L'action d'Horace reproduit l'action du Cid qui s’articulait en quatre points : un crime de sang et une action héroïque où l’État en péril est sauvé par le héros, suivis d’un pardon du roi qui vaut pour l’État et pour la vie privée du héros — ordre politique et social. Mais à la différence que dans Horace le sauvetage de l’État précède le crime de sang.
Dans Le Cid, Rodrigue tue tout d’abord le père de Chimène à l'acte II — de la fin de la scène 2 où se défient Rodrigue et le Comte à la fin de la scène 6 où Don Alonse annonce au Roi la mort du Comte alors que la nouvelle de l'avancée des Mores en situation de mettre en péril l'État vient à peine d'être connue, donnant à la disparition du Comte toute sa mesure — puis il sauve l'État en défaisant les Mores entre l'acte III et l'acte IV — le combat est rapporté à l’acte IV, scène 3, par Rodrigue lui-même — avant qu'il ne retrouve par l’entremise du roi tout d’abord son honneur aux yeux de l'État par un pardon de son crime à l'acte IV, scène 5 — « Et quoi qu'ait pu commettre un cœur si magnanime / Les Mores en fuyant ont emporté son crime. » (v. 1423-24) — puis ensuite grâce aux yeux de Chimène, l'amante dont il a tué le père, par un ordre sans appel sur les sentiments de celle-ci à l'acte V, scène 7 — « Et ne soit point rebelle à mon commandement / Qui te donne un époux aimé si chèrement. » (v. 1797-98).
Dans Horace, Horace commence tout d’abord par sauver l'État d'une soumission à la ville d'Albe en combattant et en étant vainqueur des Curiace à l'acte III, entre la scène 5 et la scène 6 — le combat est rapporté en deux fois : à l'acte III, scène 6, et à l'acte IV, scène 2 — puis il commet un crime, un parricide, en assassinant sa sœur Camille à l'acte IV, scène 5, avant que le roi ne le rétablisse dans sa gloire et son honneur à l'acte V, scène 3, tout d'abord aux yeux de l'État par le pardon de son crime — « Ta vertu met ta gloire au-dessus de ton crime, » (v. 1760) — puis aux yeux de Sabine, l'épouse dont il vient de tuer les trois frères, par un ordre sans appel sur les sentiments de celle-ci — « Sabine, écoutez moins la douleur qui vous presse, / Chassez de ce grand cœur les marques de foiblesse, » (v. 1767-68).
Par leur inversion, les valeurs du crime et du haut fait de Rodrigue et d'Horace ne sont pas les mêmes. Le crime de Rodrigue est un crime pour l'honneur qui trouve son rachat dans une action qui sauve l'État ; le crime d'Horace, pris dans l'expression d'une spirale de la vertu, est également un crime pour l'honneur, mais qui, venant après une action glorieuse, n'est pas rachetée par cette action aussi clairement, montrant par là la fragilité de la gloire personnelle du héros qui trouve alors encore plus sa raison d'être et sa force dans et par le Roi 759 .
Dans Horace, le Roi s'explique sur le sens de son pardon qui réhabilite le héros criminel dont la faute est toujours la même, à savoir une trop grande vertu qui le place au-dessus de tous 760 : « Assez de bons Sujets dans toutes les Provinces / Par des vœux impuissants s'acquittent vers leurs Princes. / Tous les peuvent aimer, mais tous ne peuvent pas / Par d'illustres effets assurer leurs États, / Et l'art et le pouvoir d'affermir des Couronnes / Sont des dons que le Ciel fait à peu de personnes, / De pareils serviteurs sont les forces des Rois, / Et de pareils aussi sont au-dessus des lois. » (V, 3, 1747-54).
« Avec Le Cid, Corneille découvre ce qu'il avait jusqu'alors ignoré ou négligé : un lieu, une époque, un monde. Un ordre. [...] Et, du même coup, le héros cornélien se renouvelle : non par un enrichissement ou une modification de son être, mais par son inscription dans un monde, par sa soumission à un roi. [...] Car le drame du Cid n'est pas celui de l'amour de Chimène et de Rodrigue que traverse le souvenir d'un père mort, mais bien le drame de l'instauration d'un nouvel ordre, d'un ordre de justice (dont la clef de voûte est le roi) à partir de cet ordre féodal, du désordre nécessaire de l'aristocratie. Dans Le Cid, et plus encore dans Horace et Cinna , où se réalise ce passage du héros au roi, de la caste à l'État, Corneille célèbre la naissance ou la reconnaissance d'un pouvoir légitime. » Dort, 1972, p. 52-53.
Criminel, le héros l'est aussi par son appartenance à la féodalité, contre le Roi. « Pour les pères, la féodalité est lutte, contestation réciproque, volonté de s'imposer contre les autres, contre le roi. Pour les enfants, les héros, elle est épreuve de soi, façon de s'exalter et d'exalter son amour en se niant soi-même et en niant cet amour, épreuve d'une liberté absolue et découverte du néant. [...]. » Dort, 1972, p. 58.