6.2.2— La démarche onomasiologique

La folie se situe dans les deux parties latérales de la représentation en arbre du champ lexical correspondant à des “changements humains hors norme”, tandis que la déraison se situe dans la partie centrale. De Mélite à Horace l'on peut retracer l'évolution de la folie et de la déraison au travers du nombre d'acceptions des termes utilisés et du nombre de leurs occurrences :

pièces
lexèmes
Mélite Clitandre Le Cid Horace
+x=x var.
total

149+3

144+6

125+3

131+1

accep-
tions

centre

130+3

127+4

109+3

113+1
 
périphérie
(g.)+(dr.)

(6)+(13)=19

(5)+(12+2)=17+2

(5)+(11)=16

(0)+(18)=18
 
total

381+27

390+55

428+24

403+2

occur-
rences

centre

348+26

353+43

381+22

371+2
 
périphérie
(g.)+(dr.)

(9+1)+(24)=33+1

(8+3)+(29+9)=37+12

(14+1)+(33+1)=47+2

(0)+(32)= 32

Le nombre d'acceptions différentes rencontrées dans Mélite et dans Clitandre est supérieur à celui rencontré dans Le Cid et Horace. Cependant l'ordre s'inverse si l'on considère le nombre d'occurrences. Ainsi s'individualisent nos deux groupes de pièces où de l'un à l'autre s'établit un rééquilibrage, le faible nombre d'occurrences se trouvant dans le premier cas compensé par le fort nombre d'acceptions, et le faible nombre d'acceptions dans le deuxième cas par le fort nombre d'occurrences. En d'autres termes si pour le premier groupe le vocabulaire est plus riche, les lexèmes sont moins nombreux, alors que pour le deuxième groupe si le vocabulaire est moins riche les lexèmes sont plus nombreux.

L'on retrouve le même phénomène de rééquilibrage au niveau des lexèmes occupant la partie centrale de la représentation. En revanche l'on constate un phénomène différent au niveau des lexèmes occupant la périphérie avec une uniformisation du nombre des acceptions et des occurrences pour Mélite, Clitandre et Horace, alors que Le Cid se distingue avec un nombre d'acceptions inférieur et un nombre d'occurrences supérieur. Il faut cependant bien voir ce que signifie cette uniformisation pour Horace qui est en fait un abandon de la partie gauche de la représentation au profit de la partie droite par rapport à Mélite et Clitandre. Pour Le Cid l'augmentation du nombre d'occurrences correspond à une augmentation aussi bien des lexèmes situés à droite qu'à gauche de la représentation, avec la conservation du déséquilibre au profit de la partie droite que l'on avait déjà dans Mélite et Clitandre.

Avec la mise en évidence de deux groupes de pièces distincts, on voit aussi apparaître un phénomène correspondant à un changement d'équilibre qui se produit d'un groupe à l'autre et où, sur un fond uniforme en apparence 846 de déraison, la folie comme fait de société à connotation méliorative prend la pas sur la folie comme maladie à connotation négative.

Nous suivrons cette évolution d'un triple point de vue — transformation, désertion et réinvestissement — en distinguant d'un côté la déraison et de l'autre la folie. Nous nous aiderons des deux représentations suivantes qui sont la synthèse du travail relatif aux études spécifiques des quatre pièces :

Avant cependant on peut remarquer que les sèmes des lieux de la folie et de la déraison tels que nous les avions mis en évidence à partir de l’étude des gloses pour les différentes parties du discours, permet également cette distinction entre deux groupes de pièces évoluant de la folie vers la déraison.

Nous résumons ainsi dans un tableau le nombre de gloses par pièce et par sème du lieu de la folie et de la déraison :

pièces
sème
Mélite Clitandre Le Cid Horace total
des gloses
[âme] 6 9 10 13 38
[cerveau/elle] 3+2 1+1     4+3
[cœur] 2 3+1 8 7 20+1
[courage]       1 1
[esprit] 4+1 14 14 19 51+1
[honneur]     1 1 2
[je] 20+1 26+1 19+1 19+1 84+4
[jugement] 1 2     3
[orgueil]       1 1
[pensée]   2     2
[raison] 6+2 5 3 1 15+2
[sens] 10 5 3   18
[vertu]       2 2
total des gloses 52+6 67+3 58+1 64+1 241+11

Si le nombre total de gloses par pièce est relativement stable des comédies aux tragédies, il existe des différences pour le nombre de gloses par pièce et par sème entre les comédies et les tragédies permettant d’y voir une évolution que l’on peut estimer être de la folie vers la déraison si l’on se réfère à ce qui a été dit plus haut.

Ainsi il existe des lieux pour les comédies qui sont les lieux de la folie :

  • — des lieux qu’on ne trouve que dans une seule comédie (Clitandre) : [pensée]
  • — des lieux qu’on ne trouve que dans les deux comédies : [cerveau-elle], [jugement]
  • — des lieux qu’on trouve en nombre régressif des comédies aux tragédies : [raison], [sens].

Ainsi il existe des lieux pour les tragédies qui sont des lieux de la déraison :

  • — des lieux qu’on ne trouve que dans une seule tragédie (Horace) : [courage], [vertu]

— des lieux qu’on ne trouve que dans les deux tragédies : [honneur]

— des lieux qu’on trouve en nombre progressif des comédies aux tragédies : [âme], [cœur].

Deux lieus sont communs aux comédies et aux tragédies : [je] et [esprit].

Notes
846.

On verra plus loin les transformations, désertions et réinvestissements dont seront l'objet les lexèmes de la déraison.