Synchronie et diachronie

L'étude lexicale, onomasiologique et sémasiologique, que nous avons faite de la folie et de la déraison portait dans un premier temps sur une structuration en langue à la fois pour le XXe siècle et pour le XVIIe siècle et dans un deuxième temps sur une structuration en contexte d’un corpus de quatre pièces charnières de l'œuvre de Corneille : Mélite, Clitandre, Le Cid, et Horace. Il s’agissait d’un point de vue à la fois synchronique sur les pièces prises séparément et d'un point de vue diachronique sur ces mêmes pièces prises comme un ensemble. Ainsi nous avons choisi de croiser systématiquement synchronie et diachronie.

En synchronie nous avons été amené progressivement – il ne s’agissait pas d’un choix délibéré posé au départ – à étendre le champ générique contenant la folie et la déraison à un nombre important de lexèmes – près de 600 entrées de dictionnaire. Mais ouvrir notre recherche à tous ces mots nous a semblé une nécessité qui s’est imposée petit à petit notamment pour l’établissement d’une manière satisfaisante des champs sémasiologiques des mots folie et déraison. Mariant lexicologie et lexicographie nous avons procédé à l’analyse systématique des définitions de dictionnaires pour la construction du système sémantique en langue au XXe siècle, utilisant pour cela par commodité en premier lieu Le Nouveau petit Robert et comme outils de contrôle Le Grand Robert de la langue française et le TLF. Cependant nous avons pu percevoir en synchronie les limites de l’analyse structurale à l’occasion de l’analyse des pièces de Corneille avec notamment le fait que les champs lexicaux étaient des champs de substantifs quand l’auteur a recours à d’autres catégories du discours pour dire la folie ou la déraison. C’est pourquoi nous avons développé le concept de gloses exprimant la folie ou la déraison. Sans aller jusqu’à une analyse lexicologique de ces gloses, nous avons simplement proposé une ouverture en étudiant les lieux de la folie et de la déraison pour chaque pièce.

En diachronie les choses sont un peu plus complexes et il convient de considérer à la fois l’étendue de la période qui nous sépare du corpus étudié (du XVIIe siècle au XXe siècle), et l’étendue de la période choisie pour le corpus (de 1629 à 1652) avec le choix de quatre pièces dont la première est de 1629-30 et la dernière de 1640.

S’il est intéressant d’appliquer les méthodes du structuralisme à un corpus éloigné dans le temps par projection des résultats obtenus pour le XXe siècle — pour Sylvianne Rémi cela permet de redécouvrir des ouvrages et de mettre en place des garde-fous sur le sens des mots relatifs à une époque antérieure à la nôtre, garants de la bonne lecture que l’on peut avoir des textes —, cela pose aussi certains problèmes, notamment celui de l’invariance des systèmes qui nous aura beaucoup interrogé. En effet comment poser qu’un système valable pour le XXe siècle peut aussi l’être pour le XVIIe siècle ? Comment construire en langue un champ lexico-sémantique invariant opérant sur plusieurs périodes, un champ qui contienne tous les autres ? La question est donc de savoir s’il peut exister un fond invariant pour le système lexical du français avec des lexies et des sémèmes qui seraient actualisés suivant les périodes. C’est l’étude diachronique de folie au travers des dictionnaires étymologiques et de langue qui nous aura permis d’apporter une réponse positive à cette question méthodologique. Nous avons ainsi suivi tout d’abord l’évolution historique des lexies de la famille de folie jusqu’à la fin du XVIIe siècle, puis nous avons ébauché une analyse structurale de folie de la fin du XVIIe au XXe siècle. Pour arriver à la conclusion que le XXe siècle propose bien un système sémantique général invariant du mot folie incluant les autres systèmes pour les siècle précédents jusqu’au XVIIe siècle.

Nous avons enfin essayé d’appliquer les méthodes de l’analyse structurale non pas sur un texte mais sur un ensemble de textes portant sur une période allant de 1629 à 1652. Si le système lexico-sémantique mis en place pour une pièce restait valable pour toutes les pièces, il s’agissait cependant de multiplier les études par quatre. Mais ce qui était intéressant au-delà de l’étude particulière de chacune des pièces c’était de considérer l’évolution d’un genre et d’une esthétique dans le cadre particulier du travail d’écrivain de Corneille au travers de ces quatre pièces prises dans leur mouvement d’ensemble. C’est ce que nous avons essayé de faire.