séparément les comédies et les tragédies, même si cela doit nous conduire, autour de la rupture de 1637, à empiéter de part et d'autre des deux périodes, dont l'une est de tendance baroque et l'autre de tendance classique, et dont nous avons pu voir les interférences.
Voir l'introduction générale.
« Mais les périodes, en histoire comme en art et en littérature, ne sont nullement des blocs homogènes. Tout co-existe toujours ; seulement les tendances et les talents d'un certaine époque semblent converger vers quelque idéal, parfois clairement entrevu, parfois plus secret. » Peyre, 1990, p. 966.
Ubersfeld, 1966, p. 222.
Henry Peyre signale également ce mélange du goût baroque et du goût classique en 1642. Peyre, 1990, p. 966.
« Alidor pousse l'amour de la liberté jusqu'à l'extravagance. La Médée cornélienne ne connaît pas le repentir. En s'apprêtant à « immoler ce qu'il aime », le jeune Horace est fier d'accomplir un acte extraordinaire. Pour satisfaire son ambition, la Cléopâtre de Rodogune commet un crime monstrueux. » Lebègue, 1988, p. 8.
« Remplaçant le mot baiser par un terme anodin, affadissant une scène scabreuse du cinquième acte de Clitandre, supprimant ce personnage qu'on croirait échappé du théâtre d'Henry Bataille : la princesse Rosine (cependant, il ose conserver le lupanar de Sainte Théodore, la bigamie de Sophonisbe, et le saignement de nez d'Attila). Et les personnages exceptionnels deviendront plus rares. » Lebègue, 1988, p. 8.