La folie se situe dans les deux parties latérales de l'arbre sémasiologique de folie et ses dérivés, alors que la déraison se trouve dans la partie centrale. L'on peut percevoir une évolution de Mélite à Horace de la part qui est laissée à la folie par rapport à celle donnée à la déraison au travers du nombre de sémèmes, de lexèmes, et d'occurrences correspondant au terme folie et à ses dérivés :
pièces folie et ses dérivés |
Mélite | Clitandre | Le Cid | Horace | |
+x=x var. sémèmes |
total | 4 5+2 862 |
1 1+1 |
3 1 |
0 0 |
et lexèmes |
centre | 2 3+1 |
1 1+1 |
2 1 |
0 0 |
distincts 863 | périphérie (g.)+(dr.) |
(1)+(1)=2 (3)+(2+1)=3+1 |
0 0 |
(0)+(1)=1 (0)+(1)=1 |
0 0 |
total | 12+2 864 | 1+1 | 3 | 0 | |
occur- rences |
centre | 6+1 | 1+1 | 3 | 0 |
périphérie (g.)+(dr.) |
(4)+(2+1)=6+1 | 0 | (0)+(1)=1 | 0 |
D'une manière générale il faut d'abord constater que de Mélite au Cid il y a un appauvrissement autour du mot folie et de ses dérivés, que ce soit en nombre d'acceptions (de quatre à trois), en nombre de lexèmes (de cinq plus deux à un), ou en nombre d'occurrences (de douze plus deux à trois). Avec Le Cid se produit une disparition, ébauchée dans Clitandre. Cet appauvrissement s'accompagne d'une perte de la diversité autour des lexèmes (de cinq à un), mais pas totalement en ce qui concerne les acceptions (de quatre à trois, mais ce sont pour Le Cid trois acceptions différentes pour trois occurrences).
En examinant ensuite pour folie et ses dérivés le centre de l’arbre sémasiologique — [point de vue social à connotation négative] —, l'on constate que l'on passe d'un état d'équilibre pour Mélite à un déséquilibre du centre par rapport à la périphérie pour Le Cid. Ainsi pour Mélite il y a deux acceptions au centre pour deux acceptions à la périphérie, trois plus un lexèmes au centre pour trois plus un à la périphérie, six plus une occurrences au centre pour six plus une à la périphérie ; et pour Le Cid deux acceptions au centre et une seulement à la périphérie, un lexème au centre et un à la périphérie, deux occurrences au centre et une à la périphérie.
Enfin pour ce qui est de la périphérie de l’arbre sémasiologique qui se divise en une partie gauche — [point de vue médical à connotation neutre] — et une partie droite — [point de vue social à connotation positive] —, l'on constate une évolution qui va d'une prédominance de la partie gauche sur la partie droite pour Mélite (une et une pour les acceptions, trois et deux plus un pour les lexèmes, quatre et deux plus une pour les occurrences) à une prédominance de la partie droite sur la partie gauche pour Le Cid (zéro et une pour les acceptions, zéro et un pour les lexèmes, zéro et une pour les occurrences).
Ainsi passe-t-on de Mélite au Cid d'un état d'équilibre entre un [point de vue social négatif] et un [point de vue médical neutre ou un point de vue social positif] à un état où la priorité est donnée au [point de vue social négatif], c'est-à-dire à la déraison. D'un autre côté la folie comme maladie à connotation neutre perd sa prééminence au profit de la folie comme fait de société positif 865 .
Nous suivrons cette évolution d'un triple point de vue — transformation, désertion et réinvestissement — en distinguant d'un côté la déraison et de l'autre la folie. Nous nous aiderons des deux représentations suivantes qui sont la synthèse du travail relatif aux études spécifiques des quatre pièces :
Nombre de lexèmes apparaissant dans les variantes.
Leur nombre s'additionne s'ils sont différents d'un sémème à l'autre, mais se retranche s'ils sont identiques.
Nombre d'occurrences dans les variantes.
De Mélite à Pertharite et jusqu’à Suréna, la dernière pièce écrite par Corneille, on peut donner rapidement une vue d’ensemble de l’évolution du champ sémasiologique de folie en présentant d’un point de vue statistique la répartition par genre, par catégorie grammaticale et par champ, des occurrences de folie et ses dérivés.
On peut classer l'ensemble des pièces de Corneille par période et par genre. Trois périodes : 1- De Mélite au Cid : Le succès, 1629-1637 (période de jeunesse) ; 2- D’Horace à Pertharite : La gloire (période de maturité), 1640-1651 ; 3 D’Œdipe à Suréna : De la retraite au silence (période de vieillesse). Et deux genres principaux : les comédies et les tragédies.
Les 32 oeuvres théâtrales de Corneille se répartissent à peu près équitablement sur les trois périodes de la vie de Corneille (période 1 : 28,12% ; période 2 : 40,62% ; période 3 : 31,52%). Les comédies représentent un peu moins du 1/3 (28,12%) et les tragédies un peu plus des 2/3 (71,87%). La période 1 est composée au 3/4 (77,77%) de comédies et pour 1/4 de tragédies (22,22%). La période 2 est composée essentiellement de tragédies (84,61%) alors que la période 3 l'est en totalité (100%). Ainsi peut-on faire apparaître l'opposition entre la période 1 que l'on peut appeler encore période A, qui contient 28,12% des oeuvres qui sont à 77,77% des comédies, et les périodes 2 et 3 que l'on peut regrouper en une période B qui contient 71,87% des œuvres à 91,3% des tragédies.
Répartition statistique de folie et ses dérivés par genre
Dans la période A toutes les pièces, comédies et tragédies, possèdent des occurrences de folie et ses dérivés, alors que dans la période B cela concerne seulement les 2/3 des pièces (65,22%) : les comédies en totalité et les tragédies au 2/3 (61,9%). Ainsi peut-on à nouveau opposer la période A avec les 2/3 des occurrences de folie et ses dérivés - en presque totalité (90,69%) dans les comédies - et une période B avec le 1/3 restant - à 1/2 (48%) dans les comédies. On peut ainsi rapprocher la répartition des pièces dans la période A à forte concentration de comédies et dans la période B à très faible concentration, de la répartition des occurrences de folie et ses dérivés dans la période A où la moyenne par pièce, comédies et les tragédies, est forte (4,77) et dans la période B où la moyenne est faible (1,08). Tout en précisant que si la moyenne pour les comédies est stable entre les périodes A et B (5,77 et 6), elle varie fortement pour les tragédies (2 et 0,61).
Répartition des occurrences de folie et ses dérivés par catégories grammaticales
Nous pouvons noter une évolution, aussi bien de la période 1 à la période 3 que des comédies aux tragédies, qui va dans le sens d'une simplification. La diminution du nombre des catégories grammaticales - ainsi dans la période 3 ne subsiste plus que des adjectifs dans les tragédies - et la prépondérance prise par certaines représentations sur d'autres - ainsi si la représentation du nom folie reste sensiblement la même dans les comédies et les tragédies (26,66% et 23,53%) celle des adjectifs double des comédies aux tragédies (de 38,33% à 76,47%), va dans le sens d'une tendance à gommer tout ce que peut avoir la folie comme traits multiples. On va vers une simplification visant à supprimer tout débordement et confusion de la folie avec la déraison, déraison qui tend à s'affirmer sur la folie. Cela peut signifier une diminution du rôle de la folie à travers une atténuation de la valeur expressive des mots disant la folie : l'adjectif lié à une base nominale perd de sa valeur expressive au profit de celle-ci.
Répartition des occurrences de folie et ses dérivés par champs
Seuls les champs [point de vue social à connotation péjorative] et [point de vue social à connotation méliorative] sont représentés dans les tragédies de la période 3. Cela rejoint la tendance à la simplification des catégories grammaticales de la période 1 à la période 3 : ici il y a diminution des champs sémasiologiques avec une disparition du champ [point de vue médical à connotation neutre]. Cela confirme aussi au niveau des champs l'opposition entre la période A (période 1) et la période B (période 2 et 3) avec des représentations qui deviennent 71,87% et 28,12% pour le champ [point de vue médical à connotation neutre], 53,33% et 46,66% pour le champ [point de vue social à connotation péjorative], et 66,66% et 33,33% pour le champ [point de vue social à connotation méliorative]. S'il y a équilibre pour le champ [point de vue social à connotation péjorative] entre la période A et B, il y a par contre déséquilibre pour les champs [point de vue médical à connotation neutre] et [point de vue social à connotation péjorative] entre les périodes A et B au profit de la première, sensiblement dans les mêmes proportions : 2/3 et 1/3. Les comédies laissent une large place à la folie comme maladie ([point de vue médical à connotation neutre]) en même temps qu'une place moindre mais significative à la déraison ([point de vue social à connotation péjorative]). À l'inverse les tragédies ne laissent pratiquement plus aucune place à la folie comme maladie, la déraison occupant tout l'espace.