L’échec scolaire et le milieu familial non porteur de réussite, sans exigence de résultat, vont souvent de pair. Le regard et la considération que les parents ont de leur enfant et de l’école exercent une influence. Fortement inspirés par notre pratique, ces développements sont autant d’exemples rencontrés sur le terrain, confirmés par nos lectures.
Un enfant peut être considéré par ses parents comme un élément gênant qui vient bouleverser, voire anéantir, leurs projets de vie, « ils ont honte de leur enfant » 55 . Il n’est pas aimé, et génère une relation parentale conflictuelle. Ses résultats scolaires médiocres empirent une situation difficile pour lui, il est la cible de tous les sarcasmes. L’absentéisme scolaire est important, les manifestations somatiques de son malaise sont nombreuses. Chez ces élèves, les résultats scolaires sont faibles, ils manquent d’affection et leur esprit n’est pas disponible pour les apprentissages. Les parents n’investissent ni l’école ni la scolarité. Ils entretiennent une mauvaise relation avec le milieu scolaire, ils en ont un mauvais souvenir. Pour eux, c’est un lieu de souffrance, ils y ont subi les moqueries des autres élèves et des enseignants, ont assumé difficilement leur rôle social de « mauvais élève » et, ainsi, n’ont que peu d’attentes pour leurs enfants. C’est au travers d’eux qu’ils se vengent des épreuves qu’ils ont endurées et les apprentissages ne sont pas leur premier souci. Ils souhaitent régler un contentieux avec l’école en adoptant une attitude revendicatrice et contestataire en critiquant les enseignants. Ils se plaignent auprès de la direction et soutiennent leur enfant dans une attitude qui fait dire d’eux que ce sont des enfants « difficiles ». Cette agressivité latente ou ouverte irrite les enseignants qui se sentent attaqués dans leurs compétences. Aucun travail commun ne se met en place. Lors des rares rencontres, chacun repart avec ses convictions premières renforcées : l’image négative que l’enseignant a de la famille se répercute sur ses relations avec l’élève ; les parents ont un sentiment encore plus fort de mécontentement à l’égard de l’école. En famille, les enfants ne sont pas aidés dans leur travail personnel auquel on n’accorde que peu d’importance. L’histoire scolaire des parents a une influence non négligeable sur la scolarité.
On rencontre, à l’école primaire, des enfants dont l’échec scolaire est dû à des bouleversements familiaux : mésentente des parents, séparation, naissance d’un nouvel enfant. Ces changements entraînent parfois des difficultés passagères quand il s’agit de situations qui se clarifient rapidement : l’enfant a besoin d’un temps d’adaptation au cours duquel il se sent déstabilisé de façon globale avant de retrouver une sérénité. Si la situation ne se clarifie pas, si l’enfant sent que des choses lui sont cachées, si les deux parents rivaux s’affrontent, s’il est au centre des querelles, alors la situation de difficulté scolaire peut évoluer négativement. On voit dans les classes des enfants dont l’attention est moins soutenue et qui manifestent une indisponibilité pour les matières scolaires. Leur attitude est la manifestation d’un mal-être. De même, les rythmes imposés à l’enfant peuvent être responsables des difficultés à l’école. C’est dans le cadre de la famille que s’ajustent les moments d’activité, ceux de repos et ceux de sommeil. Beaucoup d’enfants, notamment en ville, suivent le rythme de vie de leurs parents alors qu’ils n’y sont physiologiquement pas prêts. Cela est dommageable pour leur santé et leur capacité d’attention à l’école.
Le niveau intellectuel familial influence la scolarité. Des carences éducatives entraînent parfois des perturbations dans le développement de la personnalité. Jean-Marie Gillig remarque que « les familles font de plus en plus appel aux différents centres de soins » 56 (C.M.P., C.M.P.P. 57 ). Les enfants et leurs parents consultent un psychologue ou un pédopsychiatre. Cette situation prend une grande envergure, les centres de soins, l’expérience nous l’apprend, sont souvent saturés. De nombreux mois sont nécessaires avant de pouvoir consulter. Sans démissionner, les parents ne savent comment s’y prendre pour bien éduquer leurs enfants. L’évolution sociale révèle des parents démunis, se sentant impuissants. Les troubles de la formation de la personnalité ayant des répercussions sur les apprentissages scolaires, les enseignants conseillent souvent aux familles de consulter, pensant qu’un soin psychothérapeutique aura une conséquence bénéfique sur la situation scolaire. Certaines familles sont « débordées par la vie » 58 . Guy Avanzini nous éclaire sur l’influence du milieu familial sur la scolarité de l’enfant. « Dans une famille où la culture et les informations sont riches et circulent beaucoup, les apports de l’école vont être en continuité avec ceux de la maison, l’enfant s’implique dans ce qu’on lui apprend à l’école. En revanche, dans une famille aux intérêts différents, les apports de l’école seront en rupture avec ceux du milieu d’évolution, l’enfant ne les investira pas de la même façon, n’ayant pas de relations affectives avec ce qui est proposé. Il y a deux mondes bien distincts pour ces enfants des familles socio-culturellement défavorisées : le monde de l’école et celui de la maison » 59 . La culture de la famille conditionne les attitudes des enfants face aux apprentissages scolaires. Allant dans le même sens que Guy Avanzini et complété par l’idée d’héritage culturel, Michel Lobrot souligne que les enfants issus d’un milieu culturel élevé prennent plaisir à apprendre, observer, connaître et savoir car ils ont fait « l’expérience de la culture. L’appropriation des connaissances à l’école n’en est que facilitée et s’intègre dans leur représentation de la culture. L’école n’est plus une fin en soi, un but dissocié du reste de la vie » 60 .
La vie dans une famille repliée sur elle-même, étroite, peut être un facteur d’échec à l’école. Pour la plupart des enfants, c’est à l’école que leur personnalité se construit, ils y rencontrent leurs camarades, parlent de ce qui les préoccupent à leur âge, sont confrontés à des enfants plus âgés qu’eux qui leur apprennent également sur la vie, de ces choses dont on ne parle pas dans la famille. Pour ces enfants, l’école n’est pas le lieu de vie privilégié, ils ne s’y sentent pas bien, n’y parlent que très peu, il faut les solliciter en classe pour qu’ils participent. Ils sont souvent absents, leurs parents manifestent une grande inquiétude, les accompagnant à l’école au dernier moment, souvent en retard pour pouvoir les conduire jusque dans la classe, sont là bien avant l’heure de sortie. Le poids de la famille est très important car en plus des parents, les frères et sœurs, surtout les aînés, sont présents lors de l’accompagnement. Les parents sont plaintifs, souffrent pour leurs enfants qui ne sont pas autonomes, ont une attitude passive et attentiste en classe, on les oublie facilement tant ils sont silencieux. Les résultats scolaires sont médiocres, mais les familles soutiennent que ce qui est proposé est trop difficile. Les parents n’ayant qu’une confiance limitée dans l’école ne vont pas encourager leur enfant à s’y sentir bien, à s’y épanouir. C’est un lieu de dangers où enfants et parents se sentent agressés. Une situation conflictuelle s’installe entre la famille et les enseignants qui n’aide pas l’élève dans ses apprentissages. C’est une réponse comportementale à la demande parentale.
Souvent, les parents ont des désirs pour leurs enfants. Ces désirs sont ceux qu’ils n’ont pu assouvir dans l’enfance et ne correspondent pas forcément à ceux de l’enfant. Ils amènent alors des tensions dans la famille. A l’inverse, on peut rencontrer des enfants qui cachent leur passion, n’en parlent pas par peur de déplaire. Plus tard, ils reproduisent la même situation avec leurs propres enfants. Il en va de même pour la scolarité : il est légitime, de la part d’un parent, de désirer que son enfant réussisse au mieux à l’école. Ce sont alors des désirs d’adultes qui ne correspondent pas forcément à ceux des enfants. On ne comprend pas pourquoi un enfant se passionne à l’école pour une matière alors qu’elle ne lui servira pas dans sa future vie professionnelle, celle que l’on décide pour lui. Guy Avanzini parle de « climat culturel de la famille » 61 , ce climat variant selon les résultats scolaires de l’enfant. Celui-ci doit rapporter de bonnes notes, sinon il est accusé d’ingratitude à l’égard de ses parents qui se sentent personnellement offensés par son échec. C’est leur propre réussite qui est en jeu au travers de la réussite de leur enfant. Jacques Fijalkow cite Pierre Mannoni exposant le fait que « l’inhibition face aux apprentissages scolaires tend à disparaître quand les attentes familiales ne sont plus respectées » 62 . L’enfant se considère en tant que personne quand le détachement d’avec la mère est effectif. Il se met à penser. La relation mère/enfant commence à se détacher des résultats scolaires quand la mère autorise son enfant à s’émanciper. L’enfant « s’approprie » ses propres désirs.
Le milieu familial agit de diverses manières sur la scolarité de l’enfant. Ne perdons pas de vue que non seulement les éléments invoqués sont responsables d’une certaine situation mais ils sont également renforcés par la représentation qu’engendre ces positions particulières, dictant leur attitude aux enseignants.
MANNONI P. 1986. Des bons et des mauvais élèves, Paris, ESF, p. 129.
GILLIG J.-M. 1998. L’aide aux enfants en difficultés, Paris, Dunod, p. 20.
C.M.P. : Centre Médico-Psychologique ; C.M.P.P. : Centre médico-psycho-pédagogique.
LEVINE J., VERMEIL G. 1980. Les difficultés scolaires, Paris, Doin, p. 29.
AVANZINI G. 1967. L’échec scolaire, Paris, Editions universitaires, p. 57.
LOBROT M. 1999. « Du nouveau sur l’échec et la réussite scolaires », Revue française de pédagogie, 128, pp 63-71.
AVANZINI G. 1967. L’échec scolaire, Paris, Editions universitaires.
FIJALKOW J. 1996. Mauvais lecteurs pourquoi ? (3° éd. mise à jour), Paris, PUF, p. 107.