2.2.2— La démarche sémasiologique

La démarche sémasiologique menée en contexte dans une perspective synchronique au XVIIe siècle nous conduit à envisager maintenant la polysémie du mot folie — champ sémasiologique à un signifiant — en même temps que sa famille historique et synchronique — champ sémasiologique à plusieurs signifiants.

Cependant le mot folie n’étant pas utilisé dans Clitandre, l’étude sera restreinte au champ sémasiologique dérivationnel composé du seul signifiant folle/folles correspondant à la famille synchronique de folie. Les deux occurrences dont une variante de ce lexème sont répertoriées dans une grille sémantico-grammaticale à double entrée — Annexe 21. Le champ sémasiologique de folie étendu aux dérivés est donc un champ à un signifiant actualisé dans deux occurrences dont une variante.

L’arbre sémasiologique de folie que nous présentons ensuite pour Clitandre est également réduit à cet unique dérivé folleAnnexe 22. Il a été construit en nous appuyant sur la structure sémasiologique déjà élaborée en langue à partir du mot folie pour un locuteur du XVIIe siècle. Ainsi le champ sémasiologique de folie étendu à ses dérivés comprend un sémème unique qui renvoie à la déraison et qui est représenté dans deux occurrences : une du texte de l’édition de référence et une variante.

Dans la représentation sémasiologique en arbre la déraison est située au centre. Elle est représentée par un sémème appartenant à la classe sémantique //[changements humains hors norme du point de vue social à connotation négative// et à la sous-classe //manquement à la raison// du côté su sème [non-respect et manque de jugement] : /folle/ (2) (raisons d'amour) 907/ et / folle (vanité) 803 var./ Ce sémème renvoie à différents sémèmes de folie suivant les dictionnaires : /FOLIE-RIC1b/« 1. [b] Sotise [fait de ; action]. », /FOLIE-ACA2c/« 2. Signifie aussi : [c] Faute [le fait de] de jugement. [ACA2.2] Il a fait une grande folie de se défaire de sa charge. [ACA2.3] Quelle folie de ne songer point à l'avenir. », /FOLIE-LIT3/« Par exagération, {absence de raison, extravagance,} manque de jugement. C'est folie de compter sur dix ans de vie, La Font., Fable, VI, 19. », et /FOLIE3aa’/« 3. [a] Manque [a'] de [fait de] jugement - Locution. [3.2] C'est folie de vouloir... : il est fou, absurde de... Aveuglement, inconscience. - Locution. [3.3] C'est folie, c'est de la folie de..., que de... C'est de la folie, de la pure folie, de la folie furieuse. Aberration, absurdité, bêtise, connerie (vulgaire), crétinisme, délire (figuré), imbécillité. [3.6] Folie douce : sans conséquence grave. [3.7] En interjection. Folie ! : c'est de la folie. » :

Clitandre : (le Roi à Rosidor) « Je lui ferai sentir à ce traître Clitandre, / Quelque part que mon fils y puisse ou veuille prendre, [que le Prince y puisse 1663-1682] / Combien mal à propos sa sotte vanité [sa folle vanité 1660-1682] / Croyait dans sa faveur [du prince] trouver l'impunité. / Je le tiens l'affronteur ; un soupçon véritable [Je tiens cet assassin, un soupçon véritable, 1644-1682] / Que m'ont donné les corps d'un couple détestable / M'avait si bien instruit de son perfide tour, [De son lâche attentat m'avait si bien instruit, 1660-1682] / Qu'il s'est vu mis aux fers sitôt que de retour. [Que déjà dans les fers il en reçoit le fruit. 1660-1682] » (v. 801-08) ; (seul en prison) « Je les sens, je les vois, mais mon âme innocente / Dément tous les objets que mon œil lui présente, / Et le désavouant défend à ma raison / De me persuader que je suis en prison. / Doncques aucun forfait, aucun dessein infâme [Jamais aucun forfait, aucun dessein infâme 1660-1682 et variantes suivantes] / N'a jamais pu souiller ni ma main ni mon âme, [N'a pu souiller ma main, ni glisser dans mon âme,] / Et je suis retenu dans ces funestes lieux ? / Non, cela ne se peut, vous vous trompez mes yeux, / Vous aviez autrefois des ressorts infaillibles [J'aime mieux rejeter vos plus clairs témoignages,] / Qui portaient en mon cœur les espèces visibles, [J'aime mieux démentir ce qu'on me fait d'outrages,] / Mais mon cœur en prison [Caliste] vous renvoie à son tour [suppressions de ce vers et des suivants jusqu'à 910] / L'image et le rapport de son triste séjour. / Triste séjour ! que dis-je ? Osai-je appeler triste / L'adorable prison ou me retient Caliste ? / En vain dorénavant mon esprit irrité / Se plaindra d'un cachot qu'il a trop mérité, / Puisque d'un tel blasphème il s'est rendu capable. / D'innocent que j'entrai, j'y demeure coupable. /Folles raisons d'amour, mouvements égarés, / Qu'à vous suivre mes sens se trouvent préparés ! / Et que vous vous jouez d'un esprit en balance, / Qui veut croire plutôt la même extravagance / Que de s'imaginer, sous un si juste Roi, [Que de m'imaginer sous un si juste Roi / Qu'on peuple les prisons d'innocents comme moi. [Qu'on peuple les prisons d'innocents comme moi.] » (v. 889-912)’

Les deux acceptions des dérivés de folie concernent l'innocent Clitandre qui donne son nom à la pièce. Elles renvoient à son manque de jugement qui finalement justifie à posteriori sa présence en prison à la place d'un autre.

Que ce soit sa « sotte 673 vanité » (v. 803 var.) comme le dit le Roi à Rosidor, et qui estime finalement, dans cette guerre d'influences que se livrent à distance les membres de la famille royale au travers de leur favori, que le fait d'être protégé par le Prince est une circonstance aggravante pour Clitandre déjà accusé par les deux corps de gens de sa maison.

Mais que ce soit aussi ses « folles raisons d'amour » (v. 907), comme se le reproche lui-même Clitandre, qui justifient sa présence en prison par un « blasphème » (v. 905) contre cet amour non partagé avec Caliste. Clitandre compare sa propre situation en prison à son cœur mis lui en même prison par l'insensible Caliste. Par glissement de l'un à l'autre il pense rêver, ses sens se trouvant trompés sur la réalité. Mais par glissement toujours ce sont son triste cachot et sa triste situation amoureuse qui se trouvent mis en relation : cela devient pour l'amoureux un blasphème qui justifie finalement son emprisonnement. Son amour donne alors un sens à son emprisonnement et le rend juste : il s'est plaint de la rigueur de Caliste et mérite donc son sort. Mais Clitandre comprend aussi, lorsque sa passion l'amène finalement à justifier son emprisonnement pour un crime qu'il n'a pas commis, qu'il va trop loin et que ses raisons sont fausses et sans fondement, qu'elles manquent de jugement et que ses sens s'égarent en voulant le tromper sur la réalité qu'il a sous les yeux, tout en l'empêchant d'imaginer que le Roi a pu jeter en prison un innocent. Ces folles raisons ont été supprimées dans les éditions ultérieures.

Notes
673.

Dans l'édition originale. Folle à partir de 1660.