6.2.2.2.3— Réinvestissement

De Mélite et de Clitandre au Cid et à Horace des zones du lexique de la déraison sont réinvesties.

Réinvestissement du côté du [manquement à la morale] par [non respect des autres de soi] : affront et honte

De Mélite à Horace se produit, du côté du [manquement à la morale], un réinvestissement de l'attitude déraisonnable par [non respect des autres ou de soi] avec des termes comme affront et honte.

Dans Mélite six termes pour nuef occurrences — deux pour affront « Offense faite publiquement avec la volonté de marquer son mépris et de déshonorer ou d'humilier. » et un pour honte « Déshonneur humiliant »— servent à décrire les relations amoureuses de Tircis, Philandre, et Éraste.

Dans Clitandre sept termes pour douze occurrences et une variante — deux pour honte et quatre pour infamie « Vx ou dr. Flétrissure sociale ou légale faite à la réputation de qqn » — sont utilisés à propos des attentats perpétrés par Pymante et Dorise, par les intéressés eux-mêmes, qui ne voient plus que l'échec de leur action née de leur jalousie. L'on passe ainsi de Mélite à Clitandre de relations amoureuses à un statut social. C'est aussi ce que l'on voit avec le Roi qui laisse accuser l'innocent Clitandre.

Avec Le Cid, la multiplication des occurrences de termes comme affront (20), honte (10), offense (7) « 1. Parole ou action qui offense, qui blesse quelqu'un dans son honneur, dans sa dignité. 2. Spécialt Outrage (envers un chef d'État). » ou outrage (4+1) « Offense ou injure extrêmement grave (de parole ou de fait). » ou « Offense, atteinte à l'honneur. » 859 — en tout huit termes pour cinquante occurrences et une variante — est à l'origine de l'émergence d'un lieu de la déraison qui existait déjà dans Mélite et Clitandre mais qui prend ici une importance de tout premier plan.

Le Cid est une pièce du déshonneur. Il n'est question que d'un affront, d'une offense, d'un outrage, celui que Don Gomès fait subir à Don Diègue qui se voit souffleté pour avoir été choisi par le Roi pour être le gouverneur du Prince de Castille, mais qui rejaillit sur tout le monde, de Rodrigue à Chimène qui veulent venger leur père respectif, en passant par le Roi dont l'autorité est remise en cause. Mais la honte touche aussi bien le Comte que Don Diègue qui parvient à l'éviter grâce à son fils Rodrigue. Déshonneur des pères légué aux enfants qui fait que Chimène, ne pouvant venger son père, devrait en être éternellement marquée condamnant par là toute réparation amoureuse avec Rodrigue. Mais Chimène échappe à cette honte comme [manquement à la morale] et trouve le repos du côté des sentiments avec une « louable honte » comme [manquement à la raison], qui sauvegarde son amour et son honneur.

Dans Horace les termes et les occurrences sont moins nombreux que dans Le Cid tout en demeurant en nombre important — neuf termes pour vingt-quatre occurrences dont affront (5) et honte (5).

S'il n'est question que d'un seul affront réel, celui que les Albains et les Romains font aux Curiaces et aux Horaces en voulant les séparer, la honte semble devenir une affaire de point de vue et oppose les femmes qui se plaignent de ne pouvoir exprimer leurs sentiments aux hommes qui justifient par là le crime de Camille. Mais un crime qui, s'il est juste, entache l'honneur d'Horace par sa monstruosité puisqu'il a versé le sang de sa soeur.

Ainsi s'oppose le non respect par Camille de la gloire d'Horace et le non respect par Horace de sa soeur en versant le sang de celle-ci. Le Vieil Horace pardonne cependant à son fils pour les mêmes raisons que le Roi dans Le Cid avait pardonné à Rodrigue le meurtre du père de Chimène et que le Roi Tulle pardonnera plus tard à Horace son crime : il est un soutien dont aucun d'eux ne peut se passer. Mais ce qui est mis en avant dans Horace c'est le danger qui guette le héros qui a sauvé l'État : tomber sous le coup d'une ignominie. C'est dans cette obsession de la chute — et de la gloire par contre coup — qui atteint Horace, inquiet de ne pas respecter la loi morale, qu'il faut aussi rechercher les raisons du crime de Camille.

Notes
859.

Dubois, Lagane, Lerond, 1992.