1.1. Jusqu’à la deuxième guerre mondiale

Avant la deuxième guerre mondiale, on ne parle ni de difficulté d’apprentissage, ni d’échec scolaire. Les différences sociales et culturelles semblent normales aux yeux de tous. Les deux notions apparaissent dans les années cinquante, et c’est une décennie plus tard, dans les années soixante, que le phénomène prend de l’ampleur. Jusque-là, la demande en main-d’œuvre ouvrière et agricole est telle que les enfants qualifiés depuis comme « en difficulté d’apprentissage » et en « échec scolaire » ne se remarquent pas dans les classes. Ils y ont leur place, voire même leur fonction et, malgré le faible niveau de leurs résultats scolaires, une position leur est assurée dans la société. La mise à l’écart ne se fait pas sentir, et aucune structure particulière n’existe pour eux 10 . Ils se distinguent des autres élèves par le fait qu’ils ne sont pas présentés au Certificat d’Etudes Primaires. Ce point est considéré comme tout à fait ordinaire : « il y a les bons et les mauvais élèves » 11 . Les uns sont destinés à une scolarité plus longue, les autres intègrent le monde du travail assez jeunes, à partir de 12 ans. « On pourrait définir l’échec scolaire comme la différence entre l’offre et la demande. Quand l’offre d’enseignement (ce que produit l’école) correspond à la demande sociale (ce que veut la société) on ne parle pas d’échec scolaire » 12 .Le droit aux études n’est pas considéré comme un phénomène social, « l’idéologie des dons », que nous développons plus loin, ne voit son apparition qu’au début des années soixante.

Le Certificat d’Etudes Primaires, jusqu’à l’après deuxième guerre mondiale, n’est accessible qu’à peu d’élèves issus d’un milieu modeste. Ces élèves-là doivent obtenir d’excellents résultats scolaires pour prétendre à l’examen, alors que des résultats inférieurs chez des enfants d’un milieu aisé sont jugés suffisants pour s’y présenter. On considère que quelques rudiments en lecture, écriture et calcul suffisent pour ces enfants, qui s’en servent finalement peu dans leur activité professionnelle. L’école joue son rôle : l’équilibre est conservé entre les lettrés de la classe dirigeante et les moins doués de la classe laborieuse. La communication est essentiellement orale et la maîtrise de la langue écrite n’est pas nécessaire pour tous. De façon anecdotique, il importe de remarquer la richesse linguistique des échanges épistolaires de l’époque – nous citons les publications de lettres de soldats du front de la première guerre mondiale qui illustrent nos propos 13 –. Philippe Perrenoud va jusqu’à écrire que « les esprits les plus éclairés affirmaient même que l’instruction est nuisible aux âmes simples, parce qu’elle les incite à se poser des questions sur leur condition et donc, parfois, à mettre en cause l’ordre social » 14 . L’institution masque les difficultés d’apprentissage et l’échec scolaire en instituant une école à deux vitesses : l’école primaire, populaire, pour une frange ouvrière et prolétaire de la société et une autre école, celle des « petites classes des lycées », fréquentée par les enfants des classes favorisées. « La ségrégation scolaire correspond à la ségrégation sociale » 15 . Ce n’est que plus tard, lorsque l’école primaire devient l’école pour tous et que les uns et les autres fréquentent les mêmes bancs, que des marques de différences sont apparues. Au sein de la même structure, certains réussissent et poursuivent des études secondaires et d’autres entrent dans le monde du travail entre 12 et 14 ans.

Notes
10.

La Loi du 15 avril 1909 créant les « Ecoles et classes de perfectionnement pour enfants arriérés », était toujours en vigueur, mais le nombre de ces classes et établissements était très réduit.

11.

BEST F. 1999. L’échec scolaire (2°éd. corrigée), Paris, PUF, p. 8.

12.

Dictionnaire encyclopédique de l’éducation et de la formation (2° éd.). 1998. Paris, Nathan.

13.

GUENO J.-P., LAPLUME Y. (dir.). 1998. Paroles de poilus, lettres et carnets du front (1914-1918), Paris, Librio, 185 p.

14.

PERRENOUD Ph. 1995. La pédagogie à l’école des différences, Paris, ESF, p. 20.

15.

PERRENOUD Ph. 1995. Ibid.