6.1.2.2— La déraison : d'un type secondaire de conduite hors norme à un type principal

La déraison, du premier groupe des pièces au deuxième, passe d'un type secondaire de conduite hors norme déjà relativement fort à un type principal.

La déraison dans le premier groupe — Mélite et Clitandre — correspond à un type secondaire dont les formes sont complémentaires de la folie. Dans Mélite la déraison s'exprime au travers de plusieurs formes secondaires. C'est d'abord la déraison amoureuse qui prend d'un côté la forme d'un amour excessif sans dilemme pour Tircis qui doute de l'amour de Mélite et qui veut se suicider, mais aussi pour Mélite qui manque mourir à l'annonce de la fausse mort de Tircis 834 , et d'un autre côté la forme, peu marquée en fait mais qui annonce déjà Le Cid, d'un dilemme entre l'amour et l'amitié pour Tircis. C'est ensuite le non respect de la morale en amour pour Mélite qui affirme que « la fraude est légitime », et aussi pour Éraste qui sous-entend la même chose en disant que l'on peut « tirer sa raison d'une infidélité par une trahison ».

Dans Clitandre la déraison ressort tout d'abord de la déraison sentimentale qui prend la forme de sentiments excessifs sans dilemme pour Pymante qui sera le seul à ne pas s'en repentir, pour Dorise et pour Clitandre, mais aussi pour le Roi qui se laisse submerger par sa colère et qui fait une erreur de jugement, tout comme le Prince. Elle ressort ensuite du non respect de l'autorité royale par Pymante.

On le voit la déraison est déjà en place même si elle est encore atténuée dans une forme de déraison amoureuse où l'amour est excessif mais pas encore pris dans un dilemme avec le devoir. Il n'y a pas non plus encore de quête de la raison et le monde reste en désordre à la fin, même après l'intervention du Roi dans Clitandre qui rétablit un semblant de justice en punissant Pymante, mais où subsiste l'arrière-pensée d'un pouvoir qui peut mettre en prison des innocents.

Dès Le Cid la déraison est multiple et s'exprime au travers de formes essentielles. Elle s'exprime d'abord au travers de la déraison amoureuse qui trouve sa forme la plus pure dans le dilemme entre le devoir et l'amour qui finit toujours par passer après. C'est l'amour de l'Infante pour Rodrigue malgré son rang, c'est l'amour de Rodrigue pour Chimène alors qu'il doit venger son père humilié par Don Gomès, et c'est l'amour de Chimène qui doit venger son père tué par Rodrigue. La déraison s'exprime ensuite au travers de la déraison morale qui trouve immédiatement sa forme au travers d'une moralité excessive. C'est l'orgueil « excessif » de Don Gomès qui l'amène à provoquer Don Diègue, l'orgueil « étrange » de Chimène qui la pousse à poursuivre Rodrigue, l'orgueil même de Rodrigue qui tue le père de Chimène pour la mériter. La déraison s'exprime enfin par la remise en cause de l'autorité royale par Don Gomès, Don Sanche, et Chimène, de l'ambition par Chimène, et du devoir familial par Rodrigue.

Dans Horace on retrouve les mêmes formes de la déraison. Celle-ci s'exprime tout d'abord dans la déraison sentimentale qui prend la forme d'un dilemme entre les sentiments amoureux ou fraternels et le devoir avec des résultats différents. Les sentiments passent après le devoir pour Curiace, mais avant pour Sabine et pour Camille qui commettent là un « crime ». La déraison s'exprime ensuite par la déraison morale qui s'exprime dans l'excès de moralité de Rome qui conduit à la guerre contre Albe par le biais de l'ambition ; mais aussi des Horaces et des Curiaces qui acceptent un duel « étrange », « barbare » et « fratricide » avec honneur pour Horace mais douleur pour Curiace ; et d'Horace lui-même qui tue Camille car elle a renié Rome. La déraison s'exprime enfin par la remise en cause des Dieux et des parents par Camille et Sabine, de Rome par Camille, d'Albe et de sa foi par Curiace.

Notes
834.

Les excès de ces deux formes amoureuses faciliteront le mariage de Tircis et Mélite en faisant fléchir la mère de celle-ci.