5.1.2.3— Le dilemme cornélien : un choix impossible

Le conflit entre le devoir et l'amour est à l'origine d'une crise intérieure chez les personnages, crise de la déraison qui prend aussi le nom de dilemme cornélien où « quel que soit le choix, le résultat est douloureux » :

‘1 Curiace : « Je craignais la victoire et la captivité... » (v. 242) ; « Ce que veux mon pays, mon amitié le craint. / Dures extrémités, de voir Albe asservie, / Ou sa victoire au prix d'une si chère vie, / [...] De tous les deux côtés, j'ai des pleurs à répandre, / De tous les deux côtés mes désirs sont trahis. » (v. 390-92, 396-97) ; « Hélas ! je vois trop bien qu'il faut, quoi que je fasse, / Mourir, ou de douleur ou de la main d'Horace. » (v. 535-36) ;’ ‘2 Camille : (Julie à Sabine) « Le sien [esprit de Camille] irrésolu, le sien tout incertain 774 , / [...] De tous les deux partis détestait l'avantage, / Au malheur des vaincus donnait toujours ses pleurs, / Et nourrissait ainsi d'éternelles douleurs. » (v. 102, 104-06) ; « Mais si près d'un hymen, l'amant que donne un père / Nous est moins qu'un époux et non pas moins qu'un frère ; Notre sentiment entre eux demeurent suspendus, / Notre choix impossible, et nos vœux confondus. / [...] Pour moi, j'ai tout à craindre et rien à souhaiter. » (v. 887-90, 894) 775  ;’ ‘ Sabine : « Je suis Romaine, hélas ! puisque Horace est Romain, / J'en ai reçu le titre en recevant sa main, / [...] Albe où j'ai commencé de respirer le jour, / Albe mon cher pays, et mon premier amour, / Lorsque entre nous et toi je vois la guerre ouverte, / Je crains notre victoire, autant que notre perte. (v. 25-26, 29-32) » 776 ; « Je ne suis point pour Albe, et ne suis plus pour Rome, / Je crains pour l'une et l'autre en ce dernier effort, / Et serai du parti qu'affligera le Sort. » (v. 88-90) ; « Mais las ! quel parti prendre en un sort si contraire ! / Quel ennemi choisir d'un époux, ou d'un frère ! » (v. 715-16) ; « Pour aimer un mari l'on ne hait pas ses frères, / [...] Seule j'ai tout à craindre, et rien à souhaiter, » (v. 900, 914) 777 . ; « Quelle horreur d'embrasser un homme dont l'épée / De toute ma famille a la trame coupée / Et quelle impiété de haïr un époux, / Pour avoir bien servi les siens, l'État, et vous ! » (v. 1615-18).’
Notes
774.

À propos de la « moindre mêlée » (v. 103).

775.

C'est ici que s'exprime le véritable dilemme pour Camille : un choix impossible entre son amant et ses frères, entre Albe et Rome, entre son devoir et ses sentiments. Camille en fait un jeu entre elle et Sabine pour savoir laquelle des deux est dans le plus fort dilemme et souffre le plus les affres de l'incertitude et de la déraison.

776.

L'idée de parricide est déjà présente et sera annoncée clairement plus loin : « Albe est ton origine, arrête, et considère / Que tu portes le fer dans le sein de ta mère, » (v. 55-56).

777.

C'est ici que s'exprime le véritable dilemme pour Sabine : un choix impossible entre son mari et ses frères, entre Rome et Albe, entre son devoir et ses sentiments. Ce dilemme s'inscrit en réaction à une provocation de Camille qui se fait un jeu de savoir laquelle des deux, d'elle ou de Sabine, est dans la plus forte incertitude sur le parti à prendre et déraisonne le plus. Sabine répond à Camille, l'invitant à faire preuve de raison : « Mais l'amant qui vous charme et pour qui vous brûlez / Ne vous est après tout que ce que vous voulez ; / [...] Ce que peut le caprice, osez-le par raison, / [...] Mais pour vous, le devoir vous donne dans vos plaintes / Où porter vos souhaits, et terminer vos craintes. » (v. 905-06, 909, 915-16). Les discours de Camille et de Sabine s'imbriquent et se répondent symétriquement sur la fin de leurs incertitudes : Camille à Sabine — « Ainsi ma sœur, du moins vous avez dans vos plaintes / Où porter vos souhaits, et terminer vos craintes, / [...] Mais [...] / Pour moi, j'ai tout à craindre et rien à souhaiter. » (v. 891-92, 94) ; Sabine à Camille « Seule j'ai tout à craindre, et rien à souhaiter, / Mais pour vous, le devoir vous donne dans vos plaintes / Où porter vos souhaits, et terminer vos craintes. « (v. 914-16).