5.1.3.2— Aspects de la folie

5.1.3.2.1— La fureur d'Horace : une quête de la raison

Ce que nous apprend Horace est que le véritable moteur de la tragédie est la quête de la raison qui naît de la déraison. C'est en cela que la tragédie s'oppose à la comédie dont le moteur est la quête de la vérité qui naît de la folie.

Dans Horace s’affrontent deux visions du monde : l'une humaine qui allie sentiments et héroïsme est celle de Curiace et de Valère à la fin de la pièce 789 , l'autre inhumaine qui est fondée sur la gloire est celle d'Horace et de son père, et est la seule dans la pièce à se poser comme raison et comme unique vertu :

Horace : « La solide vertu dont je fais vanité / N'admet point de foiblesse avec sa fermeté, / [...] Ce droit saint et sacré [servir l'État] rompt tout autre lien. » (v. 485-86, 497) ; « Et préfère du moins au souvenir d'un homme / Ce que doit ta naissance aux intérêts de Rome. » (v. 1299-1300) ; « Qui maudit son pays renonce à sa famille, » (v. 1328) ;’ ‘ Vieil Horace : « Qu'est-ceci, mes enfants ? écoutez-vous vos flammes, / Et perdez-vous encor le temps avec des femmes ? » (v. 679-80) ; « Mais enfin l'amitié n'est pas du même rang, / Et n'a point les effets de l'amour ni du sang. » (v. 957-58) ; « Il est de tout son sang comptable à sa patrie, » (v. 1027) ; « On pleure injustement des pertes domestiques / Quand on voit sortir des victoires publiques. » (v. 1176) ; « Souhaiter à l'État un malheur infini, / C'est ce qu'on nomme crime, et ce qu'il a puni. » (v. 1654-55).’

Pour le camp des humanistes, la vision du monde qui prône la gloire seule est dangereuse et peut conduire à tous les excès, notamment comme le montre Valère à des actions de folie et de fureur dont le meurtre de Camille par Horace est un exemple qui pourrait s'étendre : « Arrêtez sa fureur et sauvez de ses mains, / Si vous voulez régner, le reste des Romains, » (v. 1489-90). Par contre pour le camp des « inhumanistes » la vision du monde qui allie sentiments et gloire n'est que faiblesse, même si elle ne conduit pas nécessairement à la trahison : « La solide vertu dont je fais vanité / N'admet point de foiblesse avec sa fermeté, / [...] Ce droit saint et sacré [servir l'État] rompt tout autre lien. » (v. 485-86, 497).

Pour juger de ces deux visions du monde la question est alors de savoir où se situe la raison. Or la raison semble être plus du côté d'Horace que de Curiace ou de Valère. La raison en effet, comme le dit le Roi, est du côté du plus fort lorsqu’il a sa caution : « Vis donc, Horace, vis, guerrier trop magnanime, / Ta vertu met ta gloire au-dessus de ton crime, / Sa chaleur généreuse à produit ton forfait, / D'une cause si belle il faut souffrir l'effet. » (v. 1759-62). Ainsi la « fureur » d'Horace n'est plus en fait qu'une « chaleur généreuse ». Et le mot raison retrouve son sens par la même occasion dans la bouche d’Horace : (mettant la main à l'épée, et poursuivant sa sœur qui s'enfuit) « C'est trop, ma patience à la raison fait place. / Va dedans les Enfers plaindre ton Curiace ! » (IV, 5, 1319-20). Avant le Roi, le Vieil Horace avait suspendu son droit de vengeance sur son fils et pardonné le crime de sa fille Camille, pour des raisons personnelles comme il l'explique mais aussi pour l'État : « Il [le père] n'use pas toujours d'une rigueur extrême, / Il épargne ses fils bien souvent pour soi-même ; / Sa vieillesse sur eux aime à se soutenir, / Et ne les punit point de peur de se punir. » (v. 1435-38).

Et que dire, pour juger de ces deux visions du monde, de la conduite des humanistes, proche de la folie. Leurs appels à la fureur du Ciel et des enfers, ne sont pas faits pour leur redonner la raison. Comme cet appel de Curiace qui réclame la destruction du monde :

Curiace : « Que désormais le Ciel , les Enfers, et la Terre / Unissent leur fureur à nous faire la guerre, / Que les hommes, les Dieux, les Démons, et le Sort / Préparent contre nous un général effort ; / Je mets à faire pis en l'état où nous sommes / Le Sort, et les Démons, et les Dieux, et les hommes, / Ce qu'ils ont de cruel, et d'horrible, et d'affreux, / L'est bien moins que l'honneur qu'on nous fait à tous deux. » (v. 423-30),’

étrangement prémonitoire d'un autre appel encore plus violent de Camille :

Camille : « Que cent Peuples unis des bouts de l'Univers / Passent pour la [Rome] détruire, et les monts, et les mers ! / Qu'elle-même sur soi renverse ses murailles, / Et de ses propres mains déchire ses entrailles : / Que le courroux du Ciel allumé par mes vœux / Fasse pleuvoir sur elle un déluge de feux. / Puissé-je de mes yeux y voir tomber ce foudre, / Voir ses maisons en cendre, et tes lauriers en poudre : / Voir le dernier Romain à son dernier soupir, / Moi seule en être cause, et mourir de plaisir. » (v. 1309-18).’
Notes
789.

Camille est une révoltée contre le monde représenté par Horace.