3.1.2.2— Romanesque et intensité des effets

Entre 1625 et 1635, la tragi-comédie est le genre à la mode parmi les jeunes dramaturges 588 . Et Corneille, après le succès de Mélite, sacrifie à ce goût du jour et à la critique qui lui a fait remarquer les insuffisances de sa première pièce 589 .

Robert Garapon insiste sur ces incidences extérieures — notamment les besoins des comédiens — et leurs conséquences sur les productions de Corneille jeune. « C'est seulement grâce à elles que nous arriverons à expliquer de façon satisfaisante la composition de telle pièce ou le choix de tel sujet. C'est le cas pour Clitandre, ou Médée, ou L'Illusion comique, trois pièces qui marquent un assez net changement de cap par rapport aux œuvres qui précèdent. » 590 Une telle vision des choses est intéressante dans le cadre de la problématique qui est la nôtre. En effet si les choix du jeune Corneille, notamment d’écrire des comédies, sont en partie dictés par des contingences extérieures représentatives d’une époque dans laquelle il n'est pas un cas isolé, même si l'on peut dire qu'il se montre novateur en introduisant par exemple une certaine psychologie dans ses pièces, de même l'utilisation du baroque et la place faite à la folie ne lui seraient pas spécifiques. Aussi le passage dans l’œuvre de Corneille de la comédie à la tragédie, du baroque au classicisme, et de la folie à la déraison après Le Cid, répondrait aussi à une attente extérieure et ne serait pas seulement le fait de l’auteur. Il faut aussi rappeler que le but de Corneille était avant tout de plaire au public.

Ainsi retrouve-t-on dans Clitandre les traits distinctifs des tragi-comédies de l'époque et de la production dramatique en général à laquelle celles-ci ont donné le ton : « le romanesque et la recherche de l'intensité des effets » 591 . Et ces traits, « caractérisés par la profusion, le goût de l'inouï et du somptueux » 592 , apparaissent outrés par rapport aux comédies chargées d'évènements et de rebondissements, et renvoient au baroque.

En ce qui concerne le romanesque tout d'abord, les actions invraisemblables se succèdent, participant au caractère débridé du texte. Ainsi en observant l'unité de temps d'un jour Corneille provoque dans Clitandre une précipitation des évènements : quatre tentatives de meurtre sur Rosidor, Caliste, Dorise et le Prince, et un supplice qui se prépare pour l'innocent Clitandre. « C'est déjà, souligne Robert Garapon, un siècle et demi avant Beaumarchais, la « folle journée ». » 593 Cependant si la primauté du romanesque peut être contraire à la psychologie — passion et faiblesse humaine — ce n'est pas le cas chez Corneille.

En ce qui concerne la recherche de l'intensité des effets ensuite, ce sont, comme l'explique Robert Garapon, le spectacle pour lui-même de la nature avec dans Clitandre la forêt, les paysans et l'orage 594 , et « les spectacles violents et propre à faire frémir » : deux assassinats (Géronte et Lycaste), une tentative de viol, un œil crevé, la crise de furie de Pymante qui veut tuer Dorise et le Prince, et la préparation du supplice de Clitandre.

Notes
588.

« À l'évidence, le genre préféré de tous ces jeunes gens est celui de la tragi-comédie. » Robert Garapon cite Mairet, Rotrou, Scudéry et parle d'« hégémonie ». Garapon, 1982, p. 19-20.

589.

« La tentation est forte de supposer que Corneille a composé Clitandre pour satisfaire une requête des comédiens qui lui demandaient une tragi-comédie dans le goût du jour, avec beaucoup de grands rôles et beaucoup de spectacle. » Garapon, 1982, p. 46.

«On avait dû faire observer, malignement, que le sujet [de Mélite] était « petit » et manquait d'«effets. » [...] Corneille a voulu démontrer qu'il était capable de traiter un grand sujet. » Couton, 1980, p. 1196.

590.

Garapon, 1982, p. 47.

591.

Garapon, 1982, p. 21. Voir dans cette partie, le chapitre « 1.1.1.2.1— Description des genres. La tragi-comédie ».

592.

Garapon, 1982, p. 26.

593.

Garapon, 1982, p. 52.

594.

« Le sentiment de la nature est absent du théâtre cornélien. » Couton, 1980, p. 1197.